Recension de la bande dessinée Protocole commotion

You are currently viewing Recension de la bande dessinée <em>Protocole commotion</em>

Cette bande dessinée au graphisme que l’on pourrait considérer comme minimaliste, mais très expressif, traite au travers du sport émancipateur, le rugby en l’occurrence, de questions de société fondamentales. Il s’agit de l’esprit patriarcal, voire machiste, de l’assignation des femmes à ce qui serait correct ou incorrect, du harcèlement au travail, de la difficulté pour nombre de femmes d’être en phase avec ce qu’elles ressentent, avec leur nature propre…

L’autrice, Mademoiselle Caroline, au travers d’une commotion subie par une joueuse qui durant son séjour en observation en hôpital, se remémore une partie de sa vie, décrit la marche du personnage principal vers sa libération, son émancipation. C’est le sport, le rugby, qui va l’aider, dans un bel esprit d’équipe, à prendre conscience de ce qu’elle souhaite vraiment.

Diverses situations sont ainsi évoquées :

  • Les relations avec son compagnon qui ne supporte pas de la voir sortir avec ses copines et se lancer dans la pratique du rugby et qui cherche à lui faire croire que ce sport n’est pas fait pour les femmes. Sous prétexte de ne vouloir que son bien et de se faire du souci pour elle, il veut l’empêcher de vivre alors qu’il ne cherche qu’à assurer son emprise sur elle ;
  • Les relations au sein de sa famille, et notamment avec sa mère. Cette dernière considère que le rugby est dangereux, entraverait une possible grossesse dont elle ne veut pas. Sa sœur est considérée comme plus « convenable », car elle pratique l’équitation plus « conforme » à l’image conservatrice et patriarcale de la femme ;
  • Les relations au travail avec un chef qui dénigre son travail, l’humilie et des collègues qui se réjouissent chaque fois qu’elle se fait « remonter » les bretelles.

Tout au long de l’ouvrage, l’autrice nous invite à cheminer avec le personnage principal à partir au départ de sa résignation à ne pas répondre, à garder pour elle ce qu’elle aurait dû affirmer face aux injustices, jusque vers son émancipation. Le moment réjouissant, voire jubilatoire, est celui où, face à l’ultimatum de son compagnon qui l’enjoint de choisir : « C’est le rugby ou moi. », elle s’affirme devant ses copines qui la soutiennent. Lorsque ces dernières lui demandent « Ben, ce [n’] est pas compliqué. Tu veux arrêter le rugby ? », elle se lance dans le propos libératoire suivant :

Certainement pas !

J’ai enfin trouvé un endroit, un moment de ma vie, un sport où je peux faire tout ce qu’on m’a toujours interdit de faire…

– Être violente, sale, agressive, me rouler dans la boue, me battre, boire comme un trou, aller au bout de mes forces, me faire mal et aimer ça, être forte et en être fière…

Sentir mon corps utile à autre chose que de faire un bébé (leitmotiv de son compagnon, de sa mère), sentir mon corps fort et solide et non gros et mou…

Je fais peur sur le terrain, au lieu d’attirer la pitié dans la vie…

– Et il me demande (son compagnon) d’abandonner ça ? 

Précisons que cette violence n’est pas volonté d’abaisser l’autre, mais simple affirmation de soi dans le respect de l’adversaire qui n’est pas un ennemi, mais un atout pour se grandir, pour grandir ensemble. Du moins, est-ce ainsi que je l’interprète.

C’est tout simplement une sorte de charte du féminisme universel qui exige que les femmes soient traitées comme des êtres humains pour lesquels tout doit être possible, pour lesquels rien ne doit être interdit pour une question de sexe ou de genre ; c’est une proclamation de libération féminine, non pas contre les hommes, mais contre le machisme ambiant qui est soit flagrant, soit sous la forme d’une épistémè qui, souvent de manière inconsciente, nous contraint à penser de telle ou telle manière, à agir selon une morale non dite et d’autant plus efficace dans l’aliénation des individus.

L’autrice nous amène à réfléchir sur ce qui nous pousse à penser d’une façon ou d’une autre, à agir d’une certaine façon plutôt que d’une autre. Nous sommes amenés à vouloir certaines choses, à accepter certaines conditions alors que nous ignorons les causes qui invitent à ce « vouloir », à cette « acceptation ».

Spinoza imaginait une éducation qui ne se contente pas de construire avec les élèves et de transmettre des connaissances scientifiques, historiques, géographiques, mathématiques, littéraires…, certes importantes et nécessaires, il imaginait plutôt une éducation qui conduise les élèves à connaître leur nature profonde et donc à prendre conscience des déterminismes pour mieux s’en libérer et à développer leur pensée rationnelle.

Cela interroge les récentes réformes scolaires qui ne visent que l’utilité à court terme, la formation pour l’employabilité et entravent la formation d’un citoyen conscient, émancipé parvenu à une forte autonomie de jugement.