Une décision de justice qui contrarie la direction d’Attac
On a, dit-on, 24 heures pour maudire ses juges. Jean-Marie Harribey, Aurélie Trouvé, co-présidents d’Attac, et le Bureau de l’association auront, eux, mis plus de trois semaines pour remettre en cause insidieusement l’ordonnance de non-lieu demandée le 28 mai 2009 par le procureur dans son réquisitoire, et rendue le 13 août suivant par le juge d’instruction dans l’affaire de la fraude électorale présumée à Attac.
Alors que, au cours d’une longue procédure, ces dirigeants ont eu de multiples occasions de contester ou de faire vérifier le contenu des auditions menées dans le cadre de l’enquête, ils s’en sont constamment abstenus. Ce qui revenait, de leur part, à valider de bout en bout la démarche du procureur et du juge d’instruction concluant conjointement à ce non-lieu.
Au lieu de s’incliner ensuite devant la décision de la justice, ils ont, dans un communiqué du 7 septembre, mis en scène un procès bis en jetant des noms en pâture sur la place publique par l’instrumentalisation d’un réquisitoire dont ils connaissaient le contenu depuis plus de trois mois et auquel ils n’avaient pas réagi lorsqu’ils étaient en droit de le faire. Cela afin d’entretenir des doutes pourtant levés par la justice.
Ces procédés ne sont pas dignes de dirigeants responsables et, s’ils se poursuivaient, ils ne faciliteraient pas le nécessaire retour à la sérénité dans une association qui devrait, dans l’unité, concentrer la totalité de son énergie à la lutte contre les politiques néolibérales.
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Une ordonnance de non-lieu, rendue le 13 août 2009, vient de mettre fin aux poursuites contre X – unanimement souhaitées et engagées par les différentes tendances en présence à l’époque à Attac -, pour une fraude présumée lors des élections au Conseil d’administration de l’association en juin 2006. Cette ordonnance indique que « ladite fraude est sans doute probable, mais loin d’être certaine ». Elle affirme que les infractions dénoncées ne peuvent être attribuées à quelque personne identifiée que ce soit.
Ce non-lieu aurait dû mettre fin à toute polémique. Or, dans un communiqué du 7 septembre 2009, Jean-Marie Harribey et Aurélie Trouvé, co-présidents d’Attac, et le Bureau de l’association remettent, de fait, en cause cette décision de justice. Ils fabriquent après-coup, de bric et de broc, un scénario fallacieux incriminant nommément quatre anciens responsables de l’association. Lien
1.- Des allégations erronées
Toute l’« argumentation », distillée comme un poison dans ce communiqué, repose sur une contre-vérité : un salarié d’Attac, venu au siège de l’association un soir pendant la période du dépouillement, aurait, de là, été en contact téléphonique avec des responsables postés aux alentours, en vue – c’est lourdement suggéré – de manipuler des bulletins de vote. Dans son message diffusé le 28 septembre, le salarié en question, Christophe Ventura, a mis en pièces cette falsification des faits. (lire copie de sa lettre à la fin de ce message).
Quant aux trois autres personnes citées dans le communiqué du 7 septembre, elles avaient chacune des raisons d’être à Montreuil ce soir-là, comme d’ailleurs plusieurs dizaines d’autres militants d’Attac qui participaient au dépouillement du scrutin, et qui, ensuite, pour certains d’entre eux, se retrouvaient jusqu’à des heures tardives dans les restaurants et bistrots des alentours. En outre, l’une réside à Montreuil ; l’autre réside à Vincennes, à deux rues de la limite de la commune de Montreuil ; et la troisième intervenait à une réunion publique sur la fiscalité, à la mairie de Montreuil en présence du député-maire apparenté PCF Jean-Pierre Brard et du député UMP Hervé Mariton !
Soyons sérieux. Imagine-t-on une seconde que, s’ils avaient eu le moindre doute quant à la véracité des explications fournies lors de l’instruction par les intéressés sur les évènements de cette soirée, les deux magistrats auraient, pour l’un, requis et, pour l’autre, rendu une ordonnance de non-lieu ? Ils auraient fait procéder à des vérifications, à des compléments d’enquête, à des auditions, puis à des mises en examen, à charge ensuite, pour le tribunal correctionnel, de statuer.
De la même manière, comment comprendre que la direction d’Attac et ses avocats n’aient pas demandé des investigations supplémentaires ou fait appel de l’ordonnance s’ils n’avaient pas été eux-mêmes convaincus par les résultats de l’enquête ?
