Ce livre est à lire. Pourquoi ? L’intérêt majeur de l’ouvrage écrit par Louis Maurin, directeur de l’Observatoire des inégalités, et publié chez Plon, est d’avoir une vue d’ensemble sur la société et sur les inégalités de toutes natures existant en France.
Cela nous change de la focalisation des médias sur une seule inégalité quelle qu’elle soit, ce qui ne peut permettre de comprendre le réel. Comprendre le réel demande d’avoir une vue suffisamment globale. Et la lecture de ce livre nous y aide.
Pour commencer cette recension par ce que nous estimons être les points forts du livre, aidant à la compréhension du réel, relevons une analyse brillante pour fustiger le primat de la seule critique des ultra riches (1 %) transformés en boucs émissaires pour masquer la réalité de la grande bourgeoisie aisée (20 %) qui est l’élément déterminant correspondant à l’encadrement médiatique, professionnel, intellectuel indispensable à l’oligarchie pour se maintenir – et qui n’a rien à voir avec les couches moyennes intermédiaires. Dit autrement, cette vision du 99 % contre le 1 % correspond à la sociodicée (justification morale des privilèges) souhaitée par ces mêmes 20 %, qui gagnent ce faisant une bataille culturelle pour faire croire que tout est la faute de l’étage du dessus !
Pour répondre à la gauche identitaire (dont il est question dans le livre, mais sans la nommer comme nous le faisons), on apprend par exemple que les cadres sont 30 fois plus présents que les ouvriers dans les émissions de télévision. Ce qui rejoint les travaux des chercheurs Beaud et Noiriel dont ReSPUBLICA a abondamment parlé. Mais cela ne gêne pas la gauche identitaire qui surdétermine sa vision uniquement à partir des minorités visibles ou du genre. Et nous apprécions le propos d’Eva Illouz rapporté dans par Maurin : « les toilettes transgenres ou le langage ‘’inclusif ‘’ ne sont pas perçus comme des sujets susceptibles d’améliorer les conditions de vie d’un grand nombre de citoyens, quelle que soit l’importance symbolique indéniable de ces causes ».
Quant aux raisons de la trahison des élites, le livre reprend les positions du socio-historien Gérard Noiriel à savoir qu’ « il y a un mouvement …profond au sein des classes favorisées, qui repose sur des évolutions idéologiques mais aussi économiques et sociales de la France contemporaine » et que « le déclin du mouvement ouvrier a entraîné également une marginalisation complète de porte-parole issus des classes populaires ». Il montre la responsabilité des dirigeants du PS d’avoir organisé la rupture avec le peuple en reprenant la proposition de Terra Nova de ne rassembler que sur un bloc regroupant les diplômés, les jeunes, les femmes, les minorités et les quartiers populaires. Pire, « au nom de la « modernité » la bourgeoisie culturelle revendique la précarité et le travail à la tâche (sous couvert de la célébration de la « révolution numérique ») pour les autres, moins qualifiés…
Force est de donner raison à l’auteur quand il montre le mépris de classe des groupes favorisés, déjà noté par Pierre Bourdieu : « L’aversion pour les styles de vie différents est sans doute une des plus fortes barrières entre les classes »… « Tout en consommant bien plus que les classes populaires, une partie de la bourgeoisie intellectuelle prône la décroissance, la frugalité et la simplicité volontaire » !
Louis Maurin a raison encore de montrer qu’en classe de 3e le taux d’obésité est trois fois plus fort chez les enfants d’ouvriers que chez les enfants des cadres supérieurs. Et de développer les inégalités sociales de logement ou l’augmentation de la pauvreté en France, particulièrement en zone urbaine. Ou encore de montrer que l’écart se creuse à l’école où « l’âge de sortie des moins bien lotis a augmenté de 1,5 années mais s’est accru de 3,5 années pour les 10 % les mieux lotis ». Ou encore quand il renvoie à une étude de l’Insee sur la dévalorisation du baccalauréat montrant que, relativement à la moyenne des diplômes, le bac 2018 est l’équivalent du brevet de 1982. Ou encore sur le fait que déjà en CE2 le quart des élèves les moins favorisés obtient des notes respectivement de 58 sur 100 en maîtrise du français et de 57 en mathématiques contre 87 et 85 pour le quart issu des familles les plus favorisées. À lire cela, soit on préférera le système finlandais de l’apprentissage plus tardif de la lecture et de l’écriture, soit il faut refonder les premiers cycles ! On lira avec intérêt aussi que les deux tiers des diplômés ont accès à la formation professionnelle contre 15 % aux non-diplômés.
On lira aussi avec intérêt l’encadré intitulé « Inégaux à la retraite » ou encore « Des femmes soumises aussi à la maison ».
Et nous partageons l’idée que ce ne sont pas les milieux populaires qui ont « abandonné la gauche, c’est la gauche qui les a laissés tomber ».
Par contre, nous regrettons que l’auteur caractérise la réalité sociale par trois ensembles : les 20 % aux revenus les plus hauts, les 30 % aux revenus les plus faibles et les 50 % qui sont appelées « classes moyennes ». Cette subdivision, nous la contestons. Plutôt d’accord sur l’ensemble des 20 % les plus aisés, nous disons que les deux autres subdivisions masquent la classe populaire ouvrière et employée qui recouvre près de la moitié de la population ; de plus, elle néglige le sous-prolétariat des précaires et chômeurs pauvres ; enfin elle ne montre pas l’effet de déclassement d’une partie des couches moyennes pourtant analysé dans « Fin de partie pour les classes moyennes » ou dans « La société des déclassés » ou dans l’affirmation « L’ascenseur social fonctionne toujours, mais le plus souvent qu’auparavant en mode descendant ».
Nous pensons que l’effacement de la division en classes nuit à la compréhension de ce qui se passe aujourd’hui. D’autant que ce que nous écrivons là se résume par la dernière phrase du livre ou reprenant Orwell, l’auteur appelant à articuler justice et liberté et à « montrer, sans ambiguïté aucune, où passe la ligne qui sépare les exploiteurs et les exploités ».
Cela dit, nous partageons avec l’auteur le souhait que l’Insee travaille à moderniser sa catégorisation sociale.
Autre réserve : dans la partie intitulé « Insécurité sociale » et plus loin dans celle intitulée « Renforcer les services publics », nous regrettons qu’aucune mention ne soit faite aux travaux de refondation de la Sécurité sociale, avec la perspective par exemple d’un nouveau statut du travailleur salarié et d’une sécurité sociale professionnelle qui permette d’ouvrir un espoir et un avenir.
Enfin, si l’auteur appelle à « aplatir les hiérarchies », il ne semble pas porter la voie du processus d’entrée de la démocratie dans l’entreprise.
Conclusion : il faut lire ce livre et revenir en débattre avec nous !