La trame de l’histoire repose sur des sculptures et des représentations de femmes plus ou moins dénudées qui se rebellent contre les attitudes et attouchements de visiteurs. L’autrice imagine également des propos sexistes de personnages célèbres comme Jean Racine en s’inspirant de son œuvre, à l’instar d’Athalie, rédigée en 1691.
Cette rébellion, l’autrice l’exprime en faisant dire à l’une des sculptures « Ainsi, je ferais bien la nique à vos regards de vieux lubriques. » Une sculpture qui représente un homme en rajoute et l’autrice lui met ses paroles dans sa bouche : « Tout le monde envie votre beauté, les Grâces, Atalante et cette bécasse de Psyché. Arrêtez de geindre ? N’ai-je pas plus de raison de me plaindre ? Combien de fois, lors des visites, on m’a traité de petite bite ? ». Seule, la femme de ménage semble comprendre le désarroi et l’humiliation ressentie par les statues féminines de nue.
L’autrice dénonce le machisme ambiant en imaginant que le président-directeur est un homme et la secrétaire de direction, sa sœur. Dans les faits, les rôles sont inversés. La sœur se déguise en homme et le frère en femme. Ainsi, la direction est assumée par la sœur plus compétente en matière de communication que tout le monde prend pour un homme. Une série de quiproquos édifiants s’ensuivent.
L’autrice imagine une crise : toutes les représentations féminines s’invisibilisent pour protester contre les attouchements, les regards concupiscents, les propos qui les réduisent à un objet sexuel.
Une scène édifiante permet au président-directeur habillé en femme de se rendre compte que certains hommes, dans leur relation aux femmes, ne sont pas irréprochables. Cela apparaît avec les propos machistes frisant le graveleux tels « Ho, elle a besoin d’aide, Miss Jolies Gambettes ? », ou encore un chauffeur de taxi « Alors, on va où, ma p’tite dame ? » ou encore des gestes humiliants, voire dégradants, telle une main aux fesses…
Cette révélation lui fait comprendre la raison de la décision des femmes nues représentées au Louvre de s’« invibiliser ».
S’en suivent des échanges édifiants et éclairants sur l’art avec la conservatrice du département des peintures. Elle fait part du malaise qu’elle ressent parfois face à la nudité dans l’art ancien et son sens sous-jacent. La nudité du corps masculin représente le courage, la force, la virilité… Le nu féminin dans la mythologie grecque ou les scènes bibliques prend une pose qui montre une certaine soumission ou humiliation, une vulnérabilité à la merci des hommes.
L’autrice s’appuie sur la légende de Suzanne surprise au bain par deux vieux lubriques qui menacent de l’accuser d’adultère si elle ne s’offre pas à eux. La supercherie dévoilée, les deux « lubriques » violeurs sont condamnés à la lapidation. Le sens de cette histoire, entre la Renaissance et le milieu du 19e siècle, est détourné en faisant de Suzanne une séductrice responsable de son viol. Cela fait penser, de nos jours, à ceux qui affirment que certains accoutrements de femmes en font des appels au viol. L’autrice prend soin de faire dire à la conservatrice qu’elle est sensible à la beauté de ces œuvres d’art dignes d’être exposées tout en désapprouvant l’immoralité de leur signification. Nous sommes donc loin de la pensée woke et de la « cancel culture » ou culture de l’effacement, qui conduisent à l’oubli de la généalogie et de notre histoire et nous conduiraient à vivre exclusivement au présent.
Autre propos mis dans la bouche de la conservatrice qui interpelle, les conservatrices ont nommé entre elles un espace d’exposition « La salle du viol », du fait que certaines « toiles regorgeaient de femmes offertes et d’attouchements non consentis… ».
Le président-directeur objecte que des femmes peintres ont elles aussi représenté des femmes dénudées. Sont comparés deux portraits de femmes dans la même pose et à la même époque. Le portrait de « Madelaine » représente une femme noire au torse dénudé « topless » intitulé Portrait d’une négresse. Ce portrait est considéré comme un « manifeste de l’émancipation de l’esclavage et du féminisme ». La conservatrice montre en parallèle un portrait d’une bourgeoise à la même période et dans la même pose, mais entièrement habillée. Ce portrait est intitulé Portrait de Mme Trudaine. D’un côté, nous avons le portrait d’une « négresse » ancienne esclave et sans identité et de l’autre celui d’une bourgeoise bien identifiée. L’autrice fait dire à Mme Trudaine s’adressant au lecteur « Tout comme Madelaine, je suis en mal d’identité. J’ai perdu la mienne le jour où un homme m’a épousée pour faire de moi sa propriété. Juste une autre forme d’esclavage. »
La fin de l’histoire, œuvre de fiction, faut-il le préciser, propose comme solution rocambolesque que « tout homme majeur devra visiter le Louvre entièrement dévêtu ». Comme l’affirmait Louis Aragon, souvent le mentir-vrai du roman éclaire plus que la relation concrète des faits.
Après la lecture de cette BD, certes dérangeante, nous ne visiterons plus le Louvre de la même manière et admirerons les nus d’un autre regard.
La vision naturiste de l’auteur apparaît avec une ministre de la Culture qui « déclare le Louvre premier musée naturiste du monde ».
C’est une ode à l’égalité des sexes bien éloignée du wokisme, de l’intersectionnalité, de la « cancel culture »… L’autrice prend soin d’écarter toute généralisation abusive qui ferait de tout homme blanc de plus de 50 ans, quelle que soit sa position sociale, un mâle dominateur et oppresseur. Le féminisme de l’autrice cultive, sans l’exprimer tel quel, une distance à soi par rapport à une pensée woke qui « fonde l’identité non sur la singularité de chacune mais sur la ressemblance »(1)Nathalie Heinich citée par Nadia Geerts dans son ouvrage Woke, la tyrannie victimaire. » et qui « a comme corollaire l’essentialisation des différences »(2)Nadia Geerts dans son ouvrage Woke, la tyrannie victimaire..
Quitte à être taxé « d’appropriation culturelle », moi, « homme blanc hétérosexuel de plus de 50 ans », je reprends une pensée de Nelson Mandela qui n’exigeait pas pour les Noirs le droit à la différence, mais le droit à l’indifférence. Cette indifférence permet tous les possibles au lieu d’enfermer dans une communauté dite d’appartenance qui fait de l’individu la propriété du groupe. Le primat de l’individu, homme ou femme, disparaît au profit du clan, de la tribu, du genre.