Les pitres, les « wokes », les « pervers » et les résistants

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Guy Debord n’est pas mort. La société du spectacle est de plus en plus spectaculaire ! Mais le vaudeville politicien est de plus en plus décalé par rapport au réel. Et plus le spectacle s’écarte du réel, plus les voies de l’émancipation se rétractent. Et cela quels que soient les désirs des militants derrière leurs gourous. Les seuls gagnants de cette séquence sont le grand capital, leurs soumis bien rémunérés et les médias dominants qui s’en donnent à cœur joie pour obscurcir la raison raisonnante au profit des premiers. Ce n’est pas la première fois dans l’histoire, mais ce n’est pas réjouissant pour autant. Car cette dernière nous montre que le retour au réel peut être notoirement violent et meurtrier. Mais devant la détermination de beaucoup d’acteurs, cela devient souvent malheureusement la seule sortie possible.

La raison raisonnante appelle à la paix et la justice sociale. Les pouvoirs injustes s’engagent dans la guerre et l’injustice sociale. Ainsi le grand capital, leurs soutiens impérialistes, leurs soumis bien payés, les médias dominants nous ont habitués à leurs responsabilités violentes et meurtrières. Un exemple, depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale : 700 000 morts en Europe crescendo (Chypre, ex-Yougoslavie, Ukraine). Jean Jaurès avait raison (c’est pour cela qu’il a été assassiné) :  « Toujours votre société violente et chaotique, même quand elle veut la paix, même quand elle est à l’état d’apparent repos, porte en elle la guerre, comme la nuée dormante porte l’orage. » Et cette société violente et chaotique, c’est la société capitaliste qui considère de façon génétique « la guerre comme la continuation de la politique par d’autres moyens ». Quand la gauche s’écarte de la gauche de gauche et devient un soutien au capitalisme, alors c’est le pompon. Nous pouvons alors « rire de ceux qui déplorent les effets des causes qu’ils chérissent » comme le disait Bossuet.

Les pitres

Dans cette catégorie, avouons qu’Emmanuel Macron est difficilement battable, surtout sur le plan international où sa parole est déconsidérée. Il suffit de lire les journaux étrangers pour s’en persuader. Il est bien loin le temps des de Gaulle, Védrine ou de Villepin qui, s’ils étaient critiqués, étaient respectés. Nous les avons troqués pour un bouffon qui n’a réussi à être qu’un VRP du complexe militaro-industriel français vers des pays illibéraux, voire dictatoriaux. Sur le plan intérieur, le « tout communication » sans liaison avec le réel commence à être perçu y compris par des factions de la bourgeoisie.

Notre illusionniste n’a été capable que de faire semblant d’être un anti-extrême droite alors que tout marxien conséquent sait que l’extrême centre mène directement à une alliance de toutes les droites ou à un échec patent du camp du travail comme la Convention thermidorienne vers l’Empire, comme la deuxième République après la défaite de juin 1848 et à nouveau vers l’Empire, comme la défaite du gouvernement Blum en 1937 vers la collaboration avec le nazisme, etc. Notre illusionniste peut s’enorgueillir d’avoir réussi le tour de force d’avoir augmenté la dette française de 1000 milliards d’euros depuis 2017. Bien évidemment, notre pitre en chef n’a pu agir qu’avec une armée de pitres de seconde zone dont nous laissons les lecteurs dresser une liste exhaustive.

