D’entrée, le titre surprend : « épistémologie du travail productif « . Diable ! une nouvelle discipline du savoir ? Et puis, réflexion faite, il s’agit d’une métonymie : dans le langage familier, voire journalistique, on peut boire un verre, le contexte signifiant quel est le contenu, mais scientifiquement parlant, on boit le contenu précis du verre. L’épistémologie étant la science du savoir, il s’agit donc ici de l’analyse critique des méthodes d’obtention du savoir sur le travail productif. JMH semble donc souhaiter reprendre notre discussion sur ce terrain, mais c’est précisément celui sur lequel je m’étais situé pour lui répondre. Peut-être ne s’en est-il pas rendu compte, parce que ce n’est pas sur celui-là qu’il répond à son tour.
Dans un échange de mails consécutif à ma critique de son « retour sur le travail productif », il m’avait indiqué vouloir prolonger notre débat, et je lui avait signifié que pour moi le débat était clos, ne voyant pas sur quelle base il pourrait bien se poursuivre : « je ne vois pas comment tu pourrais fonder ta position [théorique] sur l’analyse du travail productif que fait Marx […] puisque Marx a répondu par la négative, de manière claire et nette, à la question du caractère productif du travail salarié dans les services publics [et] si tu veux continuer à te réclamer de Marx, tu dois le critiquer sur sa cohérence interne, afin d’arriver à « déceler des contradictions » chez lui. » Il persiste à vouloir débattre, hé bien, « des-bâtons » !
Je rappelle que l’objet de ma réponse à JMH était de montrer épistémologiquement pourquoi il ne pouvait pas s’appuyer sur Marx pour soutenir sa thèse1. Refusant évidemment mes arguments, ignorant délibérément les citations de Marx sur lesquelles je me suis abondamment et rigoureusement appuyé, JMH revient à la charge en développant un propos tortueux qui étale une profonde incompréhension de la méthode de Marx et de ses concepts, qu’il prétend lui emprunter pour élargir leur champ d’application, un propos qui procède par détournement systématique, probablement involontaire, du sens de mes phrases pour parvenir à la conclusion posée d’avance et qu’il prétend établir sur une base marxiste (l’épistémologie moderne qualifie cette démarche de téléologique et s’accorde à l’opposer à toute démarche scientifique). Je pense avoir déjà clairement et solidement établi l’inanité de ce projet pseudo marxiste et je ne vais pas revenir sur l’ensemble de ce nouveau texte qui n’apporte rien de plus que le précédent, si ce n’est qu’étant plus long, il développe davantage de « formulations surprenantes » et donne donc plus de bâtons pour se faire battre. Je ne m’arrêterai ici que sur le premier point qu’il discute, concernant richesse et valeur, cela suffira largement.
• Premier des bâtons : la valeur n’est plus la forme abstraite de la richesse
Selon JMH, p. 2, s’il est vrai que « les marchandises sont le produit du travail social », c’est « à une nuance près », parce « que cela ne résume pas tout le travail social ». Il réitère vers le bas de la page : « la valeur n’est pas une forme de la richesse, mais d’une partie de la richesse ». Ainsi, selon lui, quand j’écris, citations à l’appui, que « Chez Marx, l’argent étant une forme de la valeur, elle-même forme abstraite de la richesse, la quantité d’argent mesure la quantité de travail de production de cette richesse socialement validé », j’assimilerais valeur et richesse.2
En fait d’assimilation3, ce que me reproche JMH c’est de mesurer la richesse par la valeur, ce qui est tout de même la base même de l’analyse marxiste du rapport richesse-valeur, que j’avais rappelée, citations à l’appui : la valeur est la quantité de travail social (abstrait) qui a produit la richesse, c’est-à-dire les marchandises, qui sont des valeurs d’usage dotées d’une valeur d’échange, elle-même fraction de la valeur sociale. Dans la formation sociale capitaliste, la « société bourgeoise » de Marx, la valeur des marchandises est donc une mesure (sociale) de la richesse (sociale) qu’elles constituent.
