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« À la droite du Père. Les catholiques et les droites de 1945 à nos jours »

Ouvrage dirigé par Florian Michel et Yann Raison du Cleuziou

En 2012, paraissait À la gauche du Christ. Les chrétiens de gauche en France de 1945 à nos jours, un ouvrage collectif codirigé par Denis Pelletier et Jean-Louis Schlegel. Il dressait l’histoire de militants qui s’étaient réclamés de leur appartenance religieuse pour en faire un motif d’engagement politique[1]. La période étudiée s’achevait véritablement en 1981, avec la victoire de la gauche et les désillusions qui s’ensuivirent.

À la droite du Père – également publié aux Éditions du Seuil – est le pendant d’À la gauche du Christ. Il s’agit à nouveau d’un ouvrage collectif épais, nourri de contributions nombreuses : articles, portraits, repères parmi lesquels un dictionnaire thématique. Le livre est découpé en quatre périodes : 1945-1958 ; 1958-1974 ; 1974-1997 ; 1997-2021[2]. Une architecture carrée (quatre articles pour chacune des quatre périodes) équilibre le caractère hétéroclite des articles, allant de la synthèse pointue à la recension d’archives. L’ensemble est solidement encadré par les codirecteurs Florian Michel et Yann Raison du Cleuziou.

Une mise à plat sans mise en perspective ?

Cette somme de 700 pages comporte une masse documentaire remarquable sur les catholiques de droite et leur relation aux droites françaises durant près de huit décennies. Ce travail mérite d’être salué car il rassemble pour la première fois en un seul opus de très riches ressources documentaires sur la question.

Cependant, à la lecture des seuls articles et portraits, on peine à saisir ce qui se joue dans cette histoire complexe. Les dissonances et même les oppositions internes à la droite catholique sont certes mentionnées. Ainsi, par exemple, la droite libérale qui a voulu la loi Veil, fut confrontée aux droites qui déversèrent des tombereaux de haine. Cependant, le parti-pris d’un « regard de face » fait obstacle à une mise à distance qui aurait éclairé sur les enjeux et les effets de l’action des protagonistes. On doit également noter l’omission ou la minoration de l’apport de catholiques de droite à l’édification de la laïcité française. On s’en tiendra à deux exemples.

Maurice Schumann pour la République « laïque » (1946)

En 1946, en effet, lors des débats de la Constituante, il était prévu de définir la France comme une « République, indivisible, démocratique et sociale ». On doit aux interventions le 3 septembre 1946 du communiste Étienne Fajon et du démocrate-chrétien Maurice Schumann l’adjonction du qualificatif « laïque ». Schumann défendit avec succès le principe d’un « État (qui) se refuse à l’immixtion des autorités religieuses (…) dans les affaires qui lui sont propres » et qui est doté « d’une « indépendance vis-à-vis de toute autorité qui n’est pas reconnue par l’ensemble de la nation »[3]. Pour les tenants contemporains d’une laïcité « inclusive », ces formules relèveraient probablement d’un « intégrisme laïciste » ! Toujours est-il que le rôle historique de Maurice Schumann en matière de laïcité n’est pas mentionné.

Lucien Neuwirth, de Gaulle et les Résistantes (1967)

Le traitement réservé à l’action de Lucien Neuwirth, député catholique et gaulliste, ancien Résistant, élégamment surnommé « Lulu la pilule », étonne également. Il est certes souligné que Neuwirth a permis l’adoption avant Mai 68 d’une loi laïque de liberté : émancipée des interdits religieux n’engageant que ceux qui y croient. Mais on ne trouve pas mention des archives qui révèlent par quels arguments Lucien Neuwirth a convaincu de Gaulle à promulguer le 28 décembre 1967 la loi légalisant la pilule contraceptive[4].

René Rémond « laïciste intégriste » ?

Il s’agit pour les codirecteurs du livre d’en finir avec un « angle mort » : la question de la relation de l’Église catholique à la droite, volontairement laissée de côté par René Rémond (1918-2007), le grand historien des droites françaises, qui tenait cette question pour marginale et sans avenir. D’après F. Michel et Y. Raison du Cleuziou, cette esquive de la part de ce catholique de centre-gauche correspond à sa conception d’une Église catholique qui serait d’un autre ordre que les forces politiques.

René Rémond fut effectivement durant la deuxième moitié du XXe siècle un des politistes les plus rigoureux de la laïcité. « La laïcité, écrivait-il, c’est (…) l’égalité de tous devant la loi, quelle que soit leur religion ; c’est la neutralisation du fait religieux pour la définition des droits (qui) ne doit intervenir ni à l’avantage des uns ni au détriment des autres ; c’est le découplage de l’appartenance religieuse et de l’appartenance politique, la dissociation entre citoyenneté et confessionnalité»[5]. Les idéologues contemporains d’une « laïcité anti-séparatiste » verraient dans ces repères définitionnels les signes d’un « intégrisme républicain » vermoulu !

