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Décision du Conseil Constitutionnel sur la laïcité : entretien avec Gwénaële Calvès, professeur de droit public

Le Conseil Constitutionnel a rendu publique, jeudi dernier, sa décision concernant la question prioritaire de constitutionnalité portée par l’Appel  (1)Association Pour la Promotion et l’Expansion de la Laïcité relative à l’orga-nisation du culte protestant en Alsace-Moselle. Il s’agissait pour l’Appel de convaincre les Sages, avec cette question prioritaire de constitutionnalité, que la laïcité, et plus particulièrement les articles 1 et 2 de la loi de 1905, a valeur supra-législative et que cela rend inconstitutionnelle l’existence du régime concordataire en Alsace-Moselle et ses financements directs aux quatre cultes « historiques » qui en sont bénéficiaires (2)catholique, luthérien, réformé et israélite.
Or, les Sages n’ont pas suivi les arguments de l’Appel et ont rendu une décision lourde de conséquences pour le principe de laïcité.

Respublica : La décision rendue par les Sages présente des avancées et des points noirs en terme de laïcité, peux-tu nous faire part des points positifs ?

Gwénaële Calvès : Le simple fait que la décision existe est un point positif ! Le Conseil aurait pu refuser de statuer sur le fond (il l’a fait à propos des langues régionales, par exemple). Il lui aurait suffi de dire que la laïcité n’est pas un principe invocable à l’appui d’une question prioritaire de constitutionnalité. Il faut savoir que toutes les normes constitutionnelles mobilisables dans le cadre d’un contrôle exercé avant la promulgation d’une loi (lorsqu’elle est déférée par des parlementaires) ne le sont pas dans le cadre du contrôle qui peut s’exercer (à la demande d’un justiciable) après que la loi est entrée en vigueur.

En effet, le Conseil peut décider que tel ou tel article de la Constitution, ou tel ou tel principe de valeur constitutionnelle, « n’instituent pas un droit ou une liberté que la Constitution garantit » : cela signifie qu’une question prioritaire de constitutionnalité qui invoque une violation de ces règles sera déclarée irrecevable. Tel n’est donc pas le cas de la laïcité de la République consacrée par l’article 1er de la Constitution, et il faut s’en réjouir.

Respublica : Les associations de défense de la laïcité vont donc pouvoir contester n’importe quelle loi ? Je pense en particulier à la loi Debré.

Gwénaële Calvès : Pour la loi Debré, les chances de succès me semblent très faibles, mais ça vaudrait la peine d’essayer…

En revanche, il ne sera pas possible de former une QPC à l’encontre des textes antérieurs à l958 qui régissent l’organisation de certains cultes dans les parties du territoire où la loi de 1905 ne s’applique pas. Il s’agit évidemment de l’ordonnance du 27 août 1828 (pour la Guyane), de la loi du 18 germinal an X (pour l’Alsace-Moselle), des décrets Mandel de 1939 (pour la Polynésie française, Wallis et Futuna, Saint-Pierre et Miquelon, Mayotte et la Nouvelle-Calédonie). Ces textes, nous dit le Conseil, ne peuvent pas être considérés comme contraires au principe constitutionnel de laïcité, car le Constituant de 1958 « n’a pas entendu les remettre en cause ». Mais il n’a pas « entendu », pour autant, les sanctuariser ! Un justiciable ne peut pas arguer devant un tribunal que ces textes violent le principe de laïcité, mais le législateur pourrait, demain, les supprimer d’un trait de plume, et étendre à ces territoires le régime de droit commun qui est celui de la séparation entre l’État et les cultes.

C’est là un deuxième point positif de la décision : elle dit clairement que rien ne s’oppose à une réflexion, au Parlement, sur le bien-fondé de ces régimes dérogatoires… Est-il admissible que seul le culte catholique bénéficie, en Guyane, d’un financement public ? Est-il justifiable d’écarter les musulmans du régime concordataire applicable, en Alsace-Moselle, aux quatre cultes reconnus ? La décision du Conseil ne permet pas d’élargir ces régimes dérogatoires : il faut soit les maintenir en l’état (en assumant leur caractère discriminatoire), soit les supprimer. Cette alternative est clairement posée, me semble-t-il : la balle est donc dans le camp du législateur…

Respublica : Mais sa marge de manœuvre n’est-elle pas réduite pas la décision du Conseil, qui impose « sa » définition du principe de laïcité ?

Gwénaële Calvès : Oui et non… Je ne trouve pas sa définition très contraignante. Elle serait plutôt incomplète… Mais elle a le mérite d’exister, et c’est le troisième point positif de la décision : elle nous livre une élucidation du contenu du « principe constitutionnel de laïcité ».
Le juge constitutionnel n’avait jamais été appelé à analyser ce principe, sauf en 2004, lorsqu’il lui avait été demandé de dire si la France pouvait souscrire à la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne sans mettre en péril la laïcité « à la française ». À cette occasion, il avait analysé la portée plutôt que le contenu de la laïcité, et il avait mis l’accent sur deux conséquences fondamentales de ce principe : d’une part, il s’oppose à la reconnaissance de « droits collectifs » au profit de tout groupe « défini par une communauté de croyance » ; d’autre part, il interdit à quiconque de « se prévaloir de ses croyances religieuses » pour s’affranchir de la règle commune. Refus du droit des groupes et refus d’un droit des individus à l’exemption ou à la dérogation pour motifs religieux : on en était là. De son côté, le Conseil d’État, dont l’office consiste essentiellement à appliquer et interpréter la loi de 1905, n’avait guère eu l’occasion de s’élever au niveau constitutionnel, sauf à propos de situations, ou de territoires, où cette loi ne s’applique pas.

La décision du 21 février 2013 marque donc une avancée importante, puisque le Conseil énumère les composantes du principe de laïcité qui s’imposent désormais de manière certaine aux pouvoirs publics, y compris au législateur. Ces composantes sont au nombre de six (mais la liste est délibérément maintenue ouverte par l’adverbe « notamment » retenu par le Conseil qui ne souhaite visiblement pas trop se lier les mains) : neutralité de l’État ; non-reconnaissance de quelque culte que ce soit ; respect de toutes les croyances ; égalité devant la loi sans distinction de croyance ; garantie par la République du libre exercice des cultes ; interdiction de salarier les cultes.

Le principe d’égal traitement des cultes n’apparaît pas, mais manque, surtout, le principe de non-subventionnement public des cultes qui était invoqué par les requérants. Comme le Conseil d’État avant lui, le Conseil constitutionnel refuse donc de hisser au niveau constitutionnel l’interdiction posée par l’article 2 de la loi de 1905 : « la République ne subventionne aucun culte ».

Or cette question de la subvention – directe ou indirecte – est aujourd’hui au cœur de nombreuses revendications, et fait l’objet d’une myriade de contentieux que le juge administratif s’efforce de canaliser en développant une jurisprudence qu’il qualifie lui-même de « libérale ». Faut-il s’en satisfaire ? La balle, ici encore, est dans le camp du législateur.

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Notes de bas de page
1 Association Pour la Promotion et l’Expansion de la Laïcité
2 catholique, luthérien, réformé et israélite
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