Si JMH soutient d’emblée que la valeur ne mesure qu’une partie de la richesse, c’est parce qu’il est essentiel pour lui, c’est toute sa thèse, de pouvoir ajouter à la richesse marchande, mesurée par la valeur, la richesse produite par le travail dans les services non marchands, mesurée par le revenu de ce secteur, car il sait très bien que cette richesse n’a pas de valeur, puisque seule la richesse produite en vue de produire du capital est valeur. Il y a donc chez JMH deux sortes de travail productif, celui acheté par le capital, qui produit de la valeur et donc de la plus-value, et celui acheté par la collectivité, qui produit du revenu, deux sortes de travail salarié, donc, tous deux productifs de quelque chose qui est homogène mais valeur-capital pour l’un, revenu pour l’autre.
Quoi qu’en aie JMH, et comme je l’ai déjà rappelé aussi, on ne trouve rien de cela chez Marx : j’ai montré, citations à l’appui, que chez lui cette chose homogène c’est tout simplement le travail social, qui fait la substance de la valeur et qui se manifeste dans l’argent, qui est le même pour acheter la force de travail de tous les salariés, du secteur privé comme du secteur public. Alors, pour payer les fonctionnaires et leurs moyens de production (non marchande), la « collectivité » peut prélever l’impôt sur tous ses membres, indistinctement. Cet argent prélevé est une forme d’une partie du travail social, c’est-à-dire de la valeur créée dans la production de marchandises socialement validées, il est capté pour payer les faux frais de production ou de consommation (les divers services, marchands ou non marchands) et il vient en déduction de la plus-value.
Ainsi, Marx n’ignore pas les services non marchands que la « collectivité » lui impose d’acheter, et quand il réfléchit sur la notion de travail productif, il peut affirmer haut et clair qu’un fonctionnaire, même salarié, par exemple un mercenaire, ne sera jamais productif pour autant (cf les citations dans ma précédente réponse).
• Deuxième des bâtons : le sophisme de composition qui enrichit celui qui consomme
Toute la thèse de JMH repose sur le postulat que tout produit d’un travail salarié socialement validé est constitutif de la richesse sociale, richesse-valeur pour les services marchands, richesse-revenu pour les services non marchands. C’est ce qui explique qu’il veuille absolument que la richesse puisse ne pas être matérielle, afin de pouvoir qualifier de productif (de richesse-revenu) le travail dans les services. Et cela explique aussi qu’il ne puisse pas accepter l’idée que le travail dans les services détruise de la richesse matérielle : la perte de valeur se compenserait avec le gain de richesse-revenu apporté par ce travail.
C’est pour cela que JMH doit affirmer que le fait de transformer une richesse en une autre est une production de richesse nette, sans destruction des moyens et objets du travail : ainsi, pour JMH, l’artisan qui transforme des valeurs d’usage (de la glaise, de l’eau, de la teinture, etc.) en une autre (un magnifique pot) produit de la richesse. Ce qui est indiscutable, mais JMH « oublie » que ce faisant il en détruit aussi, assimilant cette production à celle du capitaliste qui produit plus de richesse qu’il n’en détruit en faisant travailler plus longtemps que nécessaire pour (re)produire la force de travail et les moyens de production, richesse nette mesurée par la plus-value4. JMH peut alors ajouter la richesse produite par les services à celle produite par l’industrie. Applaudissons l’artiste qui sort le lapin du chapeau !
En bonne épistémologie, ce qui est vrai de l’un ne l’est pas de tous (et inversement), c’est ce qu’on appelle le sophisme de composition, qui consiste à étendre au tout les propriétés de ses parties5. Si un agent de l’économie produit une richesse nouvelle, elle est un plus au niveau dudit agent, mais il a détruit celles qu’il a utilisées et qu’ont produites d’autres agents, sauf s’il s’agit de travail productif de richesse nette, donc de plus-value. Ce qui n’est pas le cas des services non marchands.
