Article paru dans L’Humanité le 15 mai 2009
L’article 89 de la loi relative aux libertés et responsabilités locales, votée le 13 août 2004, obligeait les communes à financer les frais de fonctionnement des élèves inscrits dans une école primaire privée sous contrat d’association, même si celle-ci était située hors du territoire de la commune de résidence. Précisons que le financement hors commune d’un élève fréquentant une école primaire publique ne s’applique pas automatiquement : il est facultatif et conditionné à l’accord préalable du maire ! Face à l’émoi suscité par une telle mesure, tant chez les partisans de la laïcité que dans les rangs d’élus locaux attachés à leur école de proximité, le Sénat lui a substitué, le 10 décembre 2008, une nouvelle disposition. La proposition de loi du sénateur Jean-Claude Carle pose, certes, des conditions aux avantages concédés à l’enseignement privé, mais celles-ci sont tellement vagues qu’au final, l’article 89 continuera à produire ses effets.
Actuellement étudiée par l’Assemblée nationale, l’adoption de cette proposition de loi aurait des conséquences désastreuses. Ce serait ainsi ouvrir la porte à l’instauration d’un « lien de guichet » fondé sur un financement individuel de nature consumériste entre les communes et les familles, dans la logique du « chèque éducation » préconisé par les libéraux. Les menaces sur le maintien de nombreuses écoles publiques de proximité, notamment pour les classes uniques des zones rurales, seraient puissamment aggravées par les effets de la politique gouvernementale s’ingéniant à mettre en concurrence les établissements en généralisant les principes conduisant à leur autonomie (ÉPEP) ou en contournant, avant de la supprimer, la carte scolaire. Il est également à prévoir un accroissement significatif des inégalités sociales et territoriales : d’une part, un alourdissement des dépenses pour les communes qui ne pourront y pourvoir qu’en augmentant les impôts locaux – les plus injustes, vu qu’ils ne prennent pas en compte les revenus -, d’autre part, l’obligation de fait, pour les communes les moins fortunées (c’est-à-dire les communes rurales isolées ou celles de banlieues défavorisées), de financer une partie des frais de fonctionnement des communes les plus nanties, qui accueilleront ces élèves au motif d’une image de marque meilleure. Autrement dit, pour reprendre la formule pertinente heureusement popularisée par les opposants, dont le collectif pour la promotion et la défense de l’école publique de proximité : « Nanterre paiera pour Neuilly ! »
Le débat ne se résume pas à une simple question technique de financement. L’angle d’attaque retenu est en réalité double.
À la reconfessionnalisation de la société, annoncée par Sarkozy dans son discours de Latran théorisant la prétendue « supériorité du prêtre sur l’instituteur dans la transmission des valeurs » et l’affirmation de son concept de « laïcité positive », s’ajoute l’aspiration des libéraux à ouvrir les portes du vaste marché de l’éducation, estimé à 1 400 milliards d’euros annuels. Ainsi, si 95 % de l’enseignement privé est à caractère confessionnel, les marchands visent eux aussi à ouvrir de nouvelles écoles en bénéficiant d’un double financement, public et privé. La même alliance du marché et du goupillon s’est traduite, dans l’enseignement supérieur, par la reconnaissance des diplômes de l’enseignement supérieur catholique, à égalité avec ceux décernés par l’enseignement supérieur public. Par transitivité, et conformément aux recommandations contenues dans le processus de Bologne ou la stratégie de Lisbonne, c’est permettre demain la reconnaissance de l’ensemble des diplômes du privé au nom de « la concurrence libre et non faussée », ce qui entraînera la mise en concurrence des universités entre elles. Le traité de Lisbonne est aussi un tableau à double entrée, lui qui refuse toute harmonisation en matière d’éducation (article 176 B du TFUE) mais ouvre en même temps l’espace public aux Églises (article 10 de la charte des droits fondamentaux).
Il est donc nécessaire d’inverser les données du débat relatif aux relations du public et du privé dans le domaine de l’école. Les « contraintes » imposées à l’école publique sont son honneur et font de ses missions une spécificité, dont le privé ne pourra jamais se réclamer. Parce que l’école publique est elle seule porteuse de l’intérêt général, il est malhonnête de parler d’une parité entre public et privé. La seule réponse adaptée serait la mise en place d’un grand service public laïque et unifié de l’éducation nationale, seul à même de garantir justice sociale et cohésion territoriale au sein de notre République. L’abrogation pure et simple de l’article 89 serait déjà un premier pas de rééquilibrage républicain.
François COCQ, secrétaire national du PG (Parti de gauche) à l’éducation,
Francis DASPE, président de la commission enseignement primaire et secondaire du PG