Quant à l’instrumentalisation, dans ce communiqué du 7 septembre, d’un réquisitoire connu depuis le 28 mai, son intention malveillante est manifeste. La mise en exergue de citations « sur mesure » et d’affirmations contraires au contenu dudit réquisitoire – que l’on voudrait transformer en faisceau de présomptions de culpabilité, une fois l’ordonnance rendue -, est une méthode qui défie l’honnêteté intellectuelle. L’objectif est de salir des personnes en entretenant des doutes pourtant levés par la justice.
2.- Double discours : un devant la justice, et un autre pour les adhérents et le public
L’instruction de la plainte d’Attac par la police judiciaire et par le juge a duré près de deux ans, et impliqué de multiples auditions, des géolocalisations d’appels téléphoniques, des vérifications d’emplois du temps, etc. Elle a débouché sur un dossier de plusieurs centaines de pages qui a servi de base au réquisitoire du procureur et à l’ordonnance du juge d’instruction.
C’est à partir de ce dossier, communiqué aux avocats d’Attac, qu’ont notamment été conduites, en octobre et novembre 2008, les auditions, par le juge d’instruction, des représentants d’Attac, ainsi que de Bernard Cassen et de Jacques Nikonoff en leurs qualités respectives de président d’honneur et d’ancien président de l’association. De même pour la confrontation entre les deux parties, tenue le 18 février 2009 dans le cabinet du juge.
Si les représentants d’Attac avaient sérieusement cru au scénario qu’ils tentent maintenant d’accréditer par des méthodes détestables, ils avaient la possibilité, et ils avaient même surtout le devoir de le faire explorer, dans le cadre de l’instruction, par des demandes d’actes complémentaires. Ils n’en ont rien fait, au vu d’un dossier dont ils n’ignoraient sans doute pas la vacuité (1) Élue en décembre 2006, la direction actuelle d’Attac a orienté les investigations dans le but de mettre en cause ses opposants. Comme nous l’avons signalé au juge d’instruction, lors de la confrontation du 18 février 2009, elle n’a pas remis à la justice tous les éléments du dossier, pourtant rendus publics au sein d’Attac.
C’est le cas des bulletins de vote réputés falsifiés, alors qu’ils constituaient le seul élément matériel sur lequel s’appuyer pour la recherche de la vérité.
C’est également le cas du rapport sur l’organisation du scrutin, rédigé par le délégué général à la demande du président, et qui faisait apparaître le caractère chaotique du dépouillement (l’ordonnance de non-lieu évoque d’ailleurs « la franche désorganisation du dépouillement, réalisé dans le désordre et la confusion »).
C’est enfin le cas d’études statistiques qui avaient le tort d’émettre l’hypothèse – et seulement l’hypothèse – que les « anomalies statistiques », certes bien réelles et reconnues comme telles par tout le monde, pouvaient avoir une autre origine qu’une fraude. Sans que le juge ait disposé de ces études, il a néanmoins conclu que« les analyses statistiques ne peuvent à elles seules établir la preuve d’une fraude électorale et encore moins désigner les auteurs de celle-ci ».
Le 18 février 2009, lors de la confrontation chez le juge entre les parties – dont l’objet est précisément de permettre la remise en cause des déclarations des personnes entendues lors de l’enquête de police -, les représentants d’Attac n’ont pas formulé les moindres réserves. En outre, le juge avait indiqué qu’il allait clore le dossier et demandé aux représentants d’Attac s’ils avaient des demandes d’investigations nouvelles à formuler. Réponse : aucune.
Le 12 mars 2009, le juge adressait une lettre à Attac lui donnant trois mois (soit jusqu’au 17 juin, compte tenu des délais postaux) pour formuler des demandes d’actes. Aucune demande ne fut formulée.
Le 28 mai 2009 (soit au moins deux semaines avant l’échéance indiquée plus haut), les représentants d’Attac avaient eu connaissance du réquisitoire du procureur concluant au non-lieu. En bonne logique, ils auraient dû immédiatement réagir et demander de nouveaux actes d’instruction s’ils s’étaient sentis en terrain sûr et avaient eu des hypothèses crédibles à faire valoir devant la justice.
Le 13 août 2009, enfin, ultime occasion délibérément manquée, après l’ordonnance de non-lieu du juge d’instruction, la direction d’Attac avait dix jours pour interjeter appel. Elle n’en a rien fait.