Cela dit, si on suivait JMH dans son idée, il faudrait donc considérer que la destruction de valeurs d’usage pour fournir un service constitue un enrichissement de l’acheteur dudit service, ce qui revient à considérer que la dépense du revenu enrichit celui qui le dépense ! Voilà qui est pour le moins paradoxal. Si l’on suit Marx, au contraire, le salarié qui dépense son revenu en nourriture, breuvage, habillement, etc., dépense en fait la forme argent de la valeur de sa force de travail précédemment vendue et détruite en l’exerçant. En consommant les valeurs d’usage achetées, il reconstitue sa force de travail, qu’il pourra ultérieurement vendre afin de reproduire son revenu, etc. Ledit salarié ne s’enrichit pas dans ce cycle d’utilisation de sa force de travail, c’est le capitaliste qui s’enrichit, parce qu’il achète une marchandise dont l’usage produit de la valeur nette, celle des marchandises produites étant plus grande que celle des marchandises nécessaires à la reproduction du travailleur.
Ainsi, quand un particulier taille un pantalon pour son propre besoin, il consomme du tissu, du fil, etc, et à la fin de ce travail domestique, une nouvelle valeur d’usage, le pantalon, remplace les précédentes ; s’il préfère, parce qu’il peut se le permettre, faire appel à un artisan tailleur, c’est ce dernier qui transforme le tissu et le fil en pantalon, en les détruisant pareillement. Il n’y a globalement pas plus de richesse à la fin, simplement le particulier s’est épargné un effort domestique nécessaire pour se reproduire en tant que personne (et éventuellement en tant que vendeur de force de travail, s’il s’agit d’un salarié) et en contrepartie, une partie de son revenu est passée dans la poche du tailleur, qui la dépensera pour sa propre consommation (achat de tissu, de fil, et de moyens de subsistance). Le travail de service de transformation de la matière hors du procès de production capitaliste ne produit ni valeur ni richesse globale supplémentaire, il change simplement les qualités sensibles des valeurs d’usage, c’est-à-dire la forme concrète de la valeur, même dans le cas où ce travail est socialement validé par l’achat du service.
Le cas du service immatériel, tel ceux liés à « la formation des esprits » par l’enseignement, par exemple un professeur de musique, est plus proche de la pure consommation finale, puisqu’il détruit de la richesse-valeur sans en créer de nouvelle6.
Quant au fait que le service soit marchand ou non marchand, cela ne change rien à l’affaire, que je l’achète parce que j’en ai besoin/envie ou que je l’achète parce que « la collectivité » m’y oblige, cela ne change rien à sa nature de service, c’est-à-dire de valeur d’usage attachée à la personne qui le rend et donc par nature individualisée. Un service n’est pas une marchandise, parce qu’il n’est pas fongible (comme dirait un juriste) et qu’il ne peut donc pas faire l’objet d’un marché.
• Troisième des bâtons : la dialectique de JMH dichotomise le travail et la marchandise
L’approche quelque peu boiteuse de JMH ne cherche pas à découvrir la réalité des choses en appliquant les concepts élaborés par Marx, elle vise simplement à les utiliser formellement pour donner un vernis scientifique aux « formulations surprenantes » de son précédent texte pour étayer sa thèse que la richesse globale se compose de la richesse marchande, qui apparaît sous la forme valeur(-capital), et d’une autre richesse, non marchande, qui apparaitrait sous la forme (valeur-) revenu, les deux pouvant s’additionner sans autre forme de procès. C’est ainsi que selon JMH on ne peut pas « assimiler » valeur et richesse, la différence quantitative entre ces deux notions provenant de la richesse à cause de la richesse issue du travail dans les services, non marchands en particulier. Ainsi cette proposition : « on doit dire que le tailleur [à son compte] produit une richesse […] et se poser la question de savoir s’il produit une valeur » ; j’ai déjà précisé, citations à l’appui, ce que Marx a répondu il y a bien longtemps déjà.
Le tour de passe-passe de JMH repose sur ce qui ressemble à une totale incompréhension de l’épistémologie de Marx (autre métonymie), qui l’empêche de distinguer correctement les différents niveaux d’abstraction qu’elle implique. Ainsi, il échoue à lier travail concret et travail abstrait, production de richesse et production de valeur, séparant de fait ces deux niveaux d’abstraction, alors que Marx les lie dialectiquement. Tel le monétariste dichotomisant le rapport réel-monétaire, faisant de la monnaie un simple instrument des échanges, JMH dichotomise la marchandise. Comprend-il que la mesure de la richesse par la valeur n’est pas physique mais sociale ? Marx a bien expliqué que l’accroissement de la force productive du travail (concret) peut accroître la quantité de valeurs d’usage sans que la quantité de valeur (sociale) croisse, voire même en la réduisant7.
