Mi-mars, la banque américaine Silicon Valley Bank (SVB) faisait faillite, entraînant dans sa chute trois autres établissements bancaires spécialisés dans le high-tech. Quasiment immédiatement, en Europe, le Crédit Suisse, prestigieuse banque helvétique, se retrouvait au bord du gouffre. L’ensemble du secteur banquier mondial dévissait en termes de valorisation boursière. Le mastodonte allemand Commerzbank était aussi menacé. En France la BNP et la Société Générale n’étaient pas épargnées par la tempête. Comment expliquer ce phénomène ?
Les principaux médias français ne donnent pas vraiment d’explications, laissant supposer aux lecteurs l’émergence d’une sorte de panique irrationnelle, le « Bank run », qui consiste à se précipiter à son guichet bancaire pour retirer au plus vite tout l’argent sur son compte. Or, il ne s’agit pas de cela. Les banques sont réellement menacées, car leurs bilans sont catastrophiques du fait d’une autre crise moins visible, la crise obligataire de 2022.
Crise obligataire, de quoi s’agit-il ?
Pour commencer, précisons les choses : une obligation représente une fraction d’un emprunt émis par un état, une collectivité locale ou une grande entreprise. C’est donc une dette. Lorsqu’un investisseur souscrit à une obligation, il consent un prêt à l’émetteur de celle-ci, avec un taux d’intérêt et une durée de plusieurs années. Ainsi, chaque année, le créancier reçoit une rémunération (appelée « coupon ») au taux d’intérêt convenu. À l’échéance du prêt, il récupère sa mise de départ… si l’émetteur n’a pas fait faillite entre-temps.
Le taux d’intérêt des obligations est globalement indexé sur les « taux directeurs » décrétés par les banques centrales (Federal Reserve américaine, Banque Centrale Européenne…).
Dernière précision, il existe un « marché obligataire » c’est-à-dire un lieu virtuel où s’échangent les obligations suivant le principe de l’offre et de la demande.
Comment évolue la valeur des obligations sur ce marché ? En fait, très simplement : lorsque les taux directeurs montent, la valeur de l’obligation baisse. Et inversement : lorsque les taux baissent, la valeur de l’obligation monte. En effet, en cas de hausse des taux, de nouvelles obligations sont émises avec des coupons supérieurs à ceux des anciennes.
La valeur des anciennes obligations baisse de facto puisque les investisseurs vont préférer les vendre pour acheter de nouvelles obligations, plus rémunératrices. À l’inverse, lorsque les taux baissent, la valeur des obligations déjà en circulation remonte. Par ailleurs en période d’inflation, le porteur d’une « vieille » obligation mal rémunérée risque de perdre une fraction très importante de sa mise initiale lors du remboursement de la dette à échéance.
On parle alors de « risque de taux » lorsqu’un investisseur revend ses obligations avant leur échéance, et que les taux d’intérêt sont remontés depuis son investissement initial. Dès lors, il perd une partie de son investissement.
Et que se passe-t-il aujourd’hui ? En 2022 une véritable révolution a eu lieu. Après presque 40 ans de baisse régulière des taux directeurs, de près de 15 % en 1984 à presque 0 % en 2021, les banques centrales ont décidé de les augmenter pour combattre l’inflation et éviter de glisser vers une hyper inflation… Et naturellement, ce qui devait arriver arriva, un gigantesque krach obligataire a eu lieu ! La « valeur » des anciennes obligations que les créanciers avaient en stock s’est dépréciée de 20, 40 et parfois 50 %.
La garantie bancaire est constituée d’obligations
Un citoyen ouvrant un compte bancaire réalise un acte de confiance. Il considère en effet que la banque en question est « solide » et qu’il peut y placer ses économies. Cette confiance en cette solidité est relative aux fonds de réserve que cette banque possède réellement dans son bilan pour assurer une fraction des prêts que la banque émet. On parle de « contre-valeur » bancaire aux prêts qu’un établissement consent aux particuliers, aux entreprises, ou aux collectivités.
Or la « contre-valeur » bancaire des grands établissements occidentaux est constituée principalement d’obligations. Pour une grande partie, il s’agit d’obligations d’états (obligations de l’État américain, de la Banque centrale européenne…). Cette réalité a été encore renforcée après la crise financière de 2008. Pour éviter des faillites en chaîne, les gouvernements ont exigé des banques qu’elles placent leurs « contre-valeurs » sur des supports soi-disant sans risque, c’est-à-dire en obligations d’état (on cite souvent les accords internationaux de « Bâle 1, 2 ou 3 » pour assurer la sécurité du système bancaire mondial). Malheureusement, ces « placements de bon père de famille » se sont révélés une catastrophe financière à partir du moment où les taux directeurs remontent en provoquant l’effondrement du marché obligataire. Tout va bien tant que la banque n’a aucun problème de trésorerie, mais au moindre pépin financier, elle est obligée de vendre ses obligations sur le marché et de « réaliser ses pertes »… parfois de plus de 50 % !
Le bilan de toutes les banques est très fortement déprécié
Quelle est la valeur réelle aujourd’hui d’une banque comme la Société Générale ou la BNP en France vu le prix réel de marché des obligations qu’elles ont entre les mains, qui a fondu comme neige au soleil ? Difficile à dire, car ces informations sont tenues secrètes pour éviter une panique boursière. Mais pour donner une idée de l’ampleur du phénomène, prenons l’exemple d’une banque très respectable, obligée légalement de révéler au public l’état réel et actualisé de son bilan. Il s’agit de la Banque Centrale Suisse (BNS). Les chiffres auraient dû alerter les régulateurs et les gouvernements : la banque a annoncé une perte record de 132,5 milliards de francs suisses (133 milliards d’euros) l’an dernier, selon la publication du 31 octobre 2022, confirmée le 6 mars dernier. Une perte essentiellement due aux moins-values sur ses placements en obligations. Remarquons que la BNS comptabilise ses actifs à la valeur du marché, ce que se gardent bien de faire la Fed ou la BCE ! Seule une banque centrale ne peut faire faillite avec un tel bilan.
Les gouvernements et les banques centrales pompiers-pyromanes
Face à cette situation délétère, le président des États-Unis Biden a décidé de garantir tous les dépôts de la Silicon Valley Bank. La garantie du gouvernement a été accordée en catastrophe au système bancaire menacé pour des dizaines de milliards de dollars. En Europe, la Confédération suisse a injecté et garantit pour des dizaines de milliards de francs suisses (un franc suisse vaut approximativement 1 euro). Le gouvernement helvétique a également apporté sa garantie de 25 milliards au rachat du Crédit Suisse par l’autre mastodonte bancaire l’USB. Cette banque a donc racheté sa concurrente pour la somme symbolique de 3 milliards. Bref, un déluge d’argent frais des contribuables s’est répandu sur les banques pour éviter le collapsus.
Mais que faire à terme ? Arrêter le relèvement des taux directeurs pour sauver les banques en provoquant une hyper inflation ravageuse ? Ou continuer de relever les taux pour combattre l’inflation et provoquer la faillite bancaire ? Tel est le choix cornélien des gouvernements pompiers-pyromanes. Mais il est bien possible que les États-Unis et les États européens subissent les deux à la fois, c’est-à-dire une hyper inflation qui menace de remplacer l’inflation d’aujourd’hui ET un système bancaire qui s’effondre par le krach obligataire. Le seul débat qui vaille étant de savoir quel événement se produira en premier.