Derrière le titre de cet article, se cache celui de l’une des trois tables rondes organisées le 20 octobre 2021 à Belfort, dans le cadre d’un forum intitulé « reconstruire une industrie française souveraine et responsable ».
Reconstruire : avec qui ?
Cette initiative, appréciable dans la période, est le fruit d’un travail autour du Collectif reconstruire, à la fois iconoclaste et pragmatique qui se définit lui-même de cette façon : « fondé en 2021, le collectif Reconstruire associe des citoyens, des salariés d’anciens grands groupes industriels français (Alstom, Alcatel, Technip), des représentants des salariés, des experts en intelligence économique, des chercheurs, des chefs d’entreprises, des économistes, des fiscalistes, des lanceurs d’alertes, décidés à contribuer à la reconstruction nécessaire et urgente de l’industrie de notre pays ».
Sous l’impulsion des salariés de General Electric et de leurs syndicats CFE-CGC et SUD, avec le soutien des structures nationales, cette journée était le résultat des réflexions issues de la longue lutte depuis 2019 contre les suppressions d’emplois. L’objectif de la journée : réunir différents acteurs attachés à la question industrielle en France. Ainsi, ce forum était également soutenu par le journal régional Le trois, ou encore les collectivités territoriales, qui commencent à prendre conscience de l’importance de l’ancrage industriel en terme d’emplois et de vitalité des territoires. Et pour réunir tout ce petit monde, parfois (ou souvent suivant les intervenants) avec des positions de départ contraires et aux intérêts antagonistes, la question de reconstruire l’industrie été fédératrice à partir du moment où elle était le liant mais aussi posée sous forme de débats séquencés dans la journée. Parmi les invités, outre plusieurs représentants nationaux de courants politiques en campagne (hors extrême-droite et droite-extrême qui n’étaient évidemment pas les bienvenues), on pouvait aussi bien retrouver aux côtés des syndicats organisateurs la CGT MBF, des chercheurs ou directeurs d’école de guerre économique mais aussi plusieurs « entrepreneurs » comme le représentant du groupe Kramer ou le créateur de « La carte française ».
On peut bien entendu émettre une réserve sur le fait de réunir autour des questions industrielles des parties avec des intérêts de classe divergents ; pour autant, il ne s’agissait ni d’une réunion syndicale en tant que telle, ni de gommer les divergences mais bien au contraire de voir à travers plusieurs angles la ré-industrialisation. Après avoir débattu le matin de « qui veut sauver l’industrie française » et avant la table ronde des « entrepreneurs made en in France », la parole était donnée à plusieurs candidats « de gauche » déclarés à l’élection présidentielle pour leur programme à l’industrie. Si les interventions (GRS, l’ancien ministre sous Hollande M. Montebourg, Insoumis) étaient dans les clous des programmes respectifs et sans faire d’annonces surprenantes, on pourrait regretter que même l’intervention la plus construite, celle faite au nom des Insoumis, avait tout de même un grand absent de la planification : celle du rôle des travailleurs et des salariés.
Ainsi, en débat, étaient surtout centrés autour de deux questions centrales :
- Le rôle de l’État qui viendrait tout régler, avec plus ou moins de pouvoir dans les lois et planifications ;
- Le rôle des directions d’entreprises qui avec leur innovation, production française et vision stratégique des intérêts communs suffiraient à recréer de l’emploi sur le territoire.
Pourtant la question n’est pas nouvelle, et l’excellent (petit) livre Les travailleurs peuvent-ils gérer l’économie, publié en 2013, reprenait les débats de 1963 : organisation générale de l’économie, gestion vue de la base, gestion ouvrière et contradictions avec les questions industrielles, modèle de représentation et processus de décision, et rôle central des organisations syndicales dans la transformation et le projet de société.
Reconstruire : comment ?
Tout l’intérêt de ce forum était de donner une large place aux paroles syndicales et à celles des salariés, avec un parfum d’autogestion comme fil rouge : l’organisation de ces journées par et pour des salariés en lutte, qui voulaient lier réflexion, action, médiatisation est de ce point de vue là une réussite régionale avec un rayonnement national.
Lors de la table ronde, plusieurs axes ont pu être développés à la fois par les représentants syndicaux de la CGT MBF, de l’Union Fédérale SUD Industrie, de la fédération CFE-CGC et des salariés présents sur scène ou dans l’auditoire notamment par l’intermédiaire de projets ambitieux tels que APSIIS ou bien la SCOP MBF. Le point commun des deux projets ? La forte maîtrise des projets, tant d’un point de vue technique qu’opérationnel, qui viennent démontrer que différents aspects de la lutte (grève, occupation, contre-projet, etc.) peuvent trouver une issue commune via une ré-approprotion de la production.
Faut-il une nouvelle loi interdisant les licenciements ou donnant un droit de veto des CSE, une renforçant les appels d’offre pour produire sur le territoire français ou taxer aux frontières actuelles, chanter les louanges du l’indépendance et de l’autonomie de production avec des normes plus qualitatives et une forte protection sociale ?
Pour y faire, faut-il alors développer des outils techniques pilotés par les salariés ? Des méthodes de luttes plus radicales qui mêlent occupation et réquisition ? Une meilleure coordination au service des branches pour avoir une vision globale ? Les solutions peuvent être multiples à partir du moment où la question de la propriété privée des moyens de production est posée. C’est en effet seulement en commençant à s’interroger et remettre en cause ce point là, que le champ des possibles est ouvert.
De nombreuses questions ont été posées pendant ces journées mais ce réseau « Reconstruire » aura eu le mérite de remettre à l’ordre du jour l’importance des questions industrielles en France et en Europe, en liant emploi, progrès, ancrage industriel, savoir-faire, développement et besoins sociaux.
Dans ce sens, c’est bien l’action collective syndicale qui est centrale pour agir sur ces questions-là, aux côtés de collectifs de réflexions transversaux, qui sans nier les intérêts de classe et l’affrontement, permet ainsi d’avoir une vraie vision industrielle de la transformation de la société en commençant par redonner la parole aux premiers concernés, salariés des secteurs.