Jeudi 28 septembre, Emmanuel Macron, invité devant l’Assemblée de Corse a présenté sa vision de l’évolution du statut de la Corse : « Ayons le courage de bâtir une autonomie à la Corse, dans la République » a-t-il déclaré. Il a donné six mois aux élus corses pour « bâtir un référentiel pleinement Corse dans la République », afin de pouvoir ouvrir des négociations qui aboutiraient à « un texte constitutionnel et organique, ainsi soumis à votre accord [les élus corses] d’ici six mois » « sous le contrôle du Conseil d’État et du Conseil constitutionnel »(1)Toutes ces citations sont extraites du discours d’Emmanuel Macron, le 28 septembre devant l’Assemblée de Corse.. Il s’agit donc d’élaborer, et de donner à la Corse un statut reconnaissant « l’identité corse », concrétisé par une révision constitutionnelle, afin d’inscrire cette identité, cette spécificité corse dans la Constitution. Comme par miracle, la « reconnaissance d’une langue et d’une communauté particulière » va permettre de résoudre le « sous-développement durable » de l’île, « la vulnérabilité de l’économie et du corps social, [les] bouleversements démographiques, spéculation foncière et immobilière, dérives mafieuses. »(2)Voir la tribune de Jean-Christophe Angelini, maire Partitu di a Nazione Corsa (PNC) de Porto-Vecchio, en Corse-du-Sud, président de la Communauté du Sud Corse et président du groupe Avanzemu/PNC à l’Assemblée de Corse..
Les déclarations d’Emmanuel Macron ont été faites à l’occasion de la célébration de la libération de l’île, laquelle a eu lieu du 9 septembre au 4 octobre 1943, après de durs combats contre les troupes allemandes. Le choix de la date par E. Macron donne une symbolique tout à fait particulière à ses annonces. En effet, le 4 décembre 1938, à Bastia, en réponse aux revendications mussoliniennes : « Corsica, Savoia, Tunisia a noi ! », des milliers de Corses ont prêté serment devant le monument aux morts : « Face au monde, de toute notre âme, sur nos gloires, sur nos tombes, sur nos berceaux, nous jurons de vivre et de mourir Français ».
Immédiatement, sans connaître le futur statut de la Corse, des élus régionaux bretons ont réclamé la même chose pour la Bretagne, ouvrant une boîte de Pandore de demandes reconventionnelles sans fin.
La vision sur la Corse d’Emmanuel Macron et les questions qu’elle pose
Pas plus que les Bretons, nous ne connaissons ce qui sortira des négociations entre les élus corses et le gouvernement dans six mois. Cependant plusieurs questions peuvent dès aujourd’hui être soulevées :
- La Corse a déjà un statut institutionnel particulier, avec une organisation des pouvoirs spécifique. La constitutionnalisation d’une identité spécifique pour une région ne va-t-elle pas ouvrir des demandes identiques dans d’autres régions comme la Bretagne, le Pays basque, la Savoie, l’Alsace, et la liste n’est pas exhaustive ? D’ores et déjà, l’Alsace – avec la Communauté européenne d’Alsace – bénéficie de prérogatives particulières dans le domaine linguistique (sur le bilinguisme), la coopération transfrontalière (avec l’Allemagne et la Suisse), la gestion des autoroutes non concédées, la politique touristique.
- Depuis 1984, la « décentralisation » jacobine, poursuivie par une fuite en avant constante, sans examiner et sans évaluation des étapes précédentes avant de passer à l’étape suivante, a abouti à la création de fiefs et de baronnies pour les « grandes régions » créées par François Hollande et pour les élus des grandes agglomérations, au détriment des maires des communes, des petites et moyennes communes notamment. Ce nouveau statut corse va-t-il poursuivre et aller dans le même sens en faveur de barons locaux, au détriment de la citoyenneté ?
- Peut-on croire qu’il suffit de changer de statut, d’inventer un statut d’autonomie pour résoudre les crises sociale, économique et culturelle, les questions climatiques ou environnementales ? Bien entendu, beaucoup de problèmes peuvent et doivent être traités au niveau local et apprendre les langues régionales est une bonne chose, mais si les conditions concrètes, matérielles, pour résoudre les crises ne sont pas réunies et si la collectivité locale se heurte à des questions qui dépassent son aire géographique, le nouveau statut ne sera pas d’une grande utilité. Il peut, certes, y contribuer si les interdépendances territoriales, sociales, culturelles et les solidarités qui en découlent sont prises en compte. C’est le grand apport de la République, même s’il reste beaucoup à faire pour le mettre en œuvre, surtout quand les politiques ultralibérales des gouvernements et des oligarchies vont dans le sens contraire.
- De par l’article 1 de la Constitution, la République est indivisible : « La France est une République indivisible, laïque, démocratique et sociale. Elle assure l’égalité devant la loi de tous les citoyens sans distinction d’origine, de race ou de religion. Elle respecte toutes les croyances. Son organisation est décentralisée. » C’est ce qui garantit l’égalité des territoires et fonde les principes pour les services publics et la possibilité de péréquations territoriales ; même si, ici aussi, les politiques libérales vont en sens contraire. Certes « son organisation est décentralisée », mais seulement son organisation, dans le cadre de ce qui précède dans l’article de la Constitution. A-t-on intérêt à rompre avec ce principe d’égalité, même s’il est très mal mis en œuvre aujourd’hui ?
S’il est bien normal que les Corses, comme tous les Français et résidents sur le territoire veuillent être maîtres de leur destin, cela ne peut se faire en opposition aux autres, seuls dans leur coin, dans un monde de plus en plus interdépendant ainsi que le démontrent les dérèglements climatiques et les questions de pollution et environnementales.
C’est à tout cela, que doivent répondre les élus corses, s’ils ont en tête l’intérêt général de la population de l’île, et pas seulement leur propre pouvoir, parfois bien illusoire face aux pouvoirs financiers et oligarchiques, sauf à les épouser complètement comme le fait le gouvernement actuel. Il ne s’agit pas de faire une nouvelle réforme institutionnelle, pour et par les élus comme cela semble être parti, mais, en Corse, comme sur le continent, de garantir la liberté du peuple et une citoyenneté effective. Enfin, le statut de la Corse « dans la République » n’est pas qu’une affaire corse, et encore moins une affaire des élus corses, mais une affaire qui intéresse et concerne tous les Français.
De manière générale, il ne faudrait pas substituer au centralisme étatique voulu par Napoléon 1er (et non les Jacobins) un centralisme régional qui tous les deux limitent, corsètent la démocratie républicaine et la souveraineté du peuple. Il est un principe auquel nous ne devrions pas déroger selon lequel, du point de vue de la République, il n’est pas de peuple corse, alsacien, breton, auvergnat, gascon, occitan, lorrain, réunionnais, martiniquais, guadeloupéen, calédonien… mais un peuple, le peuple français. Ce peuple est à la fois divers et semblable ainsi que le reconnaît et le permet une laïcité non dévoyée.
ReSPUBLICA reviendra sur ce sujet essentiel pour le devenir de la République, le moment venu, quand les propositions concrètes seront connues.
Notes de bas de page
↑1 | Toutes ces citations sont extraites du discours d’Emmanuel Macron, le 28 septembre devant l’Assemblée de Corse. |
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↑2 | Voir la tribune de Jean-Christophe Angelini, maire Partitu di a Nazione Corsa (PNC) de Porto-Vecchio, en Corse-du-Sud, président de la Communauté du Sud Corse et président du groupe Avanzemu/PNC à l’Assemblée de Corse. |