La crise du profit dans l’économie réelle démarrée à la fin des années 60 a eu comme conséquence la prise du pouvoir du mouvement réformateur néolibéral en 1979 aux États-Unis et en Grande-Bretagne, en 1983 en France et en 1991 en Russie. La tectonique géopolitique a alors conduit les différents pays à des lignes stratégiques hybrides en fonction de l’histoire, de la géographie, des forces populaires, économiques, culturelles en présence.
Pour la France, la résistance au mouvement réformateur néolibéral s’est concrétisée par de nombreuses luttes syndicales et sociales contre les contre-réformes des divers gouvernements dont la grande grève de novembre/décembre 1995, elle s’est aussi exprimée, mais de manière plus ambiguë dans la dynamique du non à Maastricht en 1992 et en 2005 sur le traité constitutionnel. Dans tous les cas, l’oligarchie capitaliste a réagi en accentuant les politiques néolibérales et les contre- réformes et en abaissant le niveau de la démocratie.
L’incapacité des organisations de gauche à comprendre le réel a permis à l’oligarchie capitaliste de se servir des crises économiques de 2000 et de 2008, tel un spécialiste de l’aïkido et non de karaté, pour durcir les politiques austéritaires engagés par le mouvement réformateur néolibéral soutenu dans la plus grande partie de l’Europe par le mouvement ordolibéral.
Depuis le mouvement réformateur néolibéral a en plus inoculé à la gauche un virus identitaire, très dangereux, à savoir d’utiliser sa force de nomination, de financement, d’incorporation dans la sphère médiatique, pour remplacer à gauche le primat de la lutte des classes par celui du primat des luttes identitaires de race et de genre (primat tout à fait compatible avec le capitalisme) en développant dans la gauche, une idéologie qui nous vient des États-Unis, et qui s’est nommée de façon impropre, le communautarisme, le wokisme ou l’islamo-gauchisme. Résultat provisoire, la gauche de gauche est explosée laissant place à des gauches impuissantes, une gauche de la gauche et une gauche néolibérale, avec une part importante de la classe populaire ouvrière et employée, des jeunes de moins de 35 ans, qui se réfugient dans l’abstention. D’où électoralement, une bataille principale à l’intérieur des couches moyennes et supérieures, ce qui donne obligatoirement la victoire à un des trois projets de droite (extrême centre, extrême droite populiste, union des droites incluant l’extrême droite catholique).
Aujourd’hui, en France, le relativisme culturel arrivé avec le mouvement « réformateur » néolibéral, a fait que les fondamentaux de la gauche de gauche (la république jusqu’au bout, la démocratie, la laïcité, l’écologie, le féminisme, la lutte des classes, l’antiracisme radical, l’anticolonialisme, etc.), depuis la Révolution française jusqu’aux années 70, a volé en éclats. Tous ces mots sont devenus confus, glissants diraient les linguistes.
Toutes les définitions historiques sont méconnues, seule est médiatisée et utilisée une multitude de définitions toutes contradictoires entre elles de telle façon que chacun de ces mots peuvent dire tout et son contraire. Résultat : la démocratie bafouée est remplacée partout y compris dans les organisations politiques, syndicales et même associatives par le modèle du gouvernement représentatif présenté lors de la Révolution française par l’abbé Sieyès contre le projet de démocratie ; la laïcité est remplacée par l’identitarisme, l’écologie par un nouvel écologisme compatible avec le capitalisme, le féminisme par un néo-féminisme identitaire, le primat de la lutte de classes par le primat de la lutte des races et des genres, l’antiracisme radical par un néo-racialise réifié, l’anticolonialisme par un fétichisme victimaire même si la lutte des classes doit tenir compte des discriminations particulières pour les intégrer et les combattre.
Tout cela permet de libérer une lutte pour le pouvoir entre l’extrême centre (concept pris chez l’historien Pierre Serna dans son livre L’extrême centre ou le poison français : 1979-2019) macroniste, la droite installée en profond recul, l’extrême droite populaire et l’union des droites avec l’extrême droite catholique et néo-libérale.
La gauche en est de plus en plus divisée sur l’axe gauche-droite bien qu’il soit toujours opérant malgré les dénégations des populistes (l’usage de ce dernier terme mériterait une analyse : de positif au XIXe siècle il serait devenu négatif et confondu avec démagogie). Elle est également de plus en plus divisée sur l’axe autoritaire-libertaire et sur l’axe laïcité-identitarisme. Tout cela a entraîné la montée de l’abstention dans la classe populaire ouvrière et employée et des jeunes de moins de 35 ans préjudiciable à une gauche de gauche démocratique, laïque, sociale, féministe, antiraciste et anticolonialiste.
Et ce n’est pas le soutien va-t’en guerre aux positions des médias de l’extrême centre macroniste, de la droite installée, ou de l’union des droites sur la guerre d’Ukraine de Jadot et d’Hidalgo qui aidera la recherche d’une voie émancipatrice pour la gauche.
Alors que notre média ReSPUBLICA avait soutenu le Front de gauche en 2012 avec Jean-Luc Mélenchon, l’alliance France insoumise-PCF autour de Jean-Luc Mélenchon en 2017, sa position pour l’élection présidentielle de 2022 restera hostile à l’union des droites, à l’extrême droite populaire, à la droite installée, à l’extrême centre, à la gauche néolibérale et à l’écologisme néolibéral, mais aussi à la gauche et à l’extrême gauche identitaire. Nous continuerons donc à appeler à une refondation politique et syndicale pour une gauche de gauche. C’est cette bataille difficile et complexe qu’il faut gagner pour rompre avec les politiques ordolibérales austéritaires, a-écologiques. Il n’est pas sûr que l’étape électorale en ouvre le moindre espoir. Aussi, nous faisons confiance à notre lectorat suffisamment averti pour aller voter en conscience le 10 avril.
Mais il y a pire que cela. Et si nous étions en plus dans une situation similaire qui pourrait rappeler septembre 1914 ? La gauche d’alors avançait par étapes jusqu’à réussir à faire voter l’impôt sur le revenu au tout début juillet 1914. Puis ce fut l’assassinat de Jaurès le 31 juillet et le déclenchement de la « boucherie » guerrière début août 1914. La gauche dans l’imprévision générale voit sa ligne stratégique voler en éclat. C’est l’union sacrée des va-t’en guerre qui va jusqu’à libérer en 1919 l’assassin de Jean Jaurès !
Aujourd’hui, les conséquences prévisibles dues au déclenchement par le gouvernement russe de la guerre en Ukraine font que les programmes politiques des candidats sont, pour une part non négligeable, obsolètes. Les appels à l’intensification du conflit, même si, pour beaucoup, c’est appeler à se battre avec la peau des autres, sans faire la distinction entre les peuples et leurs dirigeants, montrent bien que l’émotion remplace l’analyse raisonnable. Inflation, stagflation, augmentation des prix de l’énergie, réarmement pour des guerres offensives, augmentation forte des gaz à effet de serre, augmentation des inégalités sociales, surdéveloppement des identités au détriment des principes républicains, baisse du pouvoir d’achat des classes populaires et moyennes… sans parler de possibles crises paroxystiques.
Car c’est bien les changements de situation matérielle qui sont déterminants en dernière instance et pas les émotions ou les idées non soumises au débat démocratique. Il conviendra alors que nous prenions tous ensemble le chemin des initiatives de discussion démocratique sur nos territoires. Nous remarquons d’ailleurs que nous recevons de plus en plus de demandes d’intervention sur ces sujets. Amplifions ce mouvement !
Hasta la victoria siempre !