NDLR – Une version corrigée de ce texte a paru dans Les Possibles, n° 25, automne 2020.
La crise politique que nous traversons n’est pas qu’une crise de régime un peu plus grave que les autres. Elle exprime une inquiétude sur le sens des mots, sur la nature même de la vie publique, sur les relations sociales. Elle concerne en fait le devenir de l’humanité au sens de la capacité de l’humain à maîtriser son propre destin.
La période appelée moderne, celle qui s’est exprimée à partir des Lumières, est fondée sur une confiance en l’humain. Elle perpétuait cette pensée du poète Térence : « Je suis un humain ; je considère que rien de ce qui est humain ne m’est étranger ». L’individu est à la fois un être libre -le citoyen-, et un membre du corps social – le peuple –.
Si les attaques contre les Lumières ne sont pas neuvesi, toute une école de pensée qu’on appelle postmoderne a remis en cause l’idée d’autonomie du sujet politique au travers d’une critique de la raison et d’une valorisation des identités particulières. Par ailleurs, au nom de la technique, des « lois » économiques, des défis, en particulier écologiques, des nécessités de la mondialisation, les citoyens sont appelés à se soumettre aux experts dans la perspective d’un gouvernement mondial autoproclaméii.
L’invasion de l’expertocratieiii dans la vie publique se conjugue avec un attrait pour le tirage au sort dans le choix des représentants du peuple.
Les citoyens ne sont évidemment pas portés à défendre la caricature de démocratie que sont actuellement les institutions françaises et européennes. Mais cela ne justifie en aucune façon la propagande destinée à faire croire que la crise de la démocratie résulte de l’emploi du suffrage universel. Bien au contraire, celui-ci est systématiquement dévoyé par les institutions et les partis politiques.
Le tirage au sort n’est pas un aménagement technique de la démocratie. C’est une délégitimation du suffrage universel comme outil d’expression de la volonté des citoyens. C’est aussi un instrument au service des experts qui y voient le moyen de justifier leur pouvoir en encadrant les tirés au sort. C’est une marche vers l’enterrement pur et simple de la démocratie comme gouvernement du peuple, par le peuple, pour le peuple, achevant un renversement politique et philosophique majeur.
C’est dans ce contexte qu’il faut analyser la Convention citoyenne pour le climat.
Un nouvel avatar des anti-Lumières ?
Les inquiétudes quant aux risques qui pèsent sur la planète sont justifiées et assez largement partagées. Cela ne justifie en aucun cas le refus du débat contradictoire et les attaques contre le suffrage universel.
Il est frappant de voir comment des figures de l’écologie prennent position contre la volonté du peuple. Ainsi Cyril Dioniv déclare-t-il « Se pose aussi le problème de l’opinion… Les politiques se réfugient toujours derrière cet argument… ils ont besoin de contenter la majoritév». Ainsi, le climatologue François-Marie Bréon clame-t-il que « les mesures qu’il faudrait prendre seront difficilement acceptées. On peut dire que la lutte contre le changement climatique est contraire aux libertés individuelles et donc sans doute avec la démocratievi ». Ainsi l’astrophysicien Aurélien Barreau affirme-t-il que, face aux questions climatiques, il faudra prendre des « mesures coercitives, impopulaires, s’opposant à nos libertés individuellesvii ». Ils sous-entendent donc, sans avancer d’arguments, que la démocratie ne peut pas donner les réponses adaptées aux défis.
