Quand ce qui s’appelle la gauche abandonne la classe populaire, le résultat est clair : la classe populaire abandonne la gauche !

You are currently viewing Quand ce qui s’appelle la gauche abandonne la classe populaire, le résultat est clair : la classe populaire abandonne la gauche !

Ce titre est un dérivé du texte d’analyse de Bernie Sanders (réélu sénateur du Vermont, situé politiquement à l’aile gauche du Parti démocrate américain) sur l’échec retentissant de Kamala Harris à la dernière élection présidentielle américaine du 5 novembre 2024. Cet échec du Parti démocrate montre en miroir les faiblesses de la gauche française, qu’elle soit acquise au néolibéralisme et/ou aux idéologies identitaires.

Une analyse reposant sur des faits : paupérisation, précarité sanitaire

Ecoutons-le :

Paupérisation

Il n’est pas surprenant qu’un Parti démocrate qui a abandonné la classe ouvrière se rende compte que la classe ouvrière l’a abandonné. D’abord, ce fut la classe ouvrière blanche ; aujourd’hui, ce sont aussi les travailleurs latinos et noirs. Alors que les dirigeants démocrates défendent le statu quo, le peuple américain est en colère et veut du changement. Et ils ont raison. Aujourd’hui, alors que les très riches s’en sortent scandaleusement bien, 60 % des Américains vivent avec la peur d’être à découvert avant la fin du mois. Parallèlement, les inégalités de revenus et de richesses n’ont jamais été aussi importantes. Il est difficile de le croire et pourtant : les salaires du travailleur américain moyen (corrigés de l’inflation) sont en fait plus bas aujourd’hui qu’ils ne l’étaient il y a 50 ans

Craintes pour l’emploi

Aujourd’hui, malgré l’explosion de la technologie et de la productivité des travailleurs, de nombreux jeunes auront un niveau de vie inférieur à celui de leurs parents. Et beaucoup d’entre eux craignent que l’intelligence artificielle et la robotique n’aggravent cette situation

Précarité sanitaire dans un pays riche

Aujourd’hui, malgré des dépenses par habitant bien supérieures à celles d’autres pays, nous restons la seule nation riche à ne pas garantir à tous les soins de santé auquel devrait avoir droit n’importe quel être humain. Pourtant, nous payons, de loin, les prix les plus élevés au monde pour les médicaments sur ordonnance. De même, nous sommes les seuls parmi les grands pays, à ne pas même garantir des congés parentaux payés ou à indemniser les arrêts maladie. 

Soutien quasi inconditionnel au massacre de masse des Palestiniens

Aujourd’hui, malgré la forte opposition d’une majorité d’Américains, nous continuons à dépenser des milliards pour financer la guerre totale du gouvernement extrémiste de Netanyahou contre le peuple palestinien, qui a conduit à l’horrible catastrophe humanitaire liée à la malnutrition de masse et à la famine de milliers d’enfants

Mainmise de l’oligarchie financière sur le Parti démocrate

Les intérêts financiers et les consultants grassement payés qui contrôlent le Parti démocrate tireront-ils de véritables leçons de cette campagne désastreuse ? Comprendront-ils la douleur et l’aliénation politique que subissent des dizaines de millions d’Américains ? Ont-ils une idée de la manière dont nous pouvons nous attaquer à l’oligarchie de plus en plus puissante qui a tant de pouvoir économique et politique ? Probablement pas. Dans les semaines et les mois à venir, ceux d’entre nous qui se préoccupent de la démocratie populaire et de la justice sociale doivent engager des débats sur ces questions-là. La suite au prochain épisode

Chez nous : une vision identitaire déformante

Une fois que vous avez lu cela, n’êtes-vous pas pris de vertige sur les discours des médias dominants français, mais aussi des principaux dirigeants de la gauche syndicale et politique française ? Pensez donc, beaucoup de militants français de gauche ont attrapé le virus identitaire selon lequel Kamala Harris est une femme métisse donc quelqu’un qui doit recevoir le Bon Dieu sans confession ! Qu’elle soit plus proche de Margaret Thatcher que de Rosa Luxembourg ne semble pas gêner ces militants de gauche.

Un déni de la réalité

Pourtant, les politiques de Clinton, d’Obama, de Biden et de la direction du Parti démocrate américain sont entièrement responsables de la victoire totale de Trump en 2024. Rendez-vous compte, on a eu le choix entre Trump et Biden en 2020. Biden a été élu et a fait une politique qui a conduit à l’élection de Donald Trump en 2024.

