Courrier de Jacques Variengien
Bonjour Monsieur,
Merci pour cet article. Il me semble cependant que vous réduisez la portée de l’universalisme à la liberté de conscience et à la possibilité de l’exprimer. Ça me semble très insuffisant pour caractériser la laïcité et même l’universalisme laïque. J’en ai écrit quelque chose sur ReSPUBLICA : rubrique courrier des lecteurs du 12 septembre 2021.
Par ailleurs, j’entends bien le qualificatif d’identitaires dans le champ politique pour désigner ceux qui en font une couleur de peau, c’est-à-dire une assignation, mais nous sommes tous des identitaires sur le plan psychologique, et seule la laïcité permet de passer de l’assignation à l’affiliation, soit une identification non exclusive, une parmi d’autres. Et c’est bien pour cette raison qu’elle est combattue pour tous ceux qui veulent resserrer les rangs. L’universalisme laïque, en ouvrant à un autre statut du sujet psychique, coupe le fil (le lien qui tient les poignées !) entre les générations, et nous devons admettre que c’est très violent sur le plan symbolique.
Bien à vous,
Jacques Variengien
Réponse de Pierre Hayat
Cher Jacques Variengien,
Merci de votre réaction.
Je partage votre point de vue : ni l’universalité ni même l’universalité laïque ne se réduisent à la liberté de conscience et à son expression. J’ai commencé par elle comme socle de la laïcité repérable, dans l’art. 1 de la loi de 1905. Je tente d’emblée de montrer que cette liberté a besoin d’institutions et du droit pour exister. Et surtout, j’essaie de montrer qu’elle a besoin de l’universalité de la rationalité sous toutes ses formes : non seulement juridico-politiques, mais scientifique et morale au sens d’autonomie intellectuelle et personnelle. L’universalité laïque s’accomplit concrètement dans l’école aussi. Je tente enfin de montrer que l’universalité laïque est socialement présente partout où on se rassemble librement pour un projet de liberté,d’égalité et de solidarité, sans l’appui de la religion. Je prends l’exemple du syndicalisme, mais aussi des associations, etc. Ainsi, par exemple, notre présente discussion libre et amicale concrétise à sa façon l’universalité laïque. Cela n’atténue en rien l’exigence pour l’universalité laïque d’un socle juridico-politique, de protections sociales et de services publics forts.
À propos de l’identité et de « l’identitaire », nous sommes d’accord sur l’idée. Les individus comme les groupes n’existent pas sans s’identifier et de se reconnaître. Par là, nous existons comme sujets. Je trouve éclairante la distinction entre affiliation et assignation que vous proposez. Celui qui est affilié librement s’identifie mais sans que l’identification agisse comme un destin. (Toutefois, on pourrait peut-être tenter le paradoxe d’une assignation libre, dans le sentiment d’une vocation, par exemple, mais ce serait une autre question, qui complexifierait sans démentir l’idée de base.)
J’use du terme « identitaire » aujourd’hui en usage, comme celui de « communautarisme », en un sens proche de ce que vous nommez assignation : comme identification close et définitive, qui exclut la capacité du sujet à se construire et se reconstruire sans cesse en s’identifiant lui-même, dans son rapport à soi et aux autres. Il y aurait ainsi deux formes d’identification : l’identitaire, fermée et liberticide et l’identité que chacun se construit par ses interactions et un travail sur soi. Elle inclut en effet des séparations et des ruptures, mais peut-être aussi des reprises et des retrouvailles.
Bien cordialement,
Pierre Hayat