Par exemple, il me reproche (p. 2) d’écrire que « la valeur d’usage fonde la valeur d’échange », au motif que, écrit-il, « la valeur d’échange n’est pas « fondée » sur sa valeur d’usage, sauf à voir dans « fondée », la motivation de la produire, mais en aucun cas sa mesure ». Bien évidemment qu’il s’agit de la motivation de produire, Marx y a consacré tout le début de son Capital, et la méprise serait risible si ce n’était aussi affligeant : notre apprenti épistémologue assimile fonder et mesurer, alors que même « un enfant sait »8, pour peu qu’on lui ait offert un dictionnaire, que fonder c’est « Faire reposer, appuyer quelque chose sur un fondement solide, sûr ; le rendre plus ferme, le renforcer : Asseoir sa réputation sur la compétence. » (Larousse) ou « Faire reposer, asseoir, établir quelque chose sur quelque chose : Sur quoi fondez-vous vos critiques ? »
De même, JMH me reproche d’écrire que le travail concret du tailleur est improductif de valeur tandis que ce même travail exécuté en tant que salarié d’un capitaliste est productif de valeur, parce que désormais productif de plus-value. Fait-il une fois encore semblant de ne pas comprendre que je ne fais que paraphraser Marx, citations à l’appui9 ? JMH insiste : « le travail concret produit des valeurs d’usage, mais l’analyse de la valeur relève d’une autre conceptualisation : la valeur est du travail rendu abstrait par l’échange marchand ». Ainsi travail concret et travail abstrait relèveraient de deux conceptualisations différentes ! Il faudra alors dire où la méthode de Marx ressemble à cela. Toujours la même dichotomie concret-abstrait, toujours le même déni de la réalité matérielle à la base de concepts ainsi vidés de tout contenu concret. Le point II. du premier chapitre du Capital s’intitule « Double caractère du travail présenté par la marchandise » : la conceptualisation est clairement unique, mais dialectique10. Mais JMH doit en passer par là, c’est ce qui lui permet de réduire l’économique aux rapports sociaux et le travail productif à la validation sociale du travail salarié.
• Quatrième et dernier des bâtons : le sophisme de division qui rend impossible l’auto-valorisation d’un capital individuel sans création de richesse sociale nette
Mérité par cette question sublime de naïveté : « Comment le capital s’auto-valorise-t-il sans qu’il y ait de valeur sociale ajoutée ? » Où apparaît le sophisme de division, qui n’est que l’inverse du précédent : ce qui est vrai du tout l’est de ses parties. Ici, JMH semble ne pas pouvoir imaginer qu’un capitaliste puisse valoriser son argent en s’appropriant une partie de la plus-value produite par d’autres, c’est-à-dire que la plus-value globale puisse être redistribuée entre capitalistes individuels. Le jeu du marché, c’est-à-dire des rapports de force liés au pouvoir de marché des uns et des autres, y contribue structurellement, c’est l’origine des monopoles et des profits liés aux situations de rente.
Mais, ainsi que l’ai déjà précisé dans ma précédente réponse à JMH, et qu’il semble nécessaire de le répéter, le cas du capital autonomisé dans la fourniture des services est de cet ordre, particulièrement le capital commercial et le capital financier, qui se valorisent par prélèvement d’une part du profit industriel. Le capital productif (industriel) ne peut pas fonctionner sans ces services, ce qui leur donne le pouvoir de prendre leur part : le profit global est partagé entre profit industriel, commercial et financier (l’intérêt). La propriété foncière donne droit à la rente, et les services publics, non marchandisés, sont payés par l’impôt.
