Il y a deux jours, je me réveille comme d’habitude. Il est 6 heure du matin, je suis insomniaque. Je prépare mon café enfin, si on peut appeler ça un café, deux gouttes de nescafé avec beaucoup d’eau chaude. J’allume la télé pour voir mon amie William sur la 2. J’allume une cigarette et mon ordinateur, pour regarder la presse arabe. Voir ce qui se passe dans ma région. C’est toujours un moment de grande surprise, je trouve une information plus scandaleuse que l’autre.
Donc, ce matin-là, j’ouvre le journal libanais Al-Akhbar, et qu’elle n’est pas ma surprise de voir en première page, la photo de Taha Hussein?! Le doyen de la littérature arabe. Et en légende, cette phrase « Al Azhar a enfin triomphé sur Taha Hussein ».
J’ai eu mal au cœur. Je ne sais pas comment je suis arrivée à ouvrir la page et commencé à lire. Je voyais à peine les mots. J’avais les larmes aux yeux. Ils ont enfin gagné ! Ça fait longtemps que Al-Azhar a déclaré la guerre à ce grand monsieur. Et pas uniquement Al-Azhar, Taha Hussein a été attaqué par les islamistes de toutes sortes. Ils lui reprochent d’être l’élève du célèbre Imam Mohamad Abdou, et de prêcher ses idées. Ils lui reprochent ses études en France. Ils l’appellent le mécréant vendu à l’Occident !!!!
Mais surtout ils lui reprochent ses œuvres, qui ont enrichi la littérature arabe. Et plus que tout, ils lui ont toujours reproché d’avoir écrit son célèbre roman Al Ayyam (1929). Ce livre figurait dans le programme des écoles secondaires et, ça, ils ne l’ont jamais accepté; ils n’ont jamais arrêté d’essayer de l’interdire.
Il y a quatre ans, les censeurs ont réussi à charcuter le livre, et ont retiré quatre gros paragraphes.
Le responsable du ministère de l’éducation M. Hussein Bakht a dit : « le livre Al-Ayyam contient des phrases et des propos qui nuisent à Al Azhar et ses dignitaires. ». La raison de la censure avait le mérite d’être claire. Mais ça ne leur a pas suffit. Il y a quelques jours ils ont enfin gagné et ils ont réussi à interdire le livre Al-Ayyam de Taha Husein des programmes des écoles secondaires !
Depuis 1929, ils ont tout essayé pour parvenir à leurs fins. Sans succès. Mais, au début de cette nouvelle année 2010 au XXIe siècle, ils ont gagné. Quelle tristesse, pour tous ses élèves qui ne vont pas pouvoir découvrir ce roman. Dans l’article libanais, on pouvait lire le témoignage d’une mère triste de ne plus pouvoir partager son livre d’école préféré avec sa fille qui n’aura plus la chance de sa mère.
Quel dégat ! Quel gâchis!
En plus, l’information est passée inaperçue. J’ai cherché partout. Rien. Aucun journal, aucune télé, aucun site. Personne n’en parle. Pourquoi ! Pourquoi ce qui était possible dans les années 30 est interdit de nos jours ?
Pourquoi tant de censure ! En littérature mais aussi dans toutes formes d’expression !
Les films qui étaient tolérés dans les années 20 et 30 ne le sont plus aujourd’hui. On voit des réalisateurs qui se font traîner devant la justice par les islamistes, à la sortie de leurs films.
Pourquoi les petites filles d’Houda Chaarawi (qui au début de XXe siècle est descendue dans la rue manifester contre le port de la burqua et l’a même arraché avec plein d’autres femmes manifestant avec elle) descendent dans la rue manifester pour le remettre, contre Al-Azhar qui vient d’interdire la Burqua dans ses universités? Al Azhar, la même institution qui vient de réussir à interdire le livre Al-Ayyam de Taha Hussein !!!!
»Pour ceux qui ne le connaissent pas voilà quelques informations utiles pour connaître ce grand homme »
Taha Hussein est un romancier, essayiste et critique littéraire égyptien né le 14 novembre 1889 et mort le 28 octobre 1973. Surnommé le doyen de la littérature arabe, c’est un des plus importants penseurs arabes du XXe siècle.
Hussein est né au sein d’une famille pauvre dans un village de la Moyenne Égypte en 1889. Septième d’une fratrie de treize enfants, il perd la vue à l’âge de six ans, des suites d’une conjonctivite mal soignée. Il apprend le Coran par cœur avant de quitter son village.
