Les mobilisations contre le Front national ont été fort nombreuses, plusieurs générations militantes y ont participé, avec aujourd’hui une certaine lassitude. Certes, cela fait 38 ans que l’extrême-droite française désoriente la vie politique de notre pays, devenant une sorte de marque de fabrique. En septembre 1983, Jean-Pierre Stirbois parvenait à réaliser un score de 17 % à l’élection municipale partielle de Dreux. Depuis, le Front national, puis le Rassemblement national servent en fait de « régulateur politique » : en gelant 15 à 20 % du corps électoral, le vote d’extrême-droite permet la prise de pouvoir de l’exécutif avec des majorités très relatives alternativement de centre-gauche et de centre-droit.
Ainsi, depuis près de quatre décennies, l’extrême droite est instrumentalisée par le pervers régime présidentiel de la Ve République, une situation malsaine et unique dans l’espace occidental. Bref, l’entaille démocratique de septembre 1983 a fini par pourrir la vie politique française.
Mais aujourd’hui les choses peuvent évoluer très rapidement. Cette sorte de routine très déplaisante mais devenue « banale » pourrait dégénérer vers une « sortie de piste », le capital utilisant l’extrême droite de manière… disons plus « traditionnelle ».
Historiquement, le fascisme puis le nazisme ont été soutenus par le grand capital agraire, industriel et financier italien puis allemand, pour résoudre à très court terme une situation inextricable sur le plan du maintien de la domination de l’oligarchie bourgeoise. Le mode d’intervention fut le « surgissement politique » et l’hégémonie idéologique massive par la confusion et le désordre, puis le raz de marée politique violent emportant tout sur son passage.
De 1920 à 1922 en Italie, et de 1930 à janvier 1933 en Allemagne, il n’aura fallu que deux ans aux partis fasciste et nazi pour passer de l’état de groupuscules à ceux de premiers partis politiques. Ces courts moments historiques des années vingt et trente furent marqués par deux éléments fondamentaux : l’accentuation de la lutte de classe en Italie et en Allemagne et l’inadaptation passagère du capital à surmonter la crise financière et la modification des rapports de production à ces moments-là.
Bien sûr, la comparaison avec la situation française de 2022 est difficile. Pourtant, il existe des points communs que la triste exhibition médiatique de Zemmour des trois derniers mois met en exergue.
D’une part, l’accentuation de la lutte de classe est une réalité française depuis l’épisode des Gilets jaunes et la mobilisation contre la réforme des retraites. Ces deux épisodes de mobilisations sociales se sont terminés par des sortes de « matchs nuls ».
D’autre part, la direction du capitalisme financier dans notre pays est assurée par un groupe monopoliste très réduit (du type Bolloré et consorts), totalement inadapté aux nouvelles conditions objectives, et ayant raté dans les années 90 et 2000 le tournant industriel high-tech. Ce groupe en perte de vitesse a propulsé son pantin Zemmour par un « surgissement politique » et médiatique massif depuis septembre 2021. Car cette oligarchie contrôle sans partage, et d’une poigne de fer, le dispositif politico-médiatique.
Dans le même temps, ce même groupe financier restreint n’est pas adapté à l’époque. Par exemple, et pour continuer encore avec Bolloré, celui-ci vend son activité logistique en Afrique. Certes, l’affaire va être juteuse pour le milliardaire breton… mais ce dispositif néocolonial français de première importance va être perdu à jamais ! En fait, le capitalisme français est sur le reculoir, il perd des parts de marché en France, en Europe et dans le monde entier.
Sur quoi va donc reposer demain la domination du cartel financier à la sauce Bolloré et consorts ? Sur quelle base industrielle ou financière ?
En pré-banqueroute à l’ère de la globalisation, reste pour lui la solution de dernière instance du « repli français » pour s’assurer une rente de survie. D’où l’hypothèse, espérons-le sans avenir, d’une domination rentière purement parasitaire, bref une activité de pillage et de prédation financière grâce à l’État.
C’est une possibilité du « moment historique »… d’où une possibilité, une tentation de mise en place d’un pouvoir autoritaire par l’exécutif avec la participation de l’extrême-droite au pouvoir.
Cette inadaptation du capitalisme français est la raison fondamentale qui rend la conjoncture extrêmement dangereuse et qui pourrait justifier l’hypothèse d’un danger de fascisation.