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« L’HOMME DU BREXIT », MICHEL BARNIER

Cette tribune n’est pas une prédiction, la Rédaction de ReSPUBLICA ne bénéficiant d’aucune boule de cristal… Le pronostic de l’auteur n’engage que lui mais il édifiera en mettant en évidence la fabrication d’un candidat présidentiel par les médias.

Les pronostics politiques sont du même ordre que l’astrologie, en général faux, mais tellement amusants… donc amusons-nous un peu.

Connaissez-vous la technique de communication dite du storytelling ? C’est au départ une pratique publicitaire, née aux USA dans les années 1980-90, fondée sur une structure narrative du discours s’apparentant à celle des contes et des récits. La Commission d’enrichissement de la langue française préconise d’employer le terme de « mise en récit ». Comme nous sommes à ReSPUBLICA des républicains convaincus et que la langue française est constitutionnellement celle de la République, nous suivrons donc cette recommandation… bien que l’expression québécoise « d’accroche narrative » soit très parlante également.

De quoi s’agit-il ? Tout simplement d’appliquer des procédés narratifs aux techniques de communication pour renforcer l’adhésion du public au fond du discours. Bref, plutôt que d’utiliser la trilogie classique « reconnaissance d’un problème / analyse / préconisation d’une solution », on raconte une belle histoire, un conte, pour subjuguer le public sur une base émotive et affective. Cette technique pourrait être une illustration de la « société du spectacle » théorisée par Guy Debord.

Initialement conçue pour les grandes multinationales, telles Coca-Cola par exemple, la « mise en récit » s’est rapidement étendue au domaine de la communication politique. Son avènement en politique aux États-Unis date de l’arrivée au pouvoir de Ronald Reagan, et ses successeurs l’ont perpétuée, voire radicalisée. On se souvient de Barack Obama racontant à la manière d’une saga les débuts de son engagement politique dans les quartiers pauvres de Chicago. Puis le storytelling américain s’est propagé en Europe, dont en France, en particulier lors de la campagne électorale de 2007. Ses deux principaux protagonistes, Nicolas Sarkozy et Ségolène Royal, se sont surtout affrontés sur le terrain de leurs histoires personnelles et de leur capacité à les mythifier, plutôt que dans le domaine des idées. Cette dérive n’est possible qu’avec la complicité des médias et le rôle croissant des conseillers en communication (spin doctors).

Lors de la dernière campagne électorale pour la présidentielle, la « mise en récit » fut particulièrement essentielle pour rendre moins terne le candidat Macron, bon élève certes mais sans vraiment d’expérience, technocrate brillant mais débutant sans aspérité. Ariane Chemin, journaliste émérite au quotidien Le Monde, se chargea de la besogne de la « mise en récit ». Ce fut donc la « belle histoire d’amour » entre l’adolescent amoureux et sa professeure de théâtre. Ce conte, digne du magazine Nous deux, fit florès et mit de la chair sensible et un peu rebelle sur un phénomène politique finalement sans trop de saveurs et difficile à vendre.

Barnier, « l’homme du Brexit »

Pour la campagne électorale présidentielle de 2022, aucun candidat en lice ne dispose d’une vraie « mise en récit » excepté Michel Barnier ! 

Le récit remonte fin 2019-début 2020, juste avant la Covid-19. En effet, le 17 octobre 2019, à l’approche du Brexit, Michel Barnier est nommé pour un an à la fonction de représentant de l’UE chargé de la future relation avec le Royaume-Uni par l’ineffable Jean-Claude Juncker. C’est lui qui a la responsabilité des négociations du Brexit avec le très coriace Boris Johnson. Tous les médias français se mirent de la partie pour décrire cette négociation-marathon avec la « perfide Albion », un bras de fer d’homme à homme avec Boris le blondinet les cheveux en bataille. On imagine le grand Michel (un mètre quatre-vingt-dix !) ferraillant à quatre heures du matin, la cravate desserrée, la sueur au front, sur la dette britannique, les droits de pêche ou encore le statut de l’Ulster… du jamais vu depuis Du Guesclin !

Finalement en trois mois, notre héros national et européen boucla l’affaire, une performance pour une négociation qui semblait sans fin. L’accord fut signé et les parlements britanniques et européens l’entérinèrent à une large majorité, bref du très bel ouvrage.

Qui a gagné la négociation ? L’Europe ou le Royaume-Uni ? Pour l’observateur des médias internationaux, la distorsion est patente : les journalistes français ont considéré quasi unanimement que « Boris Johnson avait dû en rabattre », comme le signalait Le Monde. La structure des articles de presse de l’époque interpelle, de Libération au Point en passant par l’Obs ou l’Express. En fait, il s’agissait toujours d’un survol assez vague et d’appréciation généraliste qui n’entrait pas dans le vif du sujet. Pour les journaux français, l’Europe avait gagné… mais on ne disait pas comment ni sur quels points précis. L’analyse de l’accord, article par article, et qui des Britanniques ou des Européens avaient eu le dessus, n’était jamais exposé. Par contre, les médias en langue anglaise ou espagnole ont donné une toute autre version. Le « bluff » du Brexit sans accord, agité comme un chiffon rouge par le Premier ministre britannique semblait avoir fonctionné pour la presse américaine, argentine ou encore indienne. Avec peu d’atout, l’île du Royaume-Uni, dépendant de l’approvisionnement continental, avait gagné le match de boxe, non pas par KO mais largement « aux points ».

Les médias français sont donc restés dans le vague pour préserver Michel Barnier, le négociateur hors pair. La « mise en récit » s’est donc construite sereinement pour aboutir aujourd’hui à un consensus médiatique positif. En effet, pour que cette technique narrative fonctionne à plein, elle doit être admise comme une évidence incontestable par l’ensemble du spectre médiatique. C’est le cas pour « l’homme du Brexit ». 

Bien sûr, derrière ce consensus médiatique se cache un autre consensus, celui des propriétaires des médias. L’oligarchie française prépare donc pour décembre prochain, moment de la désignation par le Parti Républicain du candidat unique de la droite, la future « Barnier mania » comme le titre déjà cette semaine le magazine Le Point… Après cette première étape nous assisterons – qui sait ? – à l’épisode de « l’irrésistible ascension de l’homme du Brexit » face à une extrême droite soudainement divisée, par chance pour la droite classique !

Décidément, et pour paraphraser le titre du Monde d’il y a quelques jours, L’homme du Brexit « coche toutes les cases »… du Capital !

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