Avec sa dissolution, Emmanuel Macron aura réussi à accélérer la décomposition politique du pays. Il aura donc continué à paver le chemin vers l’union de toutes les droites sous l’égide du RN. Les amis d’Éric Ciotti et de Marion Maréchal ont déjà rejoint l’alliance autour du RN. D’une multitude d’organisations, il aura réussi à la constitution de trois blocs. Et dans ce cas, malheur au troisième pour la suite de la séquence ! On constate des analogies avec les années 30 : petit à petit, le RN compte sur le patronat pour le soutenir ; même si la majorité du patronat préfère encore l’extrême centre macroniste, l’audition des candidats devant les organisations patronales a déjà montré que les patrons ont clairement choisi leur plan B en cas de déroute de l’extrême centre macroniste : ils sont prêts à l’union de toutes les droites sous l’égide du RN.
Dans ce cadre, ReSPUBLICA a dès le 10 juin lancé un appel très clair pour continuer la lutte d’abord en soutenant le Nouveau Front populaire puis en donnant un rendez-vous pour l’après 7 juillet 2024. Dans ce même numéro 24 juin, nous publions un autre appel à voter pour les candidats du nouveau Front populaire. Et puis, rappelons-nous ce conseil d’Aragon :
Quand les blés sont sous la grêle
Fou qui fait le délicat
Fou qui songe à ses querelles
Au cœur du commun combat.
Mais d’ores et déjà, le débat a démarré sur la suite de la séquence. Il est donc normal que nous avancions un peu plus sur ce point. Notamment pour déceler les causes de cette décomposition politique que nous vivons. En paraphrasant Bossuet dans un autre contexte, nous rions de voir une partie de la petite et moyenne bourgeoisie « déplorer les effets des causes qu’ils chérissent », comme si le capitalisme n’était pour rien dans les causes des inégalités grandissantes, comme si Emmanuel Macron était autre chose que le gérant du capital, comme si les 150 milliards de profit du CAC 40 pouvaient exister sans les 160 milliards d’aides aux entreprises financées par notre travail et donc par nos impôts et cotisations sociales. Nous devons clarifier les causes et ne pas seulement déplorer leurs effets. Voilà le but d’une campagne d’éducation populaire refondée qui n’a toujours pas démarré à grande échelle. Nous en sommes à 40 ans de néolibéralisme depuis 1983 au cours duquel chaque gouvernement a fait pire que le précédent en matière économique et sociale. Cela nous a directement conduits au marasme actuel.
L’ordolibéralisme européen a rajouté aux difficultés et continue avec le projet de marché unique des capitaux après le marché unique des biens et des services(1)Lire notre précédent article : « Accepterons-nous le marché unique des capitaux que les néo et ordolibéraux de gôche et de droite nous promettent pour l’Union européenne ? ».. Notre soumission à l’impérialisme étasunien via l’Union européenne nous empêche de pratiquer avec d’autres pays la règle des avantages comparatifs en économie ouverte et nous oblige de pratiquer la règle des avantages concurrentiels(2)Lire à ce sujet les volets 1 et 2 : « Comprendre la crise économique, sociale et politique mondiale – premier volet » et « Comprendre la crise économique, sociale et politique mondiale – deuxième volet », ainsi que le précédent article sur la politique commerciale de la Chine de Wukong : « La Chine, ce pays si mal connu. Comprendre la crise économique, sociale et politique mondiale – troisième volet »..
La gauche a oublié la centralité de la place des salariés dans le procès de travail. Elle a oublié que l’émancipation des travailleurs passe par la souveraineté collective des travailleurs sur leur outil de travail et donc par le développement de la démocratie dans la conduite du travail. Il y a matière à reprendre la réflexion d’un Bruno Trentin et des conseils ouvriers pour la projeter dans le XXIe siècle. Il y a lieu d’arrêter les discours creux sur la transition énergétique pour pouvoir pratiquer une véritable bifurcation écologique(3)Lire notre précédent article : « Pour une bifurcation holistique et donc écologique ». Il convient également de rétablir le primat de la question sociale et donc répondre à la lutte des classes dirigée par la grande bourgeoisie.
Et pour cela, sans doute, il convient de rehausser dans les priorités la bataille interprofessionnelle autour de la sphère de constitution des libertés (école, services publics, Sécurité sociale), par exemple, d’arrêter la dégradation du premier budget humain : la Sécurité sociale(4)Lire à ce sujet : « L’extrême centre macroniste a décidé une attaque sans précédent contre l’assurance-chômage et les 5 branches de la Sécurité sociale qui sera en plus contre-productive sur l’économie ! », puis celle de l’école et bien sûr de tous les services publics. En ce qui concerne les services publics, il convient de noter qu’une nouvelle association intitulée « Nos services publics » est récemment née à partir de jeunes fonctionnaires et qui rassemble de plus en plus d’adhérents et de groupes locaux et départementaux.