Les « wokes »

Les dirigeants du capitalisme néolibéral et ordolibéral avaient besoin de diviser la classe populaire, ouvrière et employée, pour éviter qu’une gauche prenne le pouvoir. Les peurs de la bourgeoisie française en mai-juin 1968 puis au cours des années 1981-82 les ont convaincus qu’il fallait diviser leur adversaire principal. Eux savent que la classe populaire ouvrière et employée pèse encore, malgré la désindustrialisation, 45 % de la population active. Ils savent que c’est le vote massif de cette classe le 10 mai 1981 (72 % des ouvriers et 62 % des employés) qui est la raison principale de la victoire de la gauche. Ce chiffre est à comparer avec les 14 % des inscrits (correspondant à un peu plus de 20 % des votants pour in fine 28 % des votants toutes classes comptées) pour l’ensemble du NFP tout mouillé le 30 juin 2024. Pour cela, il fallait une nouvelle hégémonie culturelle permettant la balkanisation des catégories populaires.

C’est le think tank Terra Nova qui en 2011 publie une note qui servira au sinistre François Hollande de gagner la présidentielle de 2012. Cette note prônait l’abandon par la gauche de la classe populaire ouvrière et employée par l’abandon de la lutte des classes et même de la question sociale et de promouvoir son remplacement par une alliance entre les « couches moyennes » et les catégories « discriminées » (femmes, « racisées », LGBTQI+, animaux, etc.). Le mépris de classe, de plus en plus assumé et affiché par les porte-parole de la gauche dont certains s’autodésignent comme « radicale », a eu pour conséquence le développement au sein des électeurs de gauche issus des catégories socioprofessionnelles défavorisées (CSP-) d’abord de l’abstention puis à un degré moindre du vote RN. À noter que le RN a bénéficié aussi du passage d’une importante partie d’anciens électeurs de droite basculant vers lui.

Le wokisme contre le principe émancipateur de laïcité

La religion « woke » née dans les campus étasuniens ferait l’affaire pour cimenter cet édifice antisocial et « prolophobe ». Cette religion « woke » fut alors favorisée par les puissances capitalistes néolibérales, et même par des nominations dans l’appareil d’État et le fléchage des financements publics, y compris au niveau européen. De ce point de vue, le subjectivisme relativiste et antirationaliste de la religion « woke » permit aux pouvoirs publics d’améliorer leur alliance politique et économique avec l’ensemble des organisations religieuses par la mise à l’écart du principe de laïcité, pierre angulaire de l’émancipation. On a vu alors fleurir, au mépris de la loi de 1905, les subventions facultatives pour les édifices religieux (y compris des cathédrales) de toutes confessions et les écoles privées religieuses devenir petit à petit l’école de la bourgeoisie aisée ; cela en lieu et place des dépenses sociales des collectivités locales de toutes couleurs politiques.

Inutile d’en dire plus pour convaincre que cela a largement touché les directions politiques et syndicales de la gauche y compris celles se gargarisant d’être « radicales ». Voilà pourquoi un changement de ligne stratégique est nécessaire pour retrouver le chemin d’une gauche de gauche ancrée dans les couches populaires dont le politiste Vincent Tiberj a récemment rappelé qu’elle ne s’était pas « droitisée »(1)Voir son dernier ouvrage La droitisation française, mythe et réalités.. La droitisation, elle, vient du haut de la société.

Les « pervers »

Pour alimenter cette partie de l’article, il suffit de relater la séquence des votes parlementaires 2024 sur le budget de l’État (projet de loi de finances-PLF) et sur le budget de la Sécurité sociale (projet de loi sur le financement de la Sécurité sociale). Sur ce dernier point, nous vous renvoyons à notre article paru dans ReSPUBLICA(2)« PLFSS 2025, le scandale demanderait une mobilisation générale ».. En fait, le gouvernement Macron-Barnier-Le Pen propose les pires projets de loi sur le budget de l’État (492 milliards en 2024) et sur le budget de la Sécu (642 milliards d’euros en 2024) que la France ait connus.