Le capital commercial se charge des services de mise sur le marché (stockage des marchandises, transports, réclame, etc.) en achetant les marchandises au producteur à un prix inférieur au prix de marché et se rémunère sur la différence ; le capital financier se charge des services liés à l’avance du capital et se rémunère en prélevant l’intérêt. Autrement dit, ces fractions du capital se valorisent en rendant des services qui ne participent en rien à la production de marchandises, donc de la valeur et de la plus-value. Pourtant distributeurs, banquiers et financiers valorisent allègrement leur capital. JMH réitère son sophisme de composition, ne comprenant pas, ou ne voulant pas comprendre, que le capitaliste individuel peut faire du profit sans nécessairement participer à la production du profit global, tels le capitaliste commercial et le capitaliste financier qui se servent sur la bête industrielle, comme Marx le développe abondamment, notamment au Livre III du Capital.
Dans sa note 6 p. 3, JMH cite Marx qui explique comment le tailleur dont j’ai parlé plus haut peut être productif de valeur, et donc de plus-value, pour son employeur quand il est salarié, mais il ne comprend pas que ce travail ne produit pas de marchandises : « les services achetés ne sont-ils pas par définition des marchandises ? » Hé bien non, la réponse est non, car ce n’est que dans l’économie vulgaire que l’on achète des services, pas chez Marx : « Le service n’est que l’effet utile d’une valeur d’usage, que celle-ci soit marchandise ou travail. »11. Ainsi, l’artisan vend non son service, mais le pantalon qu’il a fabriqué en se servant de sa force de travail. Ainsi, le capitaliste qui a acheté la force du tailleur dispose des services que peut rendre le tailleur salarié : concrètement, tailler des pantalons ; abstraitement, produire de la valeur, donc de la plus-value.
De même, la « collectivité » n’achète pas les services que fournit le fonctionnaire salarié, elle achète sa force de travail, mais le fonctionnaire ne produit pas de marchandises, sa « production » étant immatérielle et non marchande, et son travail n’est pas productif (de valeur, donc de plus-value). De même encore, quand j’achète (pure hypothèse) les services12 d’un tailleur payé à façon ou d’une cuisinière à demeure, ces services, ni ne sont, ni ne produisent, des marchandises : je ne vendrai ni le pantalon taillé à ma mesure, ni le repas fait pour moi ; j’ai acheté ses services qui ne sont pas des marchandises et qui n’ont pas produit de richesse supplémentaire.
Ainsi que je l’avais indiqué, citations à l’appui, un service attaché à la personne qui l’achète n’est pas une marchandise car il n’est pas séparable de ladite personne, tandis qu’une marchandise est une « chose » séparée de son possesseur, dont il peut « s’emparer », par la force » ou par contrat.13 Un service est une valeur d’usage sans valeur d’échange, ce qui ne l’empêche pas d’avoir un prix. La valeur d’usage de la marchandise est dans la chose matérielle qui répond à un besoin, la valeur d’usage d’un service est dans la personne qui le rend, elle est vendable, mais n’est pas échangeable, elle peut avoir un prix, mais pas de valeur d’échange (1)Ainsi Marx s’autorise régulièrement à parler de prix du travail, de travail gratuit, etc., ce qui signifie simplement que la valeur d’usage travail a coûté le prix payé pour la marchandise force de travail qu’il a fallu acheter pour obtenir ledit travail. Il faut comprendre que le prix de la marchandise pantalon artisanal est ainsi le prix des services que rend le pantalon à son acquéreur. Quand on paie un forfait mensuel pour l’usage du téléphone mobile, on ne paie pas le prix du service (le coût des communications est insignifiant), on paie le prix du téléphone (moins cher pour ceux qui en ont peu besoin et sont peu disposés à en payer le prix). Des forfaits différents, c’est comme si le prix du pantalon différait selon qu’il est peu porté ou usé jusqu’à la corde..
