Dans un contexte de crise démocratique et sociale d’une ampleur inégalée depuis 1968, on se demande ce qu’il en est de l’universalité laïque dans notre République constitutionnellement définie comme « indivisible, laïque, démocratique et sociale ». Ce livre écrit par trois chercheuses en philosophie, sociologie et sciences politiques, Renée Fregosi, Nathalie Heinich et Virginie Tournay, ainsi que Jean-Pierre Sakoun, aujourd’hui président de l’association Unité Laïque, se présente comme un manuel de survie laïque en temps d’offensive antilaïque.
Ce petit livre fournit quarante-six réponses synthétiques à autant de jugements auxquels tout militant laïque a été confronté ou peut l’être, parmi lesquels « La laïcité… » : « n’a rien à voir avec la lutte féministe » ; « est incompatible avec la diversité culturelle » ; « concerne l’État, pas la société » ; « est un concept scientiste, sans effet sur les grands défis contemporains » ; « n’est pas menacée ».
À l’idée propagée par divers imposteurs et falsificateurs selon laquelle « il y a plusieurs sortes de laïcité », les auteurs répondent qu’ « il y a une laïcité tout court, c’est-à-dire l’engagement ferme, le combat pour l’autonomie de l’individu ».
Il est montré que, loin de faire abstraction de la réalité sociale, la laïcité est un principe organisateur de la relation entre l’État et la société. Ce principe est celui de « la primauté de la loi de la République sur les prescriptions religieuses » et de « la protection de l’individu par la loi contre l’emprise des religions et des idéologies totalitaires ». On voit ce qui distingue les modèles états-unien et français, le premier se bornant à protéger les religions de l’État, tandis que le second protège l’État et la société de l’emprise des religions tout en garantissant la liberté de culte.
De notre point de vue matérialiste et historique, on ne pourrait comprendre qu’en France, l’édifice législatif qui s’est construit depuis la Révolution jusqu’à nos jours, persiste aujourd’hui, si des forces sociales n’avaient pas intégré la puissance émancipatrice de la laïcité. Aucun « mur infranchissable » ne sépare la société de ses institutions. La laïcité est tridimensionnelle : individuelle, institutionnelle mais aussi culturelle, comme « conduite sociale », « culture de la liberté, de l’égalité et de la fraternité ». Elle constitue un « sécularisme émancipé » délié de toute référence transcendante au profit de règles et de normes, comme disait Descartes, d’« hommes purement hommes » : s’appuyant sur la seule raison.
Nous nous reconnaissons dans l’insistance mise sur l’ancrage rationaliste de la laïcité. Les auteurs osent s’affirmer « laïques, parce qu’habités par la raison », dans un contexte délétère de dépréciation réactionnaire des Lumières, de post-vérités qui minent la démocratie, de sophismes ineptes en faveur de conduites de soumission librement consenties, ou de stratégies vaseuses consistant à faire les yeux doux aux Fréristes qu’il ne faudrait pas amalgamer aux Salafistes.
En quelques belles formules, il est rappelé qu’à l’école, la laïcité ne soutient nullement un prétendu catéchisme d’État mais « l’effort de l’acquisition des savoirs (qui) donne le plus beau résultat, celui de son propre émerveillement sans cesse renouvelé lorsqu’on a ‘compris’. C’est aussi le moment où l’on prend conscience de sa propre liberté et du pouvoir de la raison. » Ces mots sont du chinois pour les néolibéraux français destructeurs obsessionnels de l’école.
Mentionnons particulièrement le chapitre dédié au concordat. Le statut législatif dérogatoire de l’Alsace et de la Moselle est pointé en ce qu’il contrevient au caractère indivisible de la République. Il est montré que ce statut permet d’étendre indéfiniment le périmètre des prescriptions religieuses à tous les niveaux de l’existence des individus.
Par-delà le maintien de régimes juridiques dérogatoires à la loi de 1905, l’enjeu, pour les ennemis de la laïcité, est d’imposer progressivement à l’ensemble du pays un régime de type concordataire en substitution à la laïcité. « Ceux qui rêvent de rogner la laïcité et de redonner aux cultes un droit de regard sur la société ont pour le concordat les yeux de Chimène. […] Certains vont jusqu’à appeler de leurs vœux une ‘laïcité concordataire’, l’équivalent d’une eau qui ne mouille pas. »
Nous considérons que la présente offensive antilaïque relève d’un projet néo-concordataire, aussi réactionnaire que la brutalité antisociale et l’obstination antidémocratique imposées par Emmanuel Macron à travers sa réforme des retraites. L’aiguisement de la lutte des classes recherché par le président de la République, défenseur décomplexé du capital contre le travail, est en phase avec son programme affligeant de restauration concordataire : « réparer le lien entre l’Église et l’État ».
Last but not least. Dans une trentaine de dessins, les pingouins de Xavier Gorce offrent un concentré drôle et cruel de l’aplomb déconcertant des antilaïques contemporains, qu’ils soient fanatiques ou complices naïfs.
L’ensemble offre aux laïques un outillage roboratif. Il peut éclairer tous ceux qui n’ont pas saisi l’idéal humaniste de liberté, d’égalité et de fraternité porté par la laïcité.