La philosophie des Lumières a, certes, conduit certains à des visions scientistes de la société ou même à des justifications du capitalisme. Mais il n’est pas sérieux de la résumer à cela. Comme l’évoquent d’ailleurs Jean-Marie Harribey et Pierre Khalfa répondant à une tribune de l’éthologue Pierre Jouventin et l’économiste Serge Latoucheviii, « comment demander à des philosophes dont l’objectif était de secouer la chape de plomb de l’absolutisme et de l’Église de prendre en compte les conséquences du développement du capitalisme industriel encore à naître et qui ne se manifesteront que plus d’un siècle plus tardix ? »
Considérer aujourd’hui que la souveraineté populaire appuyée par la raison n’est pas à même de préparer l’avenir est un a priori idéologique. L’exemple du référendum de 2005 qui a vu le peuple français se mobiliser pendant de longs mois sur un sujet technique compliqué et refuser le Traité Constitutionnel Européen prouve à l’évidence le contraire.
Le rejet des élus ne doit pas conduire
à un rejet du suffrage universel
La vie politique, en France, se résume désormais, plus ou moins, à l’élection, tous les 5 ans, d’un Président de la République qui concentre tous les pouvoirs. La séparation des pouvoirs n’est plus qu’illusion. La justice n’a pas son indépendance théorique. Le Parlement ne sert pratiquement plus à rien, l’Assemblée nationale étant totalement soumise à l’exécutif depuis, en 2000, l’adoption du quinquennat et l’inversion du calendrier électoral qui transforme les parlementaires en féaux de la Présidence.
Les dirigeants et les médias qu’ils contrôlent tentent alors de faire croire que les citoyens se désintéressent de la politique. Combien de signes, depuis les bonnets rouges et les grandes manifestations pour les retraites jusqu’aux gilets jaunes, expriment au contraire l’aspiration des citoyens à une véritable démocratie ?
En réalité, les électeurs font avec les moyens du bord : abstention, vote blanc malheureusement considéré comme non exprimé, rejet des uns puis des autres, etc. Dans ce cadre, le rassemblement de tous contre le Front national apparait comme une manière artificielle de résoudre la question de la légitimité d’institutions devenues hors-sol.
Et la légitimité, bon sang !
Sur France infox, Jean-Michel Apathie, une des plus célèbres vestales de la conformité, a expliqué que les résultats du premier tour des législatives de 2017, pourtant marqués par un taux d’abstention exceptionnellement élevé, ne soulevaient aucun problème de légitimité. Encore un qui ne voit pas l’éléphant au milieu de la cour. Si l’on tient compte des blancs et nuls, plus de 52 % des électeurs n’ont voté pour aucun des candidats en présence. Déjà, le Président de la République n’avait obtenu que 18,3 % des inscrits au premier tour de la présidentielle en 2017. Quand donc y a-t-il un problème de légitimité ?
La légitimité est sans aucun doute une question sous-jacente, rarement exprimée et pourtant fondamentale. Déjà, le mardi 12 novembre 2012, au lendemain des manifestations qui avaient visé François Hollande la veille à Oyonnax, Jean-Marc Ayrault s’affrontait à Christian Jacob, chef de file UMP à l’Assemblée nationale, en l’accusant de « contester la légitimité » de l’élection de François Hollande. Il allait même plus loin en affirmant : « Vous êtes en train de faire croire qu’il y a une crise institutionnelle. Mais de quoi parlez-vous ? Remettez-vous en cause la légitimité de l’élection présidentielle au suffrage universel ? »
En fait, disons franchement que la présidentielle ne sélectionne pas un candidat en fonction de son programme ; tout au plus élimine-t-elle les autres, après une avalanche des sondages et par un vote plus ou moins forcé en faveur des rares personnes disposant des moyens médiatiques et financiers.
N‘en déplaise à ceux qui jouent le jeu des institutions d’aujourd’hui en espérant tirer les marrons du feu social, nous sommes face à une double Illégitimité : celle de la classe politique comme du jeu politique qui la soutient, celle des institutions européennes.
Qui inverse les responsabilités ?
Loin de se remettre en cause devant la contestation qui les touche, les principaux responsables politiques s’interrogent désormais sur la… légitimité des citoyens. Extraordinaire inversion qui conduit les élus –ou les non élus- à incriminer les électeurs.