De bout en bout, à chaque étape de la procédure, la direction d’Attac a ainsi validé la démarche des magistrats conduisant au non-lieu. Elle s’est bien gardée d’en informer les adhérents de l’association.
3.- Après le jugement, le montage d’un procès bis
Les co-présidents et le Bureau d’Attac sont soudainement devenus prolixes… mais seulement après la décision du juge. Ils tentent aujourd’hui de mettre en scène un procès bis dans lequel ils sont à la fois officier de police judiciaire, juge d’instruction, procureur et tribunal. Apparemment mécontents de l’ordonnance de non-lieu, mais sans avoir jamais utilisé les recours à leur disposition, Jean-Marie Harribey, Aurélie Trouvé et le Bureau d’Attac veulent faire leur propre « justice ».
Il s’agit là d’un pied de nez aux magistrats et d’une action de désinformation des adhérents d’Attac et du public. Il s’agit surtout d’une basse opération consistant, au mépris du droit des personnes, à jeter des noms en pâture sur la place publique à partir de citations hors contexte et d’informations inexactes. En n’hésitant pas à recourir à de tels procédés, les deux co-présidents et le Bureau d’Attac n’ont pas eu le comportement que l’on attend de dirigeants responsables.
On aurait pu, qui sait, espérer, à la suite du non-lieu, qu’ils présentent des excuses à tous ceux qui avaient été injustement mis en cause. Mais sans doute n’est-il pas trop tard pour qu’ils retrouvent au moins leur sérénité, montrant ainsi qu’ils ne veulent pas nuire à l’image d’une association dont ils sont les représentants légaux. Pour notre part, nous renouvelons la proposition que nous avons faite dans notre communiqué du 4 septembre : mettre un point final à cette pénible affaire. Lien
4.- Un droit de réponse s’impose
Anciens élus d’une association que nous avons fondée et développée, nous ne souhaitons pas contribuer à affaiblir davantage Attac par des poursuites que le communiqué des co-présidents et du Bureau justifierait amplement, mais qui empoisonneraient l’atmosphère pendant encore de longs mois, voire davantage, et achèveraient de décourager les adhérents.
Dans les circonstances actuelles, nous nous en tiendrons donc à demander à la direction d’Attac, au titre des dispositions légales régissant le droit de réponse, que notre communiqué précédent et le présent texte soient diffusés auprès des adhérents et du public par les mêmes canaux que son communiqué du 7 septembre. Pour se faire sa propre opinion, c’est un principe démocratique de base, chacun doit pouvoir disposer des arguments de chacune des parties en présence, et pas seulement de l’information unilatérale de la direction de l’association.
Nous espérons sincèrement que, dans l’intérêt d’Attac, cesseront les remises en question de la décision de la justice. Si tel n’était pas le cas, nous serions, avec regret, dans l’obligation de réagir.
Bernard Cassen et Jacques Nikonoff (anciens présidents d’Attac), Michèle Dessenne (ancienne secrétaire générale d’Attac).
Notes de bas de page
↑1 | Élue en décembre 2006, la direction actuelle d’Attac a orienté les investigations dans le but de mettre en cause ses opposants. Comme nous l’avons signalé au juge d’instruction, lors de la confrontation du 18 février 2009, elle n’a pas remis à la justice tous les éléments du dossier, pourtant rendus publics au sein d’Attac. C’est le cas des bulletins de vote réputés falsifiés, alors qu’ils constituaient le seul élément matériel sur lequel s’appuyer pour la recherche de la vérité. C’est également le cas du rapport sur l’organisation du scrutin, rédigé par le délégué général à la demande du président, et qui faisait apparaître le caractère chaotique du dépouillement (l’ordonnance de non-lieu évoque d’ailleurs « la franche désorganisation du dépouillement, réalisé dans le désordre et la confusion »). C’est enfin le cas d’études statistiques qui avaient le tort d’émettre l’hypothèse – et seulement l’hypothèse – que les « anomalies statistiques », certes bien réelles et reconnues comme telles par tout le monde, pouvaient avoir une autre origine qu’une fraude. Sans que le juge ait disposé de ces études, il a néanmoins conclu que« les analyses statistiques ne peuvent à elles seules établir la preuve d’une fraude électorale et encore moins désigner les auteurs de celle-ci ». |
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