Les droites catholiques entre déclin et poussée identitaire

Le projet du livre, tel qu’il est exposé par ses codirecteurs, est de combler une lacune laissée par René Rémond. L’ouvrage restitue effectivement la réalité sociologique des catholiques de droite dans ses évolutions. Ainsi, la force du catholicisme au sein des droites décline spectaculairement entre 1945 où 90% des Français étaient baptisés, et les années 2020 où seulement 15% des jeunes se déclarent catholiques tandis que 13% des jeunes se déclarent musulmans. Dans cette pente descendante, les années 60-70 furent des années d’accélération voire de rupture.

Il est également montré que plus les catholiques deviennent minoritaires dans le pays, plus le catholicisme se recompose autour des plus identitaires. Aujourd’hui, les catholiques les plus offensifs et les meilleurs stratèges font valoir un catholicisme patrimonial contre l’islam et contre le progressisme. D’une façon générale, les catholiques de droite se remobilisent en réaction à des lois pourvoyeuses de libertés, comme celles relatives à la contraception, à l’IVG ou au mariage homosexuel. Ce sont également des périodes de vive tension au sein des catholiques de droite.

« Concordistes, conservateurs et réactionnaires »

Enfin, une typologie des droites catholiques permet aux codirecteurs de distinguer trois positions. La première, dite « concordiste », accepte l’évolution des mœurs et renonce à des aspects de la doctrine catholique pour éviter la marginalisation du catholicisme. La seconde, nommée « conservatrice » est disposée à envisager un avenir serein sous réserve de maintenir l’héritage traditionnel qui émane du catholicisme. La troisième, dite « réactionnaire », se défie du présent décadent et de l’avenir qu’il annonce, et considère qu’il faut faire marche arrière.

La posture « concordiste » n’est pas incompatible avec la laïcité, même si le mot trahit une nostalgie de l’entente concordataire entre l’Église et l’État, à la façon de l’historien des religions Philippe Portier. En revanche, la position « conservatrice » inquiète, car elle porte directement à récuser la loi de 1905, au nom d’un catholicisme patrimonial identitaire[6]. La position « réactionnaire », quant à elle, se signale par une régression historique considérable : l’affichage d’un refus de principe de 150 années de laïcité, et la revendication théologico-politique d’une posture d’extériorité à la République des droits de l’homme. Last but not least : entre ces trois positions, la tendance serait au glissement de la première vers la seconde et de la seconde vers la troisième. Les « réactionnaires » en rébellion idéologique ouverte contre les droits et les libertés issus de la Révolution française, ont le vent en poupe !

D’un « angle mort » à l’autre

Ainsi, ce livre qui rend visible « l’angle mort » laissé par René Rémond, n’annonce pas pour la laïcité de bonnes nouvelles venant des droites et des extrêmes-droites catholiques. Mais les nouvelles du centre macroniste qui court après la droite, laquelle court après l’extrême-droite, ne sont pas meilleures pour les laïques. L’état inquiétant des droites catholiques découle de la crise du politique et de la société. Dommage que dans cette mêlée, les catholiques et laïques soient « l’angle mort » de l’ouvrage.


[1] Denis Pelletier et Jean-Louis Schlegel, À la gauche du Christ. Les chrétiens de gauche en France de 1945 à nos jours, Éditions du Seuil, 2012.

[2] Alors que l’objet d’étude d’À la gauche du Christ appartenait pour ses auteurs à un passé révolu, celui d’À la droite du Père s’étend jusqu’à notre présent immédiat.

[3]https://www.appep.net/table-des-matieres/chapitre-i-elements-juridiques-de-la-laicite-republicaine/i-6-signification-de-la-constitutionnalisation-de-la-laicite-1946/

[4]Neuwirth invoqua auprès de de Gaulle le droit de vote des femmes (1944) et leur rôle dans la Résistance. Ces arguments ne sont pas culturellement et politiquement insignifiants. https://www.cairn.info/revue-travail-genre-et-societes-2001-2-page-5.htm

[5]https://www.appep.net/table-des-matieres/chapitre-ii-du-mot-a-lidee/ii-8-les-contraires-de-la-laicite/

[6] Ce fut récemment le cas à l’occasion de Noël, avec l’installation de crèches de la Nativité à l’intérieur de certaines mairie

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