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A propos de l’affaiblissement du syndicalisme

Reçu de Denis Billon

J’ai lu avec intérêt l’article « Eloge des syndicats »  du dernier numéro.  Le souci constant des capitalistes est de diminuer l’influence possible des syndicats.
Une première méthode est la division syndicale. Elle a lieu nationalement. Les USA ont financé FO pour contrebalancer l’influence de la CGT.L’Eglise catholique n’a pas procédé autrement en créant la CFTC. Et en voyant qu’ils ne touchaient pas les couches de population déchristianisées, ils ont créé la CFDT. Celle-ci est devenue un suppôt du social libéralisme actuel.
L’autre méthode fut la création de classes différentes pour mieux diviser. Et on a vu apparaître des syndicats spécifiques et confidentiels parfois.
Dans un collège, il y a un syndicat pour le personnel de service, un syndicat pour les enseignants, parfois plusieurs en fonction de leurs diplômes, un syndicat pour le chef d’établissement, un syndicat pour le psychologue scolaire, un pour l’infirmière, j’en passe et des meilleures.
Cela permet de jalouser celui qui a un statut réputé plus avantageux.
Enfin, il existe une autre méthode, c’est l’achat. On a acheté les syndicats. Le Medef subventionne, paie les salaires des délégués du personnel, mais aussi des différents représentants syndicaux dans les organisme comme la Sécurité sociale, les différentes caisses de retraite, etc.
Et ces « syndicalistes » sont bien payés, et donc aptes à tous les compromis. Ils sont nommés à vie, selon un critère de répartition entre les syndicats. Je te donne ça et donne-moi ça. On fait disparaître toute forme d’élection et de démocratie.
J’ai connu l’époque où on votait pour les représentants à la Sécu. On a fait de ces représentants des fonctionnaires zélés.
J’ai connu l’époque où le représentant départemental de la CGT faisait deux meetings par jour. Maintenant il fait les conseils d’administration.
J’ai connu l’époque où le délégué syndical ne faisait pas plus de deux mandats. Après il retournait au boulot. Ce n’était pas simple car le patron refusait de réembaucher un ouvrier si bien au courant des droits syndicaux.
C’est aux ouvriers (et à leurs représentants) qu’incombe l’action syndicale ; les évolutions du capitalisme analysées de façon savante par les économistes ne les exonèrent pas de cette responsabilité. Mais comme les évolutions qu’on vient de décrire sont le reflet d’une stratégie délibérée, il sera bien difficile de revenir en arrière.

Reçu de Martine Verlhac

Je suis d’accord pour dire comme vous le faites dans votre texte, Michel Zerbato, que l’article de S. Halimi n’analyse guère les causes de l’effacement syndical. Mais il me semble qu’il faut que vous fassiez encore un effort pour en comprendre certaines causes parmi d’autres (je ne prétend pas pas à une analyse définitive). La gauche et les syndicat ont eu hélas en commun tout au long du XXe siècle l’abandon de la problématique du travail au profit des seules problématiques de l’emploi et de la redistribution. Je ne nierai pas l’importance de ces problématiques, mais si vous aviez lu La Cité du travail de B. Trentin (livre sur lequel j’ai quant à moi écrit un article dans la Quinzaine Littéraire (version courte) et dans la revue Travailler (version longue), vous auriez pu saisir que la question du travail vivant forclose tout au long du XXe siècle a éclaté sous une forme tragique depuis les années 1990. Les nouvelles formes de domination liées au tournant gestionnaire imposé par la finance ont produit des conséquences délétère d’une haute toxicité. D’ailleurs je pense que vous deviez cesser de jouer la concurrence « anti/ou/altercapitaliste » , cesser sans doute aussi de vous contenter de la lutte des classes  pour penser en termes de domination, ce qui aurait l’intérêt de dépasser des luttes de concepts inessentielles pour vous tourner vers ce qui fait problème. Ce qui fait problème c’est le travail et sa disqualification, hélas commune à des camps supposés antagonistes.

Il serait temps de relire l’appel de Philadelphie et de comprendre ce que nous disent des auteurs comme C. Dejours ou Alain Supiot par ailleurs engagés pratiquement dans la défense du travail. Après avoir été longtemps syndicaliste (ce qui veut dire aussi que j’ai passé au moins vingt ans à défendre mes collègues) et avoir quitté tout syndicat pour cause de non défense de mon travail (j’étais dans l’enseignement secondaire puis supérieur), je ne suis pas loin de penser que l’absurde division entre le politique et le syndical est cause de bien des maux et laisse le champ libre aux politiques pour s’investir dans la défense de la finance au nom du « TINA », mais permet aussi au syndicalisme de jouer le jeu convenu que cette division entraîne en ne posant jamais le problème hautement politique du travail . On ne dit jamais assez que la charte d’Amiens eut comme détermination le soupçon légitime que les partis se réclamant de la gauche allaient trahir sur la question de la guerre. Or … à la guerre comme à la guerre, la dépolitisation de la question du travail qui a pu être supportée à l’époque où les travailleurs pouvaient espérer des retombées du système économique, est aujourd’hui un facteur de la désaffection des syndicats qui ont récusé les problèmes que le travail ultra-libéral posait pour la subjectivité humaine, et les syndicats ont eu beau jeu (?) de négliger ces questions. Il le payent aussi du fait de leur non engagement sr la question du travail.

