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Abaya : le choix de la raison

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La décision prise par Gabriel Attal, ministre de l’Éducation nationale, d’interdire l’abaya dans les écoles a suscité des réactions diverses à gauche, de l’approbation à l’opposition avec des arguments plus souvent hypocrites de la part des opposants. ReSPUBLICA a reçu de deux de ses lecteurs un texte à ce sujet faisant appel à la raison. Nous publions ce texte dans ce numéro de reprise. ReSPUBLICA reprend à partir du 4 septembre son rythme de publication habituel qui est celui d’un numéro hebdomadaire mis en ligne le lundi. Nous donnerons un point de vue politique sur ce sujet dans notre prochain numéro.

S’agissant d’une offensive politique pour imposer une théocratie islamiste. Par « petits coups de coude » successifs destinés à contraindre les jeunes filles entre autres, avec le temps, l’offensive de l’islam politique et intégriste va se poursuivre sous d’autres formes. C’est la tactique employée pour tester la fermeté sur les principes républicains et universels et les remettre en cause. C’est par la politique qu’il faut y répondre. La loi et la règlementation, bien évidemment, font partie de la bataille politique. C’est, comme le mythe de Sisyphe l’illustre, une lutte permanente et sans fin qu’il faut avoir la lucidité et le courage de mener. Le principe selon lequel à l’école, au collège et au lycée, la mission première est de sortir tous les jeunes gens de l’état de dépendance que pourraient constituer le conditionnement familial dans certaines familles quelles que soient leurs options spirituelles ou dans certains quartiers sous influence intégristes doit être défendu. Cela suppose de régler le manque de moyens chroniques accordés à l’école publique.

Le comité de rédaction de ReSPUBLICA

Molière déjà il y a plus de 350 ans nous invitait à nous méfier des tartuffes, des dévots qui veulent montrer au monde par leurs dévotions qu’eux sont de bons croyants, mais pas les autres. Depuis les premiers voiles apparus dans les classes à Creil en septembre 1989, les manifestations vestimentaires d’une foi qui se veut conquérante se sont répandues partout en France. On peut donc dater précisément le début de l’offensive religieuse en cours et du regain d’une foi qui prend dans les écoles une forme visible par le biais d’un vêtement, comme le voile, le turban, le kami ou l’abaya, ou par celui d’un objet, comme une croix. Et ce, au nom d’une tradition. Or avant 1989, dans les classes de l’enseignement public, on n’en voyait pas. L’islam existe pourtant depuis près de quatorze siècles, le christianisme depuis deux mille ans. Il s’agit donc d’une mode, identitaire, justifiée par des impératifs d’ordre religieux, dont la solidité doctrinale est pourtant remise en cause par les plus hautes autorités de l’islam elles-mêmes ou par des communiqués du Vatican dénonçant les bigoteries qui fausseraient le rapport à Dieu en rabaissant la divinité au rôle de gri-gri. Le bon sens rappelle également que l’habit ne fait pas le moine et que sous la soutane peuvent se cacher bien des vices.

Non, il n’en a pas toujours été ainsi. Les manifestations récentes de foi dans les établissements scolaires reflètent un pervertissement des principes religieux et surtout l’idée que c’est ce qu’il faut faire pour être un bon croyant ; ou pour passer pour quelqu’un de bien. Que l’on se souvienne de la dictature de Franco en Espagne où le fait de ne pas aller à la messe vous catégorisait comme un opposant. Le pire, c’est que beaucoup des jeunes qui veulent s’adonner à cette mode vestimentaire sont convaincus d’être subversifs. Au-delà de la volonté manifeste de provoquer l’autorité de l’État, des adolescents s’imaginent qu’ils manifestent par là leur qualité d’opposants au régime. Lequel ? À celui de Macron et au libéralisme ? Non, c’est à la République qu’on s’attaque. Le président Erdogan dès 2008 appelait clairement à s’intégrer, mais à ne pas s’assimiler, dénonçant l’assimilation des migrants comme un « crime contre l’humanité »(1)https://www.lefigaro.fr/international/2008/02/13/01003-20080213ARTFIG00395-l-integration-des-turcs-oppose-berlin-a-ankara-.php. Son message a été parfaitement reçu et mis en œuvre. D’autres dirigeants lui ont emboîté le pas, utilisant la religion comme un outil de propagande. Derrière la bigoterie et ses parts de marché, il existe donc une volonté impérialiste : influencer durablement les modes de vie dès le plus jeune âge et faire preuve d’entrisme dans les lieux d’enseignement. Les pétro-monarchies, qui sont des havres de paix démocratiques pour les défenseurs des droits de l’homme, financent influenceurs et centres « culturels » en tout genre à travers tous les continents. À l’instar des ultra-montains financés par le Vatican, ces États philanthropes bombardent notre jeunesse d’un marketing favorable à leur idéologie intégriste et réactionnaire.

