Commentaire de la Rédaction de ReSPUBLICA
S’inversera ? s’inversera pas ? le feuilleton sur la courbe du chômage a, un temps, beaucoup occupé les médias. Le verdict aurait dû venir avec les derniers chiffres, mais ils n’ont pas réellement tranché : selon l’Insee, le taux de chômage a baissé de 0,1 % au dernier trimestre 2013, la courbe se serait donc inversée, mais le nombre de demandeurs d’emploi de catégorie A inscrits à Pôle emploi, a augmenté de 8900 en janvier ! Et le ministre des Finances a conclu ce dimanche que « le chômage est stabilisé ».
L’apparente contradiction résulte de la différence de méthodologie : les deux institutions ne mesurent pas exactement la même chose. Et si l’on observe de près les chiffres de l’Insee, comme l’a fait Christian Chavagneux dans sa note que nous reprenons ci-après, on s’aperçoit qu’ils donnent une fausse image de la réalité : le taux de chômage diminue, non parce qu’il y a moins de chômeurs, mais parce qu’il y a moins de « vrais » chômeurs pris en compte par la définition officielle qu’utilise l’Insee, celle du Bureau international du chômage (BIT).
Les graphiques de Guillaume Duval montrent bien que le taux d’activité, rapport du nombre de chômeurs au nombre d’actifs (employés + chômeurs) a baissé depuis l’année 2009. Cela résulte d’une accélération de ce que l’on appelle flexion du taux d’activité, quand des personnes sans emploi et qui en souhaitent un, renoncent à le chercher activement. Ces personnes ne sont alors plus comptées comme chômeurs, et le taux de chômage baisse mécaniquement. Très honnêtement, d’ailleurs, l’Insee donne le nombre de ces personnes, dont il dit poétiquement qu’« elles constituent le halo autour de l’emploi ».
Ce phénomène n’a rien de nouveau : depuis la fin des Trente glorieuses et la montée plus ou moins régulière d’un chômage structurel, on a noté que les salariés, principalement les jeunes et les femmes, quittent le marché du travail en période de baisse de l’activité et y reviennent quand ça reprend, ce qui accentue la variation conjoncturelle autour de la tendance structurelle. Cette flexion s’est accélérée avec la crise : Le mouvement général vers la flexibilisation du marché du travail vise à réduire ce phénomène de flexion.
Ce qui est peut-être nouveau, par contre, c’est que cette flexion devienne structurelle, qu’elle se généralise à l’ensemble des actifs, là ce serait le signe que la crise de l’emploi est perçue dans toute la société, que plus personne ne croit à la reprise. Si c’est le cas, le pacte de compétitivité/responsabilité ne sera non seulement inefficace, mais ne trompera personne, mauvais temps pour les élites du système et bon pour les anti. Il faudrait peut-être qu’une vraie gauche en prenne conscience et agisse en conséquence.
Michel Zerbato
Les mauvaises raisons de la baisse du chômage
Le taux de chômage a légèrement baissé au dernier trimestre 2013, d’après l’Insee. Hélas ce n’est pas lié à une dynamique retrouvée de l’emploi mais surtout à la baisse du taux d’activité, c’est-à-dire la part des 15-64 ans qui occupe ou recherche un emploi.
L’Insee vient de publier les résultats de l’enquête emploi menée auprès des ménages au quatrième trimestre 2013. Cette enquête fait notamment apparaître une baisse de 0,1 point du taux de chômage officiel au cours de ce trimestre qui passe ainsi de 10,3 à 10,2 % en France (dont les DOM). Alors que le nombre des inscrits à Pôle emploi avait, lui, continué à croître à la fin de l’année dernière. Au final, François Hollande aurait donc bien réussi son pari d’inverser la courbe du chômage en 2013. Certes, mais c’est surtout pour de mauvaises raisons : le recul du taux d’activité des Français.
Cela fait longtemps déjà que les écarts notables entre les résultats de l’enquête emploi d’une part et les inscriptions à Pôle emploi d’autre part posent problème et suscitent des débats. Mais au-delà de ces controverses, si on prend pour base les résultats de l’enquête emploi de l’Insee, qui constitue la base officielle de la mesure du chômage en France, il apparaît surtout que la baisse intervenue fin 2013 n’est pas liée à une dynamique retrouvée de l’emploi – le taux d’emploi des Français de 15 à 64 ans est resté stable – mais surtout à la baisse de ce que l’on appelle leur taux d’activité, c’est-à-dire la part de la population comprise dans cette tranche d’âge qui occupe ou recherche un emploi : il a lui aussi reculé de 0,1 point au 4ème trimestre 2013 passant de 71,2 % à 71,1 %.
Ce phénomène est particulièrement marqué au sein de deux populations. Ce taux d’activité atteint tout d’abord un plancher historique à 37 % seulement chez les 15-24 ans, 3 points de moins qu’avant la crise. Les jeunes découragés par l’état du marché du travail, prolongent leurs études et renoncent à y tenter leur chance, ce qui contribue notablement à expliquer le recul du chômage des jeunes observé en 2013.
Parallèlement un phénomène analogue se produit chez les hommes de 29 à 45 ans dont le taux d’activité n’a quasiment jamais cessé de baisser depuis le déclenchement de la crise : il est aujourd’hui plus faible de deux points qu’avant la crise. Mais au cours du seul dernier trimestre 2013, il aurait plongé et perdu 0,5 point d’un coup selon l’Insee, contribuant ainsi à expliquer une bonne part de la baisse observée du chômage. Les hommes, plus souvent employés dans l’industrie et le bâtiment, les principaux secteurs affectés par la crise, se retirent du marché du travail à force de se heurter au mur du chômage de longue durée et de l’absence totale de perspectives d’emploi dans les secteurs correspondants à leur qualification et à leur expérience.
Bref, il y a manière et manière d’inverser la courbe du chômage et celle qui a permis selon l’Insee d’aboutir à ce résultat fin 2013 n’est à coup sûr pas la meilleure car elle implique, si la tendance se poursuivait, que des « actifs » de moins en moins nombreux doivent prendre en charge d’une manière ou d’une autre un nombre croissant d’ « inactifs » dans notre société.