Quant à la refondation syndicale et politique, il convient au préalable d’avoir les débats nécessaires sur la géopolitique nouvelle et sur les évolutions sociologiques du vote(5)Lire nos précédents articles « Dans quelle crise sommes-nous ? N° 16 » et « La sociologie du vote du 9 juin va bouleverser la vie politique française »..
Revenir sur les causes de la montée du RN
Comme dit plus haut, tous les gouvernements depuis 1983 ont promu la phase néolibérale du capitalisme, donc y compris des gouvernements de gauche dont la pratique gouvernementale a désespéré de nombreux travailleurs et la jeunesse. Cela a produit la montée de l’abstention, cause première du passage d’une gauche à plus de 50 % des suffrages exprimés à moins du tiers des suffrages exprimés, mais cela a petit à petit installé l’extrême droite sur cette désespérance. Ce néolibéralisme, principalement promu dans la dernière période par l’extrême centre macroniste depuis le cœur de la mandature socialiste d’Hollande, a principalement frappé les zones rurales et les zones périphériques. Là, où le RN fait ses meilleurs scores.
Incontestablement, les services publics ont nettement reculé en France depuis 40 ans. Dans un livre récent intitulé Égalité, accessibilité, solidarité : les renoncements de l’État (Le Bord de l’eau, 2024), une équipe de chercheurs (géographes, sociologues, économistes, urbanistes…) notent notamment que :« le repli de l’offre, constaté à partir des années 1980 pour les services marchands, puis à partir des années 1990 pour les services publics, est quasi généralisé, touchant toutes les régions françaises et fragilisant surtout les territoires ruraux et les petites villes ». Un sociologue de l’INRAE, Benoît Coquard, dans son ouvrage intitulé Ceux qui restent. Faire sa vie dans les campagnes en déclin publié par La Découverte, a mené une enquête d’une dizaine d’années dans la région Grand-Est. Il a montré que la dévitalisation de l’espace social promu par la désindustrialisation de la France et l’entreprise néolibérale de destruction des grandes solidarités de la sphère de constitution des libertés (école, services publics, sécurité sociale) a laissé place à des petites solidarités « entre potes ». Mais cette resocialisation s’est faite par une alliance de classe entre la classe populaire ouvrière et employée vivant la ruralité et la petite bourgeoisie rurale des commerçants, des artisans des petits patrons. C’est ce type de resocialisation qui est le véritable terreau du RN, comme le wokisme qui est principalement produit dans les banlieues populaires à forte communauté musulmane en contact avec la petite bourgeoisie vectorisée par une gauche identitaire « de type Sciences Po ».
En résumé, on ne peut survivre qu’avec du lien social. Et quand on a plus les grandes solidarités des anciens conquis sociaux de la gauche historique (école assurant une mobilité sociale et la formation du futur citoyen, services publics répondant aux besoins, Sécurité sociale avec ses quatre caractéristiques révolutionnaires de 1945-46) qui rassemblait alors une grande majorité de la classe populaire ouvrière et employée alliée aux couches intermédiaires et aux intellectuels qui prônait le primat de la question sociale, on se construit des petites solidarités autour d’alliances de classes géosociales qui définissent une hégémonie culturelle locale et qui influent donc sur la vie politique générale. Tant que la gauche ne reviendra pas à un combat universaliste concret (et non abstrait bien sûr comme le fait la « gôche Canada dry ») rassemblant autour d’un même idéal toutes les classes populaires géosociales actuelles, nous aurons la vie politique que nous connaissons en 2024.
Voilà le challenge des partisans de la République sociale alliant le primat de la question sociale (pour répondre à la lutte des classes menée par la grande bourgeoisie), le tout avec les autres vecteurs de l’émancipation que sont la bifurcation écologique et énergétique, la laïcité, le féminisme, l’égalité, la liberté, la fraternité, la démocratie, le droit à la sûreté et à la sécurité, la souveraineté populaire et… les grandes solidarités de la gauche historique. Mais pour cela, il faut une bifurcation de la ligne stratégique de la gauche pour qu’elle soit réellement à gauche. Quand François Ruffin dit qu’il faut allier les bourgs aux grandes métropoles, il a raison. Simplement, on ne peut pas additionner les deux lignes stratégiques contradictoires que nous venons d’évoquer. Il faut une autre ligne stratégique différente pour assurer un dépassement de celle qui a permis les conquis sociaux.
La France, l’Italie, la Belgique mises en cause par l’UE pour déficit excessif
La Slovaquie (5,9 % de déficit), la Pologne et la Hongrie (5,4 %), la France (5,3 %), la Belgique et l’Italie (4,4 %) et Malte (4,3 %) sont dans le viseur de la Commission de Bruxelles. Trois de ceux-là sont des pays historiques du marché commun. Ce point dont on parle peu, car les élections européennes ont été utilisées par les citoyens principalement pour une volonté d’action nationale. Qu’on le déplore ou pas, c’est une réalité. Le manque de démocratie de l’UE pousse les citoyens à agir là où ils pensent avoir le plus de pouvoir. Mais comme l’influence de l’UE sur la vie des citoyens des 27 pays de l’Union est très importante, il convient d’analyser certains points.