Et qu’on ne vienne pas nous dire que c’est parce que la situation est désespérée dans la mesure où cette situation est due aux « pervers »(3)Nous utilisons ce mot dans le sens donné par le sociologue du CNRS Marc Joly dans son ouvrage La pensée perverse au pouvoir, sens donné avec les outils des sciences sociales. À noter que cette perversité au pouvoir n’a pu se développer que grâce à la Constitution française illibérale. responsables des politiques capitalistes néolibérales de gauche et de droite depuis 1983 dont tous les membres de ce gouvernement sans exception ont une responsabilité. Ils ont tous à un moment donné de leur vie été volontairement soumis aux injonctions du grand capital et de l’impérialisme qui en découle contre les intérêts du plus grand nombre.

En commission des finances, le projet de budget a été bouleversé par des amendements portant accroissement des impôts et diminution du rabot prévu sur les dépenses publiques. Mais lors du vote final du PLF, la commission des finances a voté contre ce nouveau projet. Donc rebelote en séance de l’Assemblée où on repart avec le PLF initial antisocial.

Petit à petit, en séance plénière, les projets de loi seront amendés en augmentant la part d’impôt d’une part par la gauche minoritaire(4)Car le NFP a fait 28 % des voix au premier tour des législatives du 30 juin 2024 et il manque plus d’une centaine de députés pour être majoritaire à l’Assemblée nationale. mais mobilisée à l’Assemblée nationale et d’autre part par la démobilisation de l’extrême centre macroniste(5)Second groupe de l’Assemblée nationale en nombre de députés..

François Bayrou a d’ailleurs fustigé cette démobilisation : « Avoir des parlementaires qui considèrent (…) qu’ils ont mieux à faire qu’être présents à leurs bancs à l’Assemblée nationale, c’est purement et simplement inadmissible », a-t-il ainsi pesté sur BFMTV. Et d’ajouter : « On n’a pas seulement des droits lorsqu’on est parlementaire. On a des devoirs et le devoir d’un parlementaire est de siéger sur ces bancs à l’Assemblée. Et il n’y a pas d’excuses à invoquer. »

Mais pour clôturer ce moment de spectacle, le gouvernement Macron-Barnier-Le Pen a à sa disposition une Constitution antisociale et antidémocratique(6)On pourrait dire illibérale en réalité. La rigolade est que certains pensent que la Constitution de la Ve République française est démocratique et fustigent d’autres pays qu’ils nomment illibéraux. Eugénie Mérieau, maîtresse de conférences de l’Institut des sciences juridiques et philosophiques de la Sorbonne, a montré dans l’ouvrage La dictature, une antithèse de la démocratie ? sous-titré par 20 idées reçues sur les régimes autoritaires que les régimes autoritaires se libéralisent et que les démocraties s’autocratisent, les frontières entre les deux se brouillant. Sa thèse est que cela dessine une zone de convergence vers les démocraties illibérales. Si on la suit, il ne reste plus beaucoup de vraies démocraties dans le monde !. Toute une série d’articles permet au gouvernement d’arrêter la société du spectacle. Il lui suffit d’enjamber le vote de l’Assemblée nationale par l’utilisation de l’article 49-3 qui permet alors au gouvernement de choisir seul les amendements acceptables.

En fait, les débats sur le budget de l’État et celui de la Sécurité sociale, donc les deux débats les plus importants du Parlement font partie de la société du spectacle et les articles antidémocratiques de la Constitution en empêchent le vote démocratique.

Le seul risque est la censure du gouvernement si le RN décide de faire tomber le gouvernement. C’est peu probable vu qu’il est encore tenu par un procès ennuyeux sur un éventuel détournement de fonds publics européens. Mais il peut faire également appel à l’article 47 qui permet d’arrêter le débat à l’Assemblée si le vote n’est pas intervenu dans les 40 jours (date limite 21 novembre 2024 pour le budget de l’État et 14 décembre 2024 pour le budget de la Sécurité sociale). En fait, le 26 octobre, à la date limite initiale pour le vote de la loi sur le budget de l’État, il restait 1500 amendements non étudiés, le gouvernement a donc décidé de reporter la suite du débat sur le budget de l’État au 5 novembre 2024 après le vote prévu du budget du projet sur la Sécurité sociale. Quant au débat en commission des affaires sociales sur le PLFSS 2025, il s’est passé la même chose que pour le budget de l’État, à savoir que des amendements de gauche ont été votés, mais le texte amendé a été repoussé.