La méthode est devenue systématique lorsque le résultat n’est pas celui qu’avaient défini les experts ou la presse aux ordres. Ainsi, en 2002, après l’élimination de Lionel Jospin au premier tour de la présidentielle, sa femme déclare-t-elle que la défaite électorale de son mari était imputable… « aux électeurs » qui, « insouciants » qu’ils sont, « ont voté les yeux bandésxi ». Ainsi le vote des Français contre le TCE, considéré comme déraisonnable, est-il bafoué en 2008 par la ratification du Traité de Lisbonne. Ainsi, au soir des municipales de 2020 et devant le taux d’abstention exceptionnel (60 %), la plupart des commentateurs de télévision accusaient les citoyens d’insouciance coupable à l’approche des vacances d’été. Le mot « incivisme » fut même prononcé plusieurs fois. On confond l’effet et la cause pour mieux déverser un mépris éhonté pour le peuple.
Ainsi, le constitutionnaliste Dominique Rousseau explique-t-il qu’il est plutôt hostile au RIC parce qu’il permettrait de « demander le rétablissement de la peine de mort ou l’instauration d’une préférence nationale ou l’enfermement préventif des pervers sexuelsxii ». Comme tous ceux qui balancent cette insulte, il ne prend même pas la peine de l’étayer. Ceux qui ont fait des réunions concernant la souveraineté populaire savent que, systématiquement et particulièrement s’ils défendent le RIC, ils se trouvent confrontés à des personnes critiquant la volonté des citoyens au nom de risques a priori, dont celui de voir rétablir la peine de mort. Je suis l’un des députés qui ont voté l’abolition et je m’en flatte ; j’ai souvenir qu’à l’époque, je n’ai eu ni avant le vote, ni après, de grandes manifestations hostiles, tout au plus des demandes d’explications. En fait je vois, dans ce type de réactions, la volonté de certains de légitimer leur haine de la souveraineté populaire et leur mépris de classe.
Ces attaques contre le citoyen sont, hélas, devenues monnaie courante. Bien pis, aujourd’hui, elles ne portent plus seulement sur le comportement de l’électeur, elles attaquent le principe même de la démocratie, la capacité du citoyen à participer à la décision publique et qu’il faut donc guider. Incivisme des citoyens ? Non, indécence de la classe dominante, d’une presse à la fois inculte et chienne de garde de la pensée officielle !
À bas le suffrage universel
C’est tout à fait logiquement que ces visions surplombantes aboutissent à attaquer le principe même du suffrage universel. Ainsi Thierry Pech, porte-parole de Terra Nova, l’icône du parti socialiste, déclare-t-il que « les populismes reposent sur une absolutisation du suffrage. Ni Bolsonaro, ni Orban, ni Poutine, ne sont le produit d’autre chose que des élections. En dehors des élections, point de légitimité à la presse, à la justice, aux corps intermédiairesxiii ». Un positionnement charmant, à mi-chemin entre la naïveté et le totalitarisme. Notons l’énormité du propos : la légitimité ne vient pas des urnes, elle vient des médias ou des corps intermédiaires, donc d’une caste bien fermée. Intéressantes pirouettes qui permettent d’attaquer le suffrage universel et non plus le système politique qui le détourne avec acharnement.
Grace à ce tour de passe-passe, la critique bien nécessaire des élus peut être inversée. Ils ne sont plus attaqués parce qu’ils ne respectent pas les volontés de leurs mandants, mais parce qu’ils seraient censés les respecter trop ! Cet invraisemblable déni de la réalité étant affirmé, il ne reste plus qu’à proposer de remplacer le suffrage universel par le fameux tirage au sort. Appuyée, depuis des années sur une propagande fort discutable et souvent mensongère – le système démocratique grec n’aurait été appuyé que sur le tirage au sort, la constituante islandaise aurait été tirée au sort, les irlandais n’auraient pu faire connaitre leurs aspirations que par le tirage au sort…xiv–, l’idée du tirage au sort progresse grâce à l’appui d’une fraction de l’extrême gauche. Elle ouvre à une classe dirigeante de plus en plus contestée par les citoyens une perspective pour contrôler l’expression populaire soupçonnée de toutes les bassesses.