Pour conclure
Dans mon précédent commentaire, j’avais fait crédit à JMH de partir correctement des bases analytiques de Marx, et j’avais supposé que son raisonnement avait bifurqué quelque part. Mais c’est plus grave, parce qu’il apparaît maintenant que s’il connaît les mots de Marx, il ne maîtrise pas les concepts qu’ils désignent. Je pensais qu’il tordait plus ou moins sciemment son raisonnement pour arriver à son objectif, déculpabiliser les fonctionnaires de la crise sans la renvoyer à la nature contradictoire du capitalisme (faire croire que le collectivisme peut se développer en parallèle revient à ça). Finalement, je m’interroge, il est possible qu’il croie vraiment faire œuvre d’analyse théorique alors qu’il ne produit que des sophismes trompeurs et dangereux pour le peuple, qui partent certes d’un bon sentiment, déculpabiliser les fonctionnaires, qui ne sont en effet pas responsables de la crise du capital et des difficultés de financement des services publics et de la protection sociale qui en résultent, mais qui les laisse croire qu’il ne s’agit que d’une mauvaise gestion du système, que l’on peut gérer le capitalisme autrement, le volontarisme politique pouvant neutraliser les lois économiques.
Au vu de ces deux premières pages, il est clairement inutile de poursuivre plus avant le commentaire de ce texte, tout est du même tonneau, loin de la possibilité d’un débat, car il n’est pas possible ici de confronter des idées consistantes. Quand je demande quel est le mode « de production monétaire non marchande », JMH me reproche de n’avoir pas lu ses ouvrages, mais si c’est une excuse, elle est puérile ou l’indice d’une incapacité à développer une argumentation suivie, car, désolé, quand je commente un texte, je me fonde sur ce qui est écrit, par sur ce qui est peut-être écrit ailleurs et que je ne suis pas tenu de savoir.
Je précise enfin que ce n’est pas par dogmatisme que je rejette les pseudo notions présentées comme « nouveautés théoriques » : je ne dis pas que parce que Marx l’a dit, c’est vrai, je regarde ce que Marx a écrit et je conclus qu’en conséquence certaines « nouveautés » ne peuvent pas se réclamer de Marx, c’est tout, ou alors il faut me montrer en quoi mon raisonnement est fallacieux. Et cela sans recourir à des notions ad hoc, telle la cette étrangeté absolue qu’est sa sphère monétaire non marchande productrice de revenu, impossible à définir dans les termes du matérialisme historique. Ou alors il faut me montrer que Marx s’est trompé. Mais JMH n’est manifestement pas décidé à s’y atteler, préférant nourrir un sacré paradoxe : prendre le meilleur de Marx et de Keynes pour nier la baisse tendancielle du taux de profit qui explique chez la deux la crise structurelle du capitalisme qui fonde les politiques d’austérité.
Par contre jamais JMH ne discute mes citations de Marx qui vont à l’encontre de sa thèse, jamais il ne discute méthodiquement mes arguments, il les ignore, se contentant d’essayer d’expliciter, en simplement le répétant, son précédent propos, comme si je ne l’avais pas compris, cela afin de pouvoir continuer son chemin comme si de rien n’était. Par exemple, quand il affirme que la richesse n’est pas toute matérielle, que les services vendus sont des marchandises, et autres fariboles, on ne peut que lui conseiller à nouveau de (re)lire les premières pages du Capital, où Marx écrit, dès la deuxième : « Les valeurs d’usage […] forment la matière de la richesse, quelle que soit la forme sociale de cette richesse. »14 J’en avais donné d’autres, on peut s’y reporter (« Il n’est de richesse que matérielle », etc.) et si JMH pense que cette idée est fausse, et cela se peut, il lui faut, en toute logique, soit le montrer à partir de la méthode de Marx, soit renoncer à la soutenir d’un point de vue qui se réclame de cette méthode.
Incompréhension des arguments de l’autre ou refus de les prendre en compte de la part de JMH, il m’est impossible d’aller plus avant dans cette parodie de débat.
NOTES
1 Il s’agit ici pour moi d’établir que la tentative de JMH de situer son argumentation dans le prolongement de Marx est fallacieuse, pas d’établir la fausseté de sa conclusion, même si les deux peuvent aller de pair, car vouloir déduire celle-ci de celle-là ne ferait qu’un sophisme de plus (argumentum ad logicam).
2 Je supposerai ici prend assimiler au sens d’identifier et non de « saisir par la pensée un objet de connaissance et l’intégrer à son propre fonds intellectuel ; acquérir des connaissances nouvelles » (Larousse).
