Opportunités régionales
Les conflits armés à Gaza, au sud du Liban et en Ukraine ont conduit le Hezbollah à se retirer en partie de Syrie et la Russie à réduire ses capacités de soutien au régime d’Assad. Cela a été l’occasion qui a permis aux forces rebelles de provoquer la chute du clan au pouvoir.
Ambiguïtés au sein du mouvement de résistance
Force est de constater que ce mouvement est composé de groupes aux valeurs diverses. Parmi ces groupes, il apparaît que le dominant est le courant religieux aux liens avérés avec l’intégrisme islamique. Cela ne préfigure rien de bon pour la suite. Il n’y a qu’à entendre la répétition des « Grâce à Dieu » ou « si Dieu le veut ». Ce serait plutôt au peuple de vouloir.
La coalition qui a fait tomber le régime de Bachar al-Assad est dirigée par les islamistes de Hayat al-Cham (HTC), un groupe de milices syriennes soutenues par la Turquie ou l’Armée nationale syrienne, ainsi que des rebelles issus de l’Armée syrienne libre(1)Armée syrienne libre formée en 2011 pour unir tous les groupes armés opposés à Bachar al-Assad.. Les liens d’origine du HTC avec al-Qaïda et les liens avec la Turquie d’Erdogan ne peuvent qu’inquiéter quant à la possibilité d’instaurer un régime laïque respectueux de la liberté de conscience. Le lissage de son image par Abou Mohamed al-Joulani, qui affirme avoir rompu avec la logique du djihad international au profit d’une volonté nationale, suffit-il à rassurer ?
Dans les régions méridionales, cœur de la minorité druze de Syrie, des mouvements locaux ont permis de chasser les forces gouvernementales.
Une mosaïque d’options spirituelles
Deux tiers de la population sont musulmans d’obédience sunnite. Ce sunnisme relève d’un Islam très conservateur. N’oublions pas qu’Alep est la ville d’Ibn Taymiyya (14e siècle) qui est la source de l’islam intégriste wahhabite et salafiste. HTC appartient à cette branche de l’Islam rigoriste. 7 à 10 % de Syriens sont de confession alaouite (Partisans d’Ali) à laquelle appartient le clan Assad.
Les alaouites se caractérisent par des pratiques diverses : une part importante se considère comme proche du chiisme iranien alors que d’autres ne pratiquent aucun rite musulman et ont des croyances considérées comme hérétiques. Précisons que c’est une religion créée par l’autorité française représentée par le gouverneur français de Damas au début des années 1920. Ce dernier a exigé que les diverses sectes se réunissent en un conclave (payé par la France) pour n’avoir qu’un seul interlocuteur. Parmi ces sectes, il y avait les « adorateurs des chiens » (ce n’est pas une plaisanterie), les « adorateurs de la Lune », une secte plus classique adoratrice de Zarathoustra et d’autres… bref, c’est effectivement le syncrétisme le plus total.
Les Druzes sont considérés par les courants majoritaires de l’Islam comme appartenant à une secte non reconnue par les autorités musulmanes. C’est une religion ésotérique qui reconnaît l’Islam, mais qui n’en fait pas réellement partie. La substance du druzisme est secrète, l’initiation est progressive en cercles concentriques, tel un oignon, et seul le premier cercle « connaît la substance ». Les autres cercles sont réputés ne pas connaître le fondement de la religion. Elle est possiblement polythéiste, ce qui pourrait ranger ses adeptes parmi les « non-humains » pour les intégristes de l’Islam.
Ainsi, Druzes et alaouites sont soupçonnés de polythéisme invisibilisé, caché ou clandestin. Rappelons que dans le monde musulman, il est impossible ou extrêmement dangereux de se proclamer polythéiste, d’où la propension de présenter, à tort, les alaouites et les Druzes comme des adeptes d’une religion issue du chiisme islamique. C’est ce soupçon de « polythéisme caché » qui a permis de brûler la tombe du père du dictateur déchu : en effet, la profanation d’une tombe est considérée, pour l’Islam, comme un crime religieux, sauf quand il s’agit d’adeptes d’une religion non monothéiste. C’est ce qui explique la férocité des terroristes de Hamas, le 7 octobre 2023, à l’égard des Thaïlandais présents en tant qu’ouvriers agricoles dans les kibboutz autour de Gaza.
La communauté chrétienne, enfin, représente moins de 10 % de la population et est en voie d’extinction, car fuyant la guerre civile et une situation économique désastreuse. De plus, elle est divisée entre plusieurs Eglises.
A cela s’ajoute la question des régions kurdes de Syrie qui se désignent comme la Fédération démocratique du nord du pays. Cette fédération proclame sa volonté d’autonomie.
N’oublions pas qu’il existe une proportion non négligeable au sein du peuple syrien de personnes athées ou indifférentes aux religions.
Il est certain que les alaouites, cible principale des communautés sunnites et des djihadistes, vont perdre le pouvoir ou les privilèges que le régime sanguinaire et totalitaire d’Assad leur accordait.
Quel avenir ?
En France, nous avons, certes, un tropisme républicain nourri par des siècles de conflits, depuis les guerres de religion au 16e siècle en passant par les dragonnades ou persécutions des protestants sous Louis XIV. L’histoire nous a conduits à mettre en place le principe émancipateur de laïcité. L’Etat connaît les religions, mais ne les reconnaît pas afin de garantir la liberté de conscience en premier et la liberté de culte en second, soit la liberté de pratiquer un culte ou de n’en pratiquer aucun. La mosaïque d’options spirituelles de la Syrie devrait conduire à instaurer une République laïque qui considère chaque citoyen avant tout comme un individu, indépendamment de sa conviction ou conception métaphysique. Soit dit en passant, ce serait également la solution pour les Palestiniens.
L’Iran chiite, les Émirats, l’Arabie saoudite permettront-ils une telle perspective ? Les puissances occidentales agiront-elles en ce sens, elles qui, trop souvent, ont une conception binaire des choses : d’un côté le bien judéo-chrétien occidental, farouchement marchand, férocement capitaliste, et de l’autre le mal musulman conquérant et obscurantiste ? Les deux options sont des impasses. Il s’agit de dépasser ces deux camps pour fonder des sociétés plus justes, plus égalitaires, plus démocratiques, qui mettent en avant la préservation du bien commun.
Ce n’est pas aux puissances occidentales d’intervenir directement. Nous avons les résultats délétères pour les peuples en Afghanistan, en Libye, en Irak… Nous devons soutenir les tendances les plus laïques, mais notre intervention en direct serait contre-productive. Soutenir oui, agir à la place des Syriens, non.
Notes de bas de page
↑1 | Armée syrienne libre formée en 2011 pour unir tous les groupes armés opposés à Bachar al-Assad. |
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