Quatre ans plus tard, Donald Trump redevient président, mais cette fois avec tous les pouvoirs (la Cour suprême et les deux chambres parlementaires). Dans tous les pays développés occidentaux, c’est bien la gauche néolibérale et l’extrême-centre (aux Etats-Unis, la direction du Parti démocrate unifie ces deux courants politiques) qui développent le mécontentement populaire et favorisent à terme la montée électorale des partis illibéraux.

Dans le contexte géopolitique et économique actuel, seule une gauche de gauche peut rassembler la classe populaire et donc contrer les pulsions illibérales du capitalisme actuel. Donc aux Etats-Unis, avec l’actuel mode de scrutin, c’est bien le fait que la direction du Parti démocrate ait préféré présenter contre Trump une candidate de la droite du parti démocrate plutôt qu’un candidat de la gauche du parti démocrate (ligne du sénateur Bernie Sanders) qui est responsable du désastre électoral. Car c’est bien un désastre : par rapport à Biden 2020, Kamala Harris perd plus de 10 millions de voix !

Kamala Harris : poursuite de l’abandon des préoccupations des classes populaires

Kamala Harris, militante de l’aile droite du parti démocrate, a fait sa campagne autour de deux slogans : Freedom (Liberté) et Joy (Joie). Aucun des deux slogans ne peut répondre à ces préoccupations des classes populaires, souvent vitales :

  • Remplir le frigo des 60 % des Etatsuniens et de leurs familles qui ne peuvent pas manger sainement et de façon équilibrée,
  • Ou se faire soigner selon leurs besoins,
  • Ou se loger d’une façon digne et stable,
  • Ou mettre leurs enfants dans une école performante, les écoles des quartiers pauvres ayant 10 à 20 % de moins de crédits publics et les enseignants des quartiers pauvres étant bien moins payés(1)A noter que la bataille pour promouvoir une école publique de qualité a poussé, mardi 5 novembre, jour de l’élection de Trump, les électeurs du Colorado, du Kentucky et du Nebraska à voter la suppression du financement public des écoles privées qui avait été adopté dans leurs États au détriment des écoles publiques..

Et, oui, alors que l’économie américaine est florissante(2)Le PIB par habitant des Etats-Unis a augmenté depuis 2008 de 60 % en dollars courants, bien plus que dans l’Union européenne., l’espérance de vie à la naissance des Américains est inférieure à celle de l’Arabie saoudite et de la Chine, le taux de surpoids et d’obésité est le plus élevé du monde occidental, la consommation massive de drogues et surtout des opioïdes de synthèse est destructurante par ses ravages, le coût de la santé par habitant est le double du coût en France, le taux d’homicide et le taux d’incarcération placent les Etats-Unis en position de champion du monde occidental en la matière et la confiance aux médias américains est tombé de 32 % à 12 % depuis 2016.

Bilan d’une « gauche » étasunienne acquise à l’idéologie woke

Voilà le résultat d’une gauche américaine gagnée aux politiques identitaires en lieu et place d’une politique sociale de classe qui seule peut unifier la classe populaire. Le wokisme n’est qu’une des formes des politiques identitaires, mais il est un véritable soutien idéologique du capitalisme étatsunien.

Les politiques identitaires sont des adjuvants remarquables au maintien du capitalisme, malgré une politique capitaliste de plus en plus inégalitaire.

Cette politique identitaire permet de pousser la gauche à ne considérer que le sociétal et à ne plus se soucier du social. C’est donc tout bénéfice pour le grand patronat qui peut pratiquer la lutte des classes sans difficulté, puisque le wokisme divise son seul adversaire, la classe populaire. Et dans ce cas, la division de la classe populaire en est la conséquence. Les politiques identitaires sont des adjuvants remarquables au maintien du capitalisme, malgré une politique capitaliste de plus en plus inégalitaire.

Mais ce qui se passe aux Etats-Unis se retrouve dans tous les pays du monde développé. Bien sûr, l’histoire de chaque pays est singulière, mais le fond est commun. Et dans cet environnement, le capitalisme se porte bien : les dividendes mondiaux ont progressé de plus de 3 % au troisième trimestre 2024 pour atteindre 431,1 milliards de dollars. Selon le gérant d’actifs Janus Henderson, les versements de dividendes pourraient atteindre 1730 milliard de dollars cette année, un nouveau record.