C’est ainsi que la « Convention citoyenne pour le climat » a émergé comme une bénédiction pour le pouvoir en place. Elle lui permettait de se présenter comme « démocrate » à un moment où sa légitimité était fortement contestée ; elle faisait plaisir au mouvement écologique, ou du moins à une partie de celui-ci friande de symboles au rabais tels que Greta Thunberg ; elle détournait l’attention loin des résultats électoraux.
Ce qui est en cause, ce sont des institutions dans lesquelles le peuple n’est qu’un lobby parmi les autres. Ce qui est en cause, c’est la démocratie, c’est le dévoiement du suffrage universel, ce sont des élections qui ne permettent plus l’expression de l’intérêt général.
De quoi parlons-nous ?
On connaît l’objection classique : la démocratie n’a jamais été parfaite. C’est vrai, mais une société vit aussi en fonction des valeurs dont elle se dote ; si, dans le passé, l’humanisme, la foi en l’homme, la confiance dans le peuple ont été les référents, force est de constater qu’aujourd’hui notre société s’est fixée comme points de mire des non-valeurs telles que l’argent, la concurrence, l’apparence, la fascination pour toute technique. La démocratie est une recherche permanente, une construction de tous les instants. La nouveauté de notre époque est précisément de renoncer à la démocratie sans l’avouer franchement et de relégitimer subrepticement ainsi des formes aristocratiques de gouvernement.
Au-delà des réformes institutionnelles destinées à encadrer le suffrage, la bourgeoisie en France, en Europe et plus généralement dans l’espace occidental, cherche depuis longtemps des substituts au peuple et à ses représentants. Les citoyens sont sommés de se reconnaître dans une société civile où se mêlent associations progressistes et lobbies de toutes sortes (patronaux, sectaires, etc.). Les institutions européennes représentent la caricature de ces dérives aristocratiques avec une Commission expansionniste, des gouvernements irresponsables et des parlements européen et nationaux réduits à des lieux d’expression plus ou moins contrôlés. Au niveau international, les institutions qui prennent les décisions demeurent complètement hors de portée des citoyens (Fonds monétaire international, Banque mondiale, Organisation mondiale du commerce…). Pourtant, elles sont les pourvoyeuses en chef des inégalités sociales constatées et de la violence d’un ordre économique qui met la planète à sac en exploitant les peuples.
Alors qu’il s’agit de reconstruire le citoyen autour du débat démocratique, le pessimisme vis-à-vis de l’humain sert d’alibi à la remise en cause des fondements de la démocratie. Le peuple et les citoyens ne sauraient être méprisés, manipulés, pris pour des demeurés analphabètes, sans que la démocratie ne soit méprisée elle aussi. Le suffrage universel doit rester l’outil fondamental de détermination dans la vie publique. La rupture avec l’ordre dominant ne peut se faire qu’au nom de la souveraineté populaire.
Et les conventions citoyennes ?
C’est au travers de cette ambition qu’il faut juger les fameuses « Conventions citoyennes », telle celle pour le climat.
