Femme de pouvoir dans la société civile, haute technocrate issue de la même promotion de l’ENA que Macron, passée par Axa et Carrefour, ancienne directrice générale de la Fédération Française de Tennis, la nouvelle ministre de l’Éducation nationale n’est pas une femme inexpérimentée. Nommée le 11 janvier au gigantesque ministère de l’Éducation nationale, de la Jeunesse, des Sports et des Jeux Olympiques et Paralympiques, Amélie Oudéa-Castéra a effectué le lendemain de sa nomination son premier déplacement sur le thème du « choc des savoirs » au collège Saint-Exupéry d’Andrésy (Yvelines). Elle était accompagnée du Premier ministre.
À cette occasion, un journaliste l’a interrogée sur la scolarisation de ses enfants au collège Stanislas, en évoquant des « dérives homophobes et sexistes » dans cet établissement. Le fait d’interroger un ministre de l’Éducation nationale sur la scolarisation de ses enfants est une constante en France, que la question soit ou non posée dans un contexte polémique. Sur cette question, la société veut être informée avec exactitude et précision de la bouche du ministre lui-même. Libre ensuite à chacun d’en penser ce qu’il veut et de le faire savoir publiquement. Par exemple, un journaliste a récemment demandé au ministre wokiste Pap Ndiaye pour quelle raison ses enfants étaient scolarisés à la prestigieuse École alsacienne, école privée protestante du VIe arrondissement de Paris. Celui-ci avait répondu que ce choix familial à caractère privé relevait de l’histoire de ses enfants et qu’il demandait à être jugé sur ce qu’il fera comme ministre de l’Éducation nationale, non comme parent d’élève(1)ReSPUBLICA a exposé à maintes reprises son opposition complète à la politique de Pap Ndiaye à la tête du ministère de l’Éducation nationale, tout en s’abstenant scrupuleusement de la moindre attaque personnelle.. La réponse fut irréprochable d’un point de vue laïque et républicain.
Il se trouve que le collège Stanislas est également une école privée d’élite du VIe arrondissement de Paris, catholique celle-là, qui rassemble près de 3 500 élèves de la maternelle aux classes préparatoires aux grandes écoles (CPGE), parmi lesquels environ 700 internes(2)Source : https://www.stanislas.fr/. La manière dont Oudéa-Castéra a répondu au journaliste qui faisait son travail, montre que l’interpellation ne l’avait pas prise au dépourvu. Elle ne s’est pas laissée emporter. La battante était prête à relever le défi. Elle avait préparé sa réplique, sa riposte. Afin que chacun puisse commodément juger par lui-même de son contenu et de sa forme, il nous paraît utile de partager en note la vidéo complète de cette effarante prestation et d’en livrer d’abord le verbatim intégral :
Non, là, vous êtes totalement dans le procès d’intention. Alors, moi je vais vous dire… Je ne vais pas esquiver votre question. La première chose que j’ai envie de relever c’est que d’abord on commence dès les premiers jours comme ça, sur des attaques personnelles. C’est aussi peut-être parce que ce matin(3)La ministre faisait référence à son discours de passation des pouvoirs. ce que j’ai pu exprimer était inattaquable sur le fond. Alors très bien, on va aller surle champ du personnel. Eh bien ! allons-y. Moi je vais vous dire pourquoi nous avons scolarisé nos enfants à l’école Stanislas. Je vais vous raconter brièvement cette histoire. Celle de notre aîné, Vincent, qui a commencé, comme sa maman, à l’école publique, à l’école Littré. Et puis, la frustration de ses parents, mon mari et moi, qui avons vu des paquets d’heures qui n’étaient pas sérieusement remplacées. À un moment, on en a eu marre, comme des centaines de milliers de familles. Il y a un moment, où c’est un choix d’aller chercher une solution différente. On habitait rue Stanislas. Scolariser nos enfants à Stanislas était un choix de proximité. Et depuis, de manière continue, nous nous assurons que nos enfants soient non seulement bien formés, avec de l’exigence dans la maîtrise des savoirs fondamentaux… ils sont heureux, ils sont épanouis, ils ont des amis, ils sont bien, ils se sentent en sécurité, en confiance. Et c’est le cas de mes trois petits enfants qui sont là-bas. Alors je pense qu’avant de stigmatiser les choix des parents d’élèves, il est important de rappeler que l’école est celle de la république et que la république travaille avec tout le monde dès lors qu’on est au rendez-vous. Voilà.
Source de la vidéo :https://www.francetvinfo.fr/sports/amelie-oudea-castera/video-la-nouvelle-ministre-de-l-education-justifie-d-avoir-scolarise-ses-enfants-dans-le-prive-par-des-paquets-d-heures-pas-serieusement-remplacees-dans-le-public_6299298.html
On connaît la suite. On a salué la « championne ». « Fallait le faire ! », comme cela se dit parfois dans le vocabulaire sportif. Alors que dans sa longue histoire, l’Éducation nationale en a beaucoup vu et entendu, l’événement est inédit : dans sa première intervention publique, voilà une ministre de l’Éducation nationale qui chante les louanges d’un établissement privé catholique, en même temps qu’elle déplore les manquements inacceptables de l’école publique. Alors qu’elle aurait dû s’exprimer comme ministre, elle s’est autoproclamée porte-parole de centaines de milliers de parents d’élèves qui ont choisi le privé pour fuir le public. Elle a même usé d’un style langagier supposé être celui d’une maman qui « en a marre » du « paquet d’heures » non remplacées, laissant clairement entendre que dans le public les enfants ne sont ni instruits ni « en sécurité ». Hallucinante déclaration publique ! Que penserait-on d’un nouveau ministre de l’Intérieur proclamant, dans l’exercice de ses fonctions, qu’il rémunère une entreprise de protection rapprochée pour assurer la sécurité de ses enfants parce que les agents de la police nationale se sont révélés incapables d’assurer ce qui devrait être leur mission ? Les policiers ne seraient pas seuls à s’alarmer pour la République de cet étrange animal politique.