Les pays qui vont être sous l’œil de la Commission européenne sont des pays où l’extrême droite est puissante. Dans ces 7 pays, il y a le deuxième et le troisième PIB de l’UE. Un des deux groupes d’extrême droite (ECR) au Parlement européen vient de ravir la troisième place en importance au groupe Renew (groupe d’extrême centre où siègent les macronistes) qui rétrograde à la 4e place. Et la somme des députés des deux groupes d’extrême droite (ECR et ID) du Parlement européen se hisse au même niveau que le groupe des socialistes et sociaux-démocrates qui est le deuxième en importance du Parlement européen. Le premier groupe, la droite démocrate-chrétienne, améliore légèrement sa taille. Donc, 6 des 7 pays qui vont être surveillés pour déficit excessif sont soit dirigés par l’union de toutes les droites sous l’égide de l’extrême droite, soit ils ont subi une très forte poussée de ladite extrême droite comme en France. On attend comment l’UE va gérer cela. Comme son architecture favorise les politiques néolibérales et austéritaires, il est probable que le nouvel attelage néo et ordolibéral ira dans le sens de la nouvelle droitisation de l’UE.
Le programme peut-il remplacer l’explicitation de la ligne stratégique ?
Avoir un programme est nécessaire, mais est-ce que cela suffit ? Bien sûr que non ! Suffit-il de dire : « on rétablit l’ISF », « on augmente telle prestation », etc. ? Encore faut-il dire comment on l’impose à nos adversaires ! Il faut dire ce que François Mitterrand aurait dû faire en 1983, ce que Tsipras aurait dû faire en 2015. Car ne rien apprendre du passé favorise de transformer le drame en farce ! Car toute politique de gauche entraînera une riposte du capital. Et faire comme si le capital va laisser faire, c’est croire aux contes de fées ! Il nous impose une lutte des classes, nous devons dire comment on va se défendre alors ! Les thèmes des campagnes changent, mais pas les procédés de la réaction politique du capital. Oui, il faut rompre avec le populisme de gauche qui base tout sur la conflictualité et l’antagonisme du « eux » et du « nous » sans comprendre, analyser, pratiquer la lutte des classes. Oui, il faut former un bloc historique populaire interclassiste, mais pas sans la classe populaire ouvrière et employée, car on ne peut pas défendre les intérêts d’une classe contre la classe !
Pourquoi la gauche ne fait qu’une trentaine de % en suffrages exprimés, ce qui correspond qu’à 15 à 20 % des citoyens en âge de voter ? Tout simplement parce que la majorité de la classe populaire ouvrière et employée n’est pas dans le « nous » ! Arrêtons de prendre pour monnaie comptant toutes les idées farfelues qui passent dans la tête des uns et des autres. Si le populisme de gauche fonctionne en Amérique latine, c’est qu’en Amérique latine, l’économie informelle est très importante, le salariat est souvent minoritaire, le niveau d’instruction des masses est faible et que l’armée est une armée populaire. Aucune de ces caractéristiques n’est vraie en France. En Europe, il ne peut exister que le populisme de droite et d’extrême droite !
Alors ceux qui sont toujours sur l’alliance des souverainistes des deux rives, autant dire tout de suite que c’est pour être supplétifs de l’union de toutes les droites ! Faites passer l’idée ! Et la ligne stratégique doit aussi dire comment on fait pour établir la démocratie alors que le capitalisme pousse toutes les vieilles démocraties dans l’illibéralisme ! Osons dire qu’avec la retraite à 64 ans, c’est notre démocratie française qui devient illibérale ! Quant au populisme « gauchiste », cela reste la maladie infantile de toute bifurcation émancipatrice.
L’histoire de toute société jusqu’à nos jours n’a été que l’histoire des luttes de classes. Homme libre et esclave, patricien et plébéien, baron et serf, maître de jurandes et compagnons, en un mot oppresseurs et opprimés, en opposition constante, ont mené une guerre ininterrompue, tantôt ouverte, tantôt dissimulée, une guerre qui finissait toujours soit par une transformation révolutionnaire de la société tout entière, soit par la destruction des deux classes en lutte (Karl Marx, Manifeste communiste).
Sur quels supports médiatiques intervenir ?
Mener une campagne pour une nouvelle hégémonie culturelle, oui, mais sur quels supports ? Notre étude montre que de plus en plus, il faut diversifier les supports pour répondre aux nouvelles habitudes culturelles. Et pour cela, nous avons besoin de vous. Si vous avez des compétences dans les médias ci-dessous, n’hésitez pas à venir travailler avec nous. Première idée, il n’y a plus de médias qui intéressent tous les âges concernant la politique. Les jeunes de 18 à 35 ans sont principalement sur Tik Tok et Instagram. Les 35-49 ans sont sur des boucles de type WhatsApp, Telegram ou autres. Les 50 ans et plus sont sur Facebook et sur Internet. Venez donc nous aider si vous connaissez des personnes intéressées par ces médias.
Notes de bas de page