Site icon ReSPUBLICA

Cabane

L’écrivain et avocat Abel Quentin a choisi pour son troisième roman d’aborder la question écologique sous un angle original, celui des alertes qui ne sont pas entendues. À partir d’un matériau réel, celui du rapport Les limites à la croissance publié en 1972, l’auteur a construit une galerie de personnages qui interrogent notre capacité à prendre en compte les données scientifiques et à infléchir collectivement la trajectoire de nos économies et de nos sociétés.

Après son précédent roman, Le voyant d’Étampes(1)Publié aux éditions de l’Observatoire en 2021, il a obtenu le prix de Flore : https://editions-observatoire.com/livre/Le-Voyant-d%E2%80%99Etampes/313. qui avait pour sujet la cancel culture – un roman très intelligent et drôle que nous recommandons également – c’est la découverte du rapport Les limites à la croissance qui a donné envie à l’écrivain d’écrire une forme d’histoire rétrospective de la catastrophe climatique en cours. Ce rapport, également nommé rapport du Club de Rome ou rapport Meadows, résultait d’une commande d’un think tank d’entrepreneurs, donc du monde libéral, rédigé après des recherches approfondies au MIT, il élaborait des scénarios qui aboutissaient au cours du XXIe siècle à la fin de la croissance, en raison soit de la pénurie de ressources, soit des dommages liés à la pollution(2)Pour en savoir plus : https://www.novethic.fr/actualite/economie/economie/isr-rse/il-y-a-50-ans-le-rapport-meadows-alertait-sur-les-limites-planetaires-150665.html.. Abel Quentin s’est renseigné sur les conditions de réalisation de ce rapport, mais il a choisi dans son roman de s’en écarter légèrement en le renommant « Rapport 21 » et en déplaçant sa conception du MIT à l’Université de Berkeley. Cette prise de liberté lui a donné toute latitude pour ensuite imaginer la personnalité et le parcours de quatre de ses rédacteurs.

Quatre jeunes chercheurs ébranlés par leur découverte

La première partie du roman revient sur l’aventure entreprise par les quatre autres auteurs du rapport, réunis par un professeur pour réaliser ce projet de grande envergure : « modéliser le système-monde ». L’insouciance des années hippies est alors encore présente sur le campus et les systèmes informatiques disponibles, très rudimentaires. Au bout de ces mois de recherches très stimulants, un constat effroyable et implacable : l’effondrement de la croissance à venir.

Un monde sans diable est très angoissant. Presque aussi angoissant qu’un monde sans Dieu. Le rapport 21 a mis au jour un mal sans visage, un crime collectif dénué d’intention criminelle : la croissance. Des milliards d’individus qui, pris isolément, ne poursuivent aucune intention malveillante : ils vont pourtant entraîner la mort de millions d’autres, provoquer des famines, noyer les deltas.

Mais les protagonistes vont réagir assez différemment avec cette nouvelle donnée existentielle. D’abord, le couple d’Américains, les Dundee, vont se transformer en activistes. Ils décident d’alerter le plus grand nombre et se lancent dans une tournée mondiale. Mais si la nouvelle percutante trouve un certain écho, bien vite, ils sont décrédibilisés à dessein et ignorés par les grands dirigeants. Découragés, ils se tournent alors plus tard vers l’élevage de porcins en agriculture biologique. Ensuite, Paul Quérillot, le français, mû par l’attrait d’un beau mariage et d’une belle carrière, accepte la proposition d’une major pétrolière et semble poursuivre son existence de façon cynique. Quant au dernier chercheur, sans doute l’intelligence la plus brillante, le mathématicien norvégien Johannes Gudsen, il disparaît quelque temps après la publication du rapport.

Un récit qui se transforme en thriller journalistique

La seconde partie du livre adopte un autre point de vue, celui d’un journaliste, précaire et assez désabusé, qui pour l’anniversaire des cinquante ans du rapport, décide de partir sur les traces du mystérieux Johannes Gudsen pour le retrouver. Son enquête, fascinante, nous emmène en Norvège et nous renvoie à notre attitude d’aujourd’hui, nous qui saisissons que depuis cinquante ans, des voix parlent dans un désert toujours plus brûlant. De ce point de vue, le roman d’Abel Quentin est plutôt pessimiste, mais il a le mérite de nous mettre face à un constat que nous ne pouvons plus ignorer, alors que le coût des conséquences du changement climatique est de plus en plus élevé. La question qu’il pose est la suivante : comment se fait-il qu’on n’ait pas tenu compte de ces alertes qui ont désormais cinquante ans ?

Si le fond est grave, la forme est plutôt légère, teintée d’humour. Le roman d’Abel Quentin donne le vertige, mais se lit avec plaisir.

Notes de bas de page[+]

Quitter la version mobile