C’est donc le texte du gouvernement qui sera présenté à l’Assemblée nationale. Pour la niche du 31 octobre 2024 du RN, le texte est devenu vide après, qu’en commission des affaires sociales, les députés macronistes et LR ont obtenu contre les députés RN la suppression des articles 1 et 2 qui stipulaient le retour à la retraite à 62 ans et de la durée de cotisation à 42 ans. La gauche s’abstenant. Et en séance plénière, il ne restait plus qu’à la présidente de l’Assemblée nationale d’empêcher en séance le RN de vouloir remettre les articles supprimés par des amendements en dégainant l’article antidémocratique 40 (qui empêche les amendements qui augmentent les dépenses). En fait, les débats sur le budget de l’État et celui de la Sécurité sociale, donc les deux débats les plus importants du Parlement font partie de la société du spectacle et les articles antidémocratiques de la Constitution en empêchent le vote démocratique. Nous sommes donc bien dans un régime illibéral(7)Un régime illibéral qualifie un régime politique qui respecte certaines règles comme les élections, mais s’affranchit de contraintes constitutionnelles et réduit les libertés individuelles ou publiques, tout comme le font les dictatures. !

Les résistants

Comme dans toute l’histoire, ici et là, naissent des noyaux de résistance aux flots dominants. Au départ, ces résistants prennent conscience que de nombreuses institutions et organisations sont gangrenées par une hégémonie culturelle qui tourne le dos aux intérêts du plus grand nombre en étant soumise à un pouvoir largement minoritaire, mais fortement soutenu par les forces de l’argent, le pouvoir discrétionnaire des nominations et une Constitution illibérale. Leurs faiblesses sont qu’ils sont au départ isolés et avec peu de soutiens des directions des organisations existantes. Jusqu’au moment où ils comprennent que tout est possible et que ce sont les petits ruisseaux qui font des rivières puis des fleuves. Ainsi va la vie.

Notes de bas de page

Notes de bas de page
1 Voir son dernier ouvrage La droitisation française, mythe et réalités.
2 « PLFSS 2025, le scandale demanderait une mobilisation générale ».
3 Nous utilisons ce mot dans le sens donné par le sociologue du CNRS Marc Joly dans son ouvrage La pensée perverse au pouvoir, sens donné avec les outils des sciences sociales. À noter que cette perversité au pouvoir n’a pu se développer que grâce à la Constitution française illibérale.
4 Car le NFP a fait 28 % des voix au premier tour des législatives du 30 juin 2024 et il manque plus d’une centaine de députés pour être majoritaire à l’Assemblée nationale.
5 Second groupe de l’Assemblée nationale en nombre de députés.
6 On pourrait dire illibérale en réalité. La rigolade est que certains pensent que la Constitution de la Ve République française est démocratique et fustigent d’autres pays qu’ils nomment illibéraux. Eugénie Mérieau, maîtresse de conférences de l’Institut des sciences juridiques et philosophiques de la Sorbonne, a montré dans l’ouvrage La dictature, une antithèse de la démocratie ? sous-titré par 20 idées reçues sur les régimes autoritaires que les régimes autoritaires se libéralisent et que les démocraties s’autocratisent, les frontières entre les deux se brouillant. Sa thèse est que cela dessine une zone de convergence vers les démocraties illibérales. Si on la suit, il ne reste plus beaucoup de vraies démocraties dans le monde !
7 Un régime illibéral qualifie un régime politique qui respecte certaines règles comme les élections, mais s’affranchit de contraintes constitutionnelles et réduit les libertés individuelles ou publiques, tout comme le font les dictatures.