Et la France dans tout ça ? Une certaine gauche rattrapée par les mêmes défauts

Eh bien, la gauche française se débat entre deux maux comme aux Etats-Unis, la régression néolibérale et l’obsession identitaire. C’est l’avis de l’économiste David Cayla(3)La gauche entre régression néolibérale et obsession identitaire – AOC media. qui, partant du niveau électoral très faible et de son absence de progression depuis 2017, montre pourquoi elle échoue à progresser, pourquoi elle a déçu depuis 1983, pourquoi elle n’a cessé de s’éloigner des catégories sociales qu’elle devrait incarner, pour avoir aujourd’hui une sociologie principalement « composé des catégories moyennes déclassées et diplômées qui habitent dans les métropoles et les centres-villes… À ce titre, l’échec de Fabien Roussel et l’élection très difficile de François Ruffin en juillet dernier dans leur circonscription respective témoignent du fait que l’éviction de la gauche de ses bastions historiques se poursuit et que le décalage entre la gauche parlementaire et les populations qu’elle entend représenter s’approfondit ».

Pour David Cayla, cette évolution est en partie due à la désindustrialisation massive favorisée par la « dynamique de spécialisation au sein de l’Union européenne », dans le cadre de laquelle les « élites » de la France nous ont fait croire que le développement des services allait être profitable à notre pays. Et cette politique, qui a obtenu le soutien de la gauche gouvernementale, est mise en œuvre et par cette gauche et par la droite.

Gauche complice des politiques libre-échangistes

Pourquoi accuser la gauche de complicité ? Principalement parce que c’est elle qui est à l’origine des grandes décisions qui ont accéléré la désindustrialisation française. À ce titre, le « tournant de la rigueur » de 1983, mais surtout la mise en place du marché unique européen par Jacques Delors lorsqu’il était président de la Commission européenne (1985-1995), la création de l’euro en janvier 2002, le mandat de François Hollande, l’extrême-centre macroniste furent des étapes décisives dans la conversion de la gauche au capitalisme néolibéral.

Le marché unique organise un double processus de concurrence : libre circulation interne du capital, suppression du contrôle des flux de capitaux imposé par l’ordolibéralisme allemand favorisant les délocalisations et fonctionnement de plus en plus grand des multinationales françaises à l’étranger. Aujourd’hui encore, le mantra actuel de l’Union européenne, dernier étage de la fusée de ce capitalisme néolibéral, est l’union du marché interne des capitaux pour supprimer les dernières régulations de l’épargne et des marchés financiers proposée par la Commission européenne et y compris par Mario Draghi.

Faiblesses des positionnements du NFP

Mais comme le dit à longueur d’articles le journal ReSPUBLICA, la gauche des leaders de la NFP ne pêche pas seulement par son flanc gauche néolibéral et gestionnaire, mais aussi par son flanc gauche identitaire et sociétal qui se présente en favorisant des antagonismes principalement sociétaux. Le lien entre les deux flancs de la gauche (néolibéral et identitaire) est la gauche Terra Nova, qui ne conteste plus l’économie capitaliste, qui ne propose plus un modèle politique non capitaliste, qui propose donc uniquement une redistribution plus importante (donc pas de « double besogne »), qui mobilise principalement au niveau des affects et des valeurs morales, qui abandonne la classe populaire ouvrière et employée (ce qui renvoie au début de cet article avec Bernie Sanders) qui subit de plein fouet les politiques de la concurrence exacerbée.

Une gauche de gauche qui s’appuie sur le primat des avancées sociales

Oui, il faut une autre gauche, qui globalise tous les combats (économiques et sociaux, laïques, démocratiques, féministes, antiracistes), mais avec le primat du social et l’assurance de répondre à la lutte des classes qui seule peut fédérer, dans un pays développé, et dans un bloc populaire, la classe populaire ouvrière et employée (45 % de la population active) avec les catégories moyennes intermédiaires. Nous nous retrouverons dans les semaines qui viennent pour continuer notre étude et tenter de parfaire nos analyses et nos actions vers une société plus humaniste, plus juste, moins inégalitaire et populaire, société qui demande la création d’une gauche de gauche, alors que nous allons entrer dans une crise de régime en France.

Notes de bas de page

Notes de bas de page
1 A noter que la bataille pour promouvoir une école publique de qualité a poussé, mardi 5 novembre, jour de l’élection de Trump, les électeurs du Colorado, du Kentucky et du Nebraska à voter la suppression du financement public des écoles privées qui avait été adopté dans leurs États au détriment des écoles publiques.
2 Le PIB par habitant des Etats-Unis a augmenté depuis 2008 de 60 % en dollars courants, bien plus que dans l’Union européenne.
3 La gauche entre régression néolibérale et obsession identitaire – AOC media.