Dans la démolition de l’école publique à laquelle s’est livrée la ministre, celle-ci n’a pas évoqué les raisons de l’état effectivement catastrophique de l’école publique, pas plus qu’elle n’a suggéré qui en serait responsable, car cela l’aurait notamment mené droit à Gabriel Attal et à Emmanuel Macron(4)La destruction de l’école publique date de plusieurs décennies de renoncements et d’abandons. Elle s’est sensiblement accélérée durant les cinq années du ministère Blanquer.. Elle est allée au plus simple, au plus brutal, au plus brut de décoffrage. Elle a désigné un bouc émissaire, l’enseignant sur lequel on peut taper sans crainte. Contrairement à ce qui a été souvent prétendu, la ministre n’a pas seulement heurté une profession. Sa saillie n’était pas anti-corporatiste, mais politique. Amélie Oudéa-Castéra a attaqué l’école publique qu’elle aurait dû défendre. En considérant les professeurs du public comme des paillassons sur lesquels on s’essuie les pieds, elle a consterné tout républicain attaché à l’école laïque, tout « ami de l’école laïque », comme disait Ferdinand Buisson.
Pire encore qu’un mépris délibérément affiché, Amélie Oudéa-Castéra a révélé son ignorance de la situation des millions de Français qui ne résident pas dans la très huppée rue Stanislas de Paris et qui ne peuvent s’offrir le luxe de délaisser sur un coup de tête un collège public favorisé pour se tourner vers un établissement confessionnel dont l’indice de position sociale (IPS) des parents est ultra-majoritairement celui des très riches. Elle n’a pas pensé à tous ceux qui souffrent d’une école publique où les élèves ne sont effectivement ni en sécurité ni en situation de bénéficier de « l’exigence dans la maîtrise des savoirs fondamentaux ». Elle n’a pas « pensé à penser », comme disent parfois des philosophes. Il y a même lieu de supposer que son champ de connaissance en matière scolaire se limite au collège Stanislas(5)La ministre ignore qu’à l’école publique les élèves portent très généralement des « baskets » à toute heure de leur présence à l’école, alors qu’à Stanislas, les chaussures de cuir sont de rigueur, les baskets étant réservés au cours de sport ou aux jeux dans la cour. Voir l’article de Libération. Toujours est-il que sa première allocution publique en qualité de ministre trahit un décalage effarant avec la réalité du monde ainsi qu’une aversion politique, culturelle et sociale de l’enseignement public.
Ce n’est malheureusement pas tout. Le collège Stanislas a fait l’objet d’un rapport du l’Inspection générale de l’Éducation nationale remis à son prédécesseur en août 2023 (Gabriel Attal, en l’occurrence) pointant des dérives sexistes et de consternantes préconisations sur la manière d’éviter d’avoir un enfant en cas de relation sexuelle. Le rapport mentionne également des manquements sérieux à la loi, comme le catéchisme obligatoire(6)Ce rapport est resté en sommeil sur le bureau de son prédécesseur.. Comme mère d’élève de trois enfants scolarisés à Stanislas, la ministre ne pouvait ignorer ce dossier épineux qui avait sommeillé dans le bureau de son prédécesseur. En louant sans modération cet établissement dans lequel elle est impliquée, ne s’est-elle pas placée dans une forme de conflit d’intérêts ? Il semble que oui, car la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique (HATVP), qui porte une attention particulière aux risques de conflits d’intérêts, a demandé le 18 janvier à la ministre de « se déporter » des actes relatifs au collège Stanislas. La voilà ainsi dessaisie des suites que le ministère de l’Éducation nationale doit apporter au rapport de l’Inspection générale.
Mais, comme chacun sait, la première prestation publique ci-dessus reproduite d’Amélie Oudéa-Castéra en qualité de ministre de l’Éducation nationale recelait d’autres médailles d’or, telles des pépites enfouies dans un sol sableux. Il s’est avéré que la ministre avait menti sur le « paquet des heures » non remplacées. La professeure de petite maternelle de son enfant n’avait pas été absente ! En outre, à ce moment-là, la politique de Macron de suppression massive de postes dans le public n’avait pas encore fait les ravages que nous lui connaissons aujourd’hui. Il existait encore un vivier de professeurs remplaçants. Désormais, chacun sait qu’Amélie Oudéa-Castéra a opté pour l’établissement privé Stanislas parce que l’école publique Littré n’avait pas autorisé le passage de son aîné en moyenne maternelle au double motif qu’il n’avait pas l’âge et que les six mois passés en petite maternelle avaient révélé une intégration difficile.
On ne s’est pas interrogé sur les raisons de ce mensonge, alors que rien ne permet de supposer qu’Amélie Oudéa-Castéra serait atteinte de mythomanie. Pourquoi cette grande technocrate méticuleuse, solidement carapacée, dotée d’une assurance de classe obvie, efficace et sûre d’elle-même, qui avait préparé une réponse qu’elle a exposée avec assurance, ne s’