3 Quoi qu’il en soit, mesurer n’est pas assimiler. Qui a fait un peu d’épistémologie élémentaire des mathématiques distingue la surface d’un arpent en tant qu’extension dans deux dimensions de l’espace et l’arpent en tant que la mesure de sa superficie ; de même qu’il distingue la largeur comme extension dans une dimension de l’espace et la longueur de cette largeur, en tant que résultat de sa mesure, bien qu’il l’appelle aussi sa largeur.
4 J’ajoute ici au mot richesse l’adjectif nette, bien que le contexte en ôte tout besoin au lecteur de bonne volonté.
5 Paul Anthony Samuelson, poutant pape de la théorie néoclassique moderne, dénonçait déjà ce sophisme en économie dans les années quarante. Je l’expliquai aux étudiants en leur disant que si l’un d’entre élevait la voix pour mieux se faire entendre de son voisin, il entendrait mieux, mais les autres seraient gênés, élevant la voix à leur tour, moi y compris, jusqu’à ce que plus personne ne puisse se faire entendre. Je légitimais ainsi mon exercice de l’autorité par la nécessité d’éviter la perte de productivité de mon travail payé par la collectivité.
6 Le travail domestique de production de la force de travail est un travail privé, hors la sphère économique, et il ne peut en aucune manière créer de la valeur sociale, tout au plus un revenu potentiel si la force de travail est vendue ; mais c’est l’utilisation de sa valeur d’usage, le travail concret, qui produit le revenu. (Non bis in idem.)
7 Cf Le Capital, I , 1, e.g. p. 55. Ou Pléiade, I, p. 857.
8 Sur le modèle de l’expression de Marx : « un enfant sait que toute société qui cesse le travail, cesse de vivre ».
9 Quoi qu’il en soit, on lui conseillera d’aller faire un tour dans un atelier quelconque, en faisant bien attention aux prises électriques, il y verra que le travail abstrait se présente au premier abord comme un travail bien concret, il y verra que la production de marchandises demande de la sueur, et parfois du sang et des larmes.
10 Le Capital, I , 1, p. 59 sqq ; , e.g., p. 61 : « Il n’y a pas à proprement parler deux sortes de travail dans la marchandise, cependant le même travail y est opposé à lui-même suivant qu’on le rapporte à la valeur d’usage de la marchandise comme à son produit, ou à la valeur de cette marchandise comme à sa pure expression objective » […] De même que la marchandise doit avantout être une utilité pour être une valeur, de même le travail doit avant tout être utile pour être censé dépense de force humaine, travail humain, dans le sens abstrait du mot ». » Bel exemple de dialectique.
11 Le Capital, I , 1, pp. 192-3. Et en bas de page, Marx cite sa propre Critique de l’économie politique : « On comprend le genre de service que la catégorie service doit rendre à une espèce d’économistes comme J-B Say ou F. Bastiat ».
12 Je rappelle que par synecdoque, Marx parle fréquemment du prix d’un service au lieu du prix de la marchandise dont la valeur d’usage a pour effet utile ce service, par exemple quand il parle du prix du travail, du travail gratuit, etc. (cf ma précédene réponse à JMH).
13 Le Capital, I , 1, p. 95.
14 K. Marx, Le Capital, Livre I, tome 1, Éditions sociales, 1948, p. 52.
Notes de bas de page
↑1 | Ainsi Marx s’autorise régulièrement à parler de prix du travail, de travail gratuit, etc., ce qui signifie simplement que la valeur d’usage travail a coûté le prix payé pour la marchandise force de travail qu’il a fallu acheter pour obtenir ledit travail. Il faut comprendre que le prix de la marchandise pantalon artisanal est ainsi le prix des services que rend le pantalon à son acquéreur. Quand on paie un forfait mensuel pour l’usage du téléphone mobile, on ne paie pas le prix du service (le coût des communications est insignifiant), on paie le prix du téléphone (moins cher pour ceux qui en ont peu besoin et sont peu disposés à en payer le prix). Des forfaits différents, c’est comme si le prix du pantalon différait selon qu’il est peu porté ou usé jusqu’à la corde. |
---|