Tout d’abord, dans la logique de trouver des substituts au peuple et à sa souveraineté, elles se veulent une nation en miniature. Cette idée est absurde car elle remplace une représentation politique par une représentation statistique, nécessairement idéologiquexv. En quoi des citoyens choisis sur la base d’une statistique sociologique représentent-ils la réalité politique du pays ? Engels était-il de droite et Doriot de gauche ? Et s’il est malheureusement vrai que les assemblées actuelles sont sociologiquement homogènes, cela est dû avant tout à l’absence de moyens financiers et de garanties professionnelles donnés aux candidats des couches populaires. Il y aurait beaucoup à faire en la matière, y compris face à la faillite des partis à gérer l’ascenseur social. Réaffirmons surtout que la démocratie, c’est le droit à la participation de tous et non de quelques-uns à la vie publique et qu’aucune sélection politique ne peut être faite avant un débat public et général. On se retrouve confrontés ici au pessimisme sur les capacités du citoyen à construire la volonté générale dans le cadre du suffrage universel. En ce sens, le tirage au sort rappelle le suffrage censitaire, cher à Sieyès.
Par ailleurs, ces conventions sont encadrées par des experts censés éclairer le débat. Qui décide de l’objectivité – concept peu scientifique – des experts informant les heureux tirés au sort ? Ainsi Thierry Pech, déjà évoqué, était, avec Laurence Tubiana, un des deux coprésidents du « comité de gouvernance » de la Convention climat. Pourquoi n’importe qui ne demanderait-il pas à être entendu comme cela se fait lors des réunions publiques ? En quoi une démocratie électorale construite au plus près des citoyens, à partir des communes et des quartiers, ne permet-elle pas une information contradictoire ? On nous répond généralement que les tirés au sort votent à la fin. Ça ne répond pas à la question de leur représentativité politique. Et quel est le sens d’un vote après un tel huis-clos ?
De plus, grâce à ces experts, elles poussent au consensus. Stéphane Foucart, journaliste du Monde, faisant un bilan de la Convention citoyenne pour le climat, fit cette analyse charmante plus marquée par un enthousiasme naïf que par la philosophie des Lumières : « ce qui s’est produit dans ce cénacle est, en miniature, ce qui devrait plus ou moins se produire dans la société si la disputatio y fonctionnait idéalement… La convention le montre : ce qui clive le plus la société devient plutôt consensuel dès qu’on se donne la peine de le discuter sur une base factuelle, et sans a priorixvi ». Un analyste sérieux peut-il sérieusement penser que la société est aujourd’hui consensuelle quant aux solutions face aux questions climatiques ? Face aux défis écologiques les constats communs n’empêchent aucunement la nécessité des débats tant sur les causes que sur les perspectives. Bien au contraire. Stéphane Foucart ignore d’ailleurs, ou feint d’ignorer, que des choix ont été faits qui gomment les divergences, au nom d’une prétendue objectivité, par exemple quant à la « base factuelle » qui a été utilisée au sein de la convention climat.
La démocratie, processus éducatif, n’est pas faite pour nier les conflits, mais pour les résoudre. Elle est la solution pour construire collectivement et contradictoirement le contrat social qui est notre bien collectif.
Certains ont également prétendu que le tirage au sort n’était qu’un complément au Suffrage universel. C’est un peu comme dire que les lois sécuritaires sont là pour aider la liberté.
Encore une fois, on confond l’effet et la cause. Le dévoiement de l’électeur ne justifie pas sa suppression, mais au contraire sa révolte pour reconquérir son droit électoral. Lorsque l’historien républicain Claude Nicolet déclare : « si on regarde aujourd’hui ce qui se passe… le bilan est ruineux et presque effrayant », il affirme une épouvante. Mais aussitôt, il indique son optimisme en ajoutant : « Il faut, par tous les moyens à notre disposition, agir d’abord pour libérer le peuple de ce qui l’empêche de savoir, de comprendre et de vouloir librement. Chacun de nous peut et doit agir, à la mesure de ses forces, sur un plan ou sur un autre. Chacun de nous doit agir en fonction de ses forces, sur un plan ou sur un autrexvii ». C’est cette volonté que chacun de nous doit affirmer au sein de notre collectivité politique qu’on appelle le peuple.