Pourtant vivre sa foi pour un croyant ne nécessite nullement un régime alimentaire ou un morceau de tissu, à moins de réduire le créateur de l’univers à un vieil homme qui s’intéresse au contenu de nos assiettes ou à un grand couturier. C’est une bien piètre conception de Dieu que de le réduire à cela. Le poète Lucrèce(2)https://pedagogie.ac-strasbourg.fr/fileadmin/pedagogie/lettres/Examens/fiche_Iphigenie.pdf, qui écrivit avant la naissance du Christianisme, nous interpelle sur le fait que la religion est une création des hommes et que ceux qui parlent au nom des dieux sont des imposteurs : le sacrifice d’Iphigénie démontre l’absurdité de ce qu’on peut faire dire à une divinité, et ses conséquences funestes. Pourtant Lucrèce n’était ni athée ni laïcard. Il pensait simplement que les hommes utilisent le phénomène religieux pour créer une relation d’emprise sur les autres, souvent d’ailleurs au profit du sexe masculin sur le féminin, et que des croyances peuvent conduire au crime. Samuel Paty l’a payé de sa vie.

Toute discrimination fondée sur le caractère sexué d’une personne est inacceptable et irrecevable dans notre république laïque. Or curieusement on n’a jamais vu d’homme se voiler. De même, on n’a jamais vu de femmes prêtres, et ce, au nom de la tradition. On attend d’ailleurs avec impatience un jugement de l’autorité judiciaire qui force l’Église de France à ordonner des femmes, conformément à l’égalité des êtres humains et des sexes, affirmée par la loi en France. Mais en attendant, il faut donc avec force dénoncer et combattre l’emprise que des religieux ont sur le corps des femmes et des hommes. Pour nous, les intégristes de tout bord sont les mêmes, et politiquement d’extrême droite. Curieusement, on les retrouve d’accord, barbus comme orthodoxes, grenouilles de bénitiers comme lamas, pour nier des droits aux femmes, notamment l’IVG, bousiller la vie des personnes homosexuelles, et se faire passer pour des victimes de la vie moderne.

La loi de 1905 mise en place en envoyant la troupe dans les congrégations qui refusaient de renoncer à leurs privilèges d’enseignement et à un logement gratuit, devenu alors propriété de la Nation, montre 120 ans après sa promulgation toute l’étendue de sa force et de son importance encore aujourd’hui. Les rappeurs non laïques peuvent éructer et se raser avec art, il n’empêche que la loi est la loi et que jusqu’à preuve du contraire, elle doit s’appliquer. D’autant plus quand elle est fondée. C’est bien pour préserver les populations les plus précaires et les moins instruites de l’influence jugée néfaste des religions sur leurs esprits que les pères de la IIIème République ont eu l’intelligence de forger le concept de laïcité. Ce n’est donc pas un hasard si les jeunes sont la cible privilégiée et les vecteurs les plus malléables de cet entrisme politico-religieux.

Dans les lieux d’enseignements publics en France du primaire et du secondaire (écoles, collèges et lycées), la loi depuis 2004 est claire, et pourtant elle n’est pas toujours appliquée. Aucun signe distinctif permettant de connaître les croyances ou opinions religieuses, politiques ou même philosophiques d’un élève n’a sa place dans une salle de classe s’il est ostensible. Il en est de même pour tout adulte y travaillant, pour les professeurs, et pour l’ensemble de la communauté éducative, puisque le devoir de réserve oblige l’agent public à une stricte neutralité dans l’exercice de ses fonctions.

On peut dans nos classes, comme certains collègues professeurs le font, laisser faire car au fond, on est d’accord. On peut aussi être simplement complaisant. On peut faire semblant de ne pas voir.

Mais pour un professeur qui ne veut pas laisser faire, pour qui ne veut aucune complaisance à l’égard des croyances ou bien pour qui refuse de faire semblant de ne pas voir, quel choix reste-t-il ? Faire appliquer la loi.


Arnaud Fabre et Nicolas Gliere sont professeurs de lettres et auteurs de École. Le crépuscule du savoir (Michalon, 2023).

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