Au Caire, il fait ses études à la célèbre université religieuse dAl-Azhar, élève du célèbre Imam Mohamad Abdou, qui lui vaut d’être expulsé d’Al-Azhar puis suit les cours à l’université Égyptienne en 1908 où il va étudier l’histoire, la géographie, la philosophie, la civilisation de l’Égypte Ancienne, et islamique ; le 15 mai 1914 il reçoit le doctorat en littérature arabe sur l’un de ses auteurs préférés « ABOU AL ALAA » aussi aveugle ; il bénéficie ensuite d’une bourse d’État pour poursuivre ses études en France, il arrive à l’université de Montpellier puis il part pour Paris où il soutient sa thèse de doctorat sur Ibn Khaldoun à la Sorbonne en 1919. Il y rencontre sa future épouse Suzanne, qui l’aida à apprendre le français, et joua un rôle important dans sa carrière comme dans sa vie.
Quand il revient de France en 1919, il travaille comme professeur d’histoire de l’Antiquité jusqu’en 1925, mais dès son retour en Égypte, il s’est appliqué à moderniser l’enseignement supérieur et à dynamiser la vie culturelle du pays. Il a également été professeur de littérature arabe à la faculté des lettres du Caire, doyen de cette faculté 1930, premier recteur de l’université d’Alexandrie, créée par lui en 1942, contrôleur général de la culture, conseiller technique, sous-secrétaire d’État au ministère de l’Instruction Publique, puis finalement ministre de l’Éducation Nationale. On lui doit l’éduction gratuite pour tous, et d’ouvrir des écoles partout en Égypte.
Sur le plan littéraire, il commencera comme de nombreux écrivains de la Nahda, par des travaux de traduction (dont les tragédies de Sophocle). Ses problèmes commencent dès la parution de l’une de ses premières œuvres la Littérature préislamique ; son œuvre principale, Al-ayyâm, (littéralement « Les Jours », traduite en français sous les titres « Le Livre des jours » pour les deux premiers tomes, puis « La traversée intérieure » pour le dernier) est une autobiographie à la troisième personne. Le premier tome décrit la vie dans le village de son enfance, au bord du Nil. Il y décrit l’apprentissage précoce de la solitude dont a souffert ce jeune aveugle. Le deuxième tome s’attache à la narration de ses années d’étudiant au Caire, notamment à l’université Al-Azhar. Là encore, la critique lucide et acérée de Taha Hussein n’épargnera pas même Al-Azhar, qui faisait pourtant figure de vénérable institution. Le dernier tome se déroule entre Le Caire, Paris et Montpellier, et décrit ses années d’études en France sur fond de Première Guerre mondiale, la vie parisienne, la découverte de l’amour, la guerre, ses difficultés… Dans ce livre, simplicité, lyrisme, et même humour, tissent le style de Taha Hussein.
Il a marqué plusieurs générations d’intellectuels du monde arabe en poussant la modernisation de la littérature arabe, notamment à travers celle de la langue arabe : avec lui, les phrases (peut-être du fait qu’il n’écrit pas ses livres mais les dicte à sa fille, à qui il dédie d’ailleurs Al-ayyâm) acquièrent une plus grande souplesse, le vocabulaire est simple et abordable. André Gide, dira dans sa préface à la version française des deux premiers tomes : » C’est là ce qui rend ce récit si attachant, en dépit de ces lassantes lenteurs; une âme qui souffre, qui veut vivre et se débat. Et l’on doute si, des ténèbres qui l’oppressent, celles de l’ignorance et de la sottise ne sont pas plus épaisses encore et redoutables et mortelles que celles de la cécité. » Ses écrits sont traduits en plusieurs langues.
Je n’ai plus que des questions, je croyais à un moment avoir les réponses, et même parfois je croyais avoir les solutions.
J’ai lu des études, des livres, des analyses, je connais très bien ma région, et au final je n’ai que des questions auxquelles je ne trouve plus de réponses.
Je croyais que si on donnait les outils, l’éducation pour tous, les armes nécessaires pour faire face à la vie, (comme a fait Taha Hussein qui a transformé beaucoup d’écoles coraniques en écoles publiques) qu’on finit par choisir la tolérance, la liberté, et surtout la laïcité.
Eh bien non, depuis que je suis en France, je découvre que non, ce n’est pas le cas, l’obscurantisme fini par gagner.
Il ne me reste que ce mot : POURQUOI ?
Darina Al Joundi