Réaffirmer l’humanisme
Il y a quelques années à Paris, je vis, place de la République, des banderoles qui annonçaient : « Quelle place de la République voulez-vous demain ? ». L’envie me prenait de noircir « place de la » car j’eusse préféré qu’on me demande « Quelle république voulez-vous ? ». Au fond, c’est un peu ça la démocratie participative. On déplace les problèmes. On parcellise la volonté des citoyens vers des questions annexes. En fait, on cherche une démocratie sans peuple. La confiance en l’humain et la participation de tous sont la base de la reconstruction démocratique. Lorsque j’entends dire que le peuple est vulgaire, violent, incompétent, je me demande toujours si la personne qui exprime cette idée est consciente que le peuple, c’est aussi elle-même. Trop d’entre nous se voient en guides du peuple, se plaçant ainsi au-dessus de lui au lieu d’accepter d’en faire partie.
La souveraineté populaire, c’est l’affirmation d’une confiance dans le citoyen comme dans le peuple en tant qu’être politique. La démocratie, c’est l’affirmation que la volonté collective doit en émaner, c’est le retour à cette immanence. C’est donc un combat contre tous ceux qui œuvrent pour le retour de la transcendance en politique et pour un gouvernement mondial dirigé par les experts.
Le suffrage universel est la traduction de ces principes. Qu’il soit dévoyé par des institutions qui lui laissent son apparence en supprimant son efficacité ne justifie pas qu’on le discrédite et qu’on lui cherche des remplaçants. Bien au contraire, le combat pour les principes humanistes est plus que jamais à l’ordre du jour. Élire une Constituante au plus près des citoyens est un moyen pour redynamiser la liberté du citoyen et la souveraineté du peuple.
NOTES
i Zeev Sternhell, Les anti-Lumières. Une tradition du XVIIIe siècle à la guerre froide, Gallimard 2010.
ii Jacques Attali, par exemple, va jusqu’à proposer de « profiter » des grandes pandémies pour mettre en place un gouvernement mondial, L’Express, 3 mai 2009.
iii Les experts sont évidemment nécessaires pour éclairer la prise de décision, mais leur compétence ne saurait leur accorder le pouvoir de trancher le débat public.
iv Un des fondateurs du mouvement Colibris.
v We demain le 12 août 2019.
vi Libération, 29 juillet 2018.
vii L’Express, 10 octobre 2018.
viii Pierre Jouventin et Serge Latouche « L’homme peut-il se reconvertir de prédateur en jardinier ? », Le Monde, 30 juillet 2019
ix https://www.lemonde.fr/idees/article/2019/08/06/l-equilibre-avec-la-nature-n-a-jamais-existe-on-ne-voit-donc-pas-comment-il-pourrait-etre-retabli_5496932_3232.html,, Jean-Marie Harribey et Pierre Khalfa, Le Monde.fr, 6 août 2019
x Lundi 12 juin 2017
xi Sylviane Agacinski, Journal interrompu, Paris, Le Seuil, 2002
xii Libération, 12 mars 2019
xiii France Culture, 5 novembre 2018
xiv Le tirage au sort n’a existé qu’à Athènes, sur un temps assez court, pour des fonctions secondaires et seulement au sein d’une classe dirigeante assez restreinte, excluant les femmes et les esclaves ; la Constituante islandaise n’a pas été tirée au sort ; en Irlande, était-il besoin de citoyens d’un panel tiré au sort pour découvrir que les questions en débat étaient l’avortement et le mariage homosexuel ?
xv Les CSP (catégories socioprofessionnelles) sont une représentation de la société parmi d’autres, donc discutable. Il y eut par exemple des débats assez longs dans les années 70 sur la définition des ouvriers et des employés, citons celle des conducteurs de train. Sur l’idéologie des nomenclatures, voir par exemple Economie et Statistique N°20, février 1971.
xvi Le Monde, 4 juillet 2020.
xvii Le peuple inattendu, Préface, André Bellon et Anne-Cécile Robert, Ed. Syllepse, 2003.