La gauche doit sans doute aujourd’hui opérer un tournant, tournant que n’opérera jamais le FN , même « dédiabolisé » parce que le FN est un parti qui est du côté de la domination malgré des discours populistes.  A vous de voir…

Réponse de Michel Zerbato à Martine Verlhac

Merci de réagir à mon texte, votre commentaire est stimulant.
Je suis d’accord avec vous pour dire que la question de l’emploi et de la redistribution l’a emporté sur celle des conditions de travail. J’ai suivi les débats engagés par C. Dejours ou A. Supiot sur la « souffrance au travail » ou la « subordination », qui sont des questions vitales, au sens propre, mais je n’oppose pas question du travail et question de l’emploi, elles sont toutes deux posées concomitamment par la crise structurelle du capitalisme. Et toutes deux, celle de l’emploi et de la redistribution comme celle du travail vivant et de la domination, renvoient au travail vivant : sans emploi ou redistribution, pas de travail vivant, dominé ou pas. Ce que j’ai alors voulu expliquer, c’est que c’est la place des syndicats dans la lutte des classes dans un capitalisme « intégré » par la consommation, via la redistribution, qui a « naturellement » fait qu’ils ont « priorisé » la défense de l’emploi et des salaires.
C’est selon cette logique que j’oppose alter et anti, car la question du travail vivant, comme vous l’appelez, est posée le rapport capitaliste et durcie par la crise du capital qui impose la baisse des coûts salariaux, soit par la casse des salaires, soit par l’obtention de gains de productivité (cadences, harcèlement, etc.). Dès lors, il n’y a pas de solution dans un alter-capitalisme, qui suppose résolue la crise et la question de l’emploi. C’est le rapport capitaliste qui donne au propriétaire des moyens de production, c’est-à-dire du travail mort, le pouvoir de dominer
le travail vivant, et la lutte des classes n’est que la lutte entre le dominant, que les lois économiques contraignent à toujours obtenir plus du dominé, et le dominé, qui, lui, résiste pour vivre, plus ou moins décemment.
La Déclaration de Philadelphie est pétrie de bons sentiments, mais ses principes n’auront pas plus de réalité que ceux de la Déclaration de 1789 si on ne les situe pas dans une perspective anti-capitaliste, car les lois du capital nient les principes de ces deux déclarations et un alter-capitalisme ne vise pas à les annuler.
Enseignant-chercheur en économie, j’ai été responsable syndical de la section Snésup de mon université pendant la lutte des assistants, dont j’étais, pour l’obtention d’un statut de titulaires. En arrière plan de ce combat, il y avait les conditions d’exercice de notre activité, qui s’opposaient déjà au pluralisme des idées. Très vite, avec les difficultés économiques des années 80, la dérive dont nous parlons a commencé, et je me suis quelque peu écarté du syndicalisme, jusqu’à ne plus payer ma cotisation dans mes dernières années « actives ». Cette dérive était la conséquence du tour technicien pris par le syndicalisme, avec, j’en conviens sans peine, l’abandon de la question des conditions de travail, ou plutôt l’assimilation de cette question à celle des moyens. Contrairement à ce que vous semblez penser, je ne nie pas « le problème hautement politique du travail », bien au contraire, mais le marxiste matérialiste que je suis, critique de l’économie politique, le renvoie à la nature capitaliste des rapports sociaux de production, pas à quelque anthropologie sociale, aussi méritoire soit-elle. Car, je le répète, la domination n’est pas un fait politique, social ou juridique, ce ne sont là que mises en musique d’une partition écrite par l’histoire des rapports de production.
Pour conclure, votre souci du travail vivant est totalement légitime, et je constate avec vous qu’il n’est pas celui des syndicats, mais je maintiens que ce n’est pas la cause principale de la désaffection qu’ils subissent. Parce que, quand il s’agit de sauver les meubles, la conscience du travail, dont vous déplorez à juste raison la perte, est noyée dans la recherche des conditions matérielles de la vie et a bien du mal à remonter à la surface.

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