Parmi les bonnes nouvelles, la parution aux éditions de l’EHESP de Soigner l’humain (manifeste pour un juste soin pour un juste coût), de Claire Georges de la PASS (permanence d’accès aux soins de santé) de Saint-Louis. On y retrouve beaucoup des idées du MDHP pour la prise en charge globale des patients (bio-psycho-sociale) contre la réduction du patient à un « porteur de maladie », contre l’hôpital entreprise et sa déviance managériale et contre le tout T2A .
Au fond ce livre illustre l’équation « prise en charge globale = dotation globale » et montre que la qualité suppose une personnalisation permettant une évaluation personnalisée mais échappant aux indices dits de qualité qui conduisent à soigner les indices plutôt que le malade. On peut lire « certains médecins hospitaliers eux mêmes orientent leur pratique en fonction de la T2A, devenant de véritables experts en codage » (page 239).
Bienvenue au club de la critique de la politique auto-réalisatrice du tout T2A ! Ceci-dit, ce livre illustre aussi les difficultés de notre combat:
1) Il est teinté d’un fort corporatisme ignorant le combat mené depuis plus de 40 ans pour une « médecine intégrée » par des gériatres,des pédiatres, des psychiatres,des médecins généralistes prônant une pratique d’équipe, des spécialistes de la maladie chronique et tout particulièrement par les pionniers de l’éducation thérapeutique du patient… Seuls sont cités les spécialistes des soins palliatifs
Du coup les autres, tous les autres, sont vite rangés dans le même sac, de simples techniciens à la vision maculaire, accusés avant même d’avoir été jugés. Ainsi on peut lire page 57 « Il est probable qu’une prise en charge au sein du service de néphrologie de l’hôpital aurait conduit à effectuer ce choix qui apparaît aux yeux du spécialiste comme le seul choix possible ». La patiente aurait été dialysée puis greffée « Par la suite elle aurait reçu un traitement immunosuppresseur qu’elle n’aurait certainement pas pu recevoir au Burkina. Elle n’aurait pas pu faire ce qu’elle souhaitait: repartir dans son pays une fois guérie ».
Cette séparation simpliste entre les bons – nous – et les mauvais – les autres – conduits les élèves directeurs stagiaires à l’ANAP qui ont participé à ce travail, à une réécriture touchante de l’histoire, en décrivant l’ensemble des directeurs comme « avant tout des hommes ou des femmes de santé publique » ? « Le directeur n’est plus le directeur-économe mais un personnage majeur de l’Etat-providence veillant à l’humanisation et à l’accès de tous à des soins de qualité » peut-on lire avec surprise alors que l’Etat-providence est à la peine ! Propos fort sympathiques et rassurant sur l’engagement de leurs auteurs mais gommant l’adoption par la FHF du slogan Hôpital-Entreprise,la transformation à l’initiative de directeurs des Services usagers ou patients en « Service clients », le changement de nom du Syndicat des cadres hospitaliers devenu Syndicat des manageurs des établissements de santé, le soutien apporté par ce syndicat de directeurs à la loi HPST avec ses terminologies issues du code du commerce, le soutien de la FHF au » tout T2A », l’adoption de la nov’langue : « business-plan, travail à flux tendu, gains de productivité, gains de parts de marché… »
2) Du coup le livre oscille entre d’une part la volonté de faire de la PASS, pratiquant la prise en charge globale financée par des MIG (dotation) un modèle à étendre à de nombreux autres services, comme y insistent plusieurs articles du livre et d’autre part le choix inverse de faire de la PASS , un centre de désencombrement de l’hôpital-entreprise comme le propose Jacques Barrier (« Les PASS permettent de fluidifier le fonctionnement global d’un établissement de santé qui se trouve ralenti par la prise en charge de ces situations ». Page 96 « Il n’est pas question de proposer une démarche de retour en arrière consistant à penser l’intégralité du champ médical comme relevant de l’artisanat ». Page 102 « En parallèle de l’industrie florissante que représentent les protocoles hospitaliers, le modèle artisanal des PASS permettant de soigner les marges a toute sa place dans notre système de santé ». Page 109 « Ils sont les marges de la patientèle, les 5 % d’une courbe gaussienne « … « On peut ici faire l’hypothèse que l’approche industrielle est efficace dans 80 % des cas, justifiant une approche plus artisanale dans 20 % des cas ».)
Ce qui est un peu surprenant c’est non seulement que le débat ne soit ni mené ni même ébauché entre les auteurs du livre mais pire que les cosignataires d’articles contradictoires soient les mêmes
3) Le livre ne cesse de faire l’éloge du principe éthique « du juste soin au juste coût » , inscrit soit dit en passant dans le code de déontologie médicale, c’est à dire du juste soin pour la personne au moindre coût pour la collectivité. Cependant il passe sous silence lors d’une comparaison entre les Centres de soins palliatifs et les PASS, le fait que les soins palliatifs ont obtenu une T2A « valorisante » (ce qui les a soustrait du combat contre le tout T2A, en rendant la mort « rentable » !).
Et dans un article sur la pertinence médico-économique abandonnant tout-à-trac « le juste soin au juste coût » les auteurs affirment « Dans une perspective de retour sur investissement, les PASS sont des investissements rentables pour un établissement de santé » (page 245).
Rien d’étonnant dès lors à ce que Christian Anastasy , directeur général de l’ANAP, qui a écrit la conclusion du livre, ait eu l’audace lors de la présentation publique de l’ouvrage de proposer pour les PASS un « GHS valorisant »!
Le débat est donc ouvert s’agit-il de « soigner l’humain » pour 80 % de l’activité hospitalière ou seulement à la marge, ou mieux l’action humanitaire ne pourrait-elle pas être utilisée comme un slogan marketing rentable financé par l’hôpital-entreprise de la même façon que les grands du CAC 40 ont leurs « œuvres » ? Merci à toutes et tous d’y contribuer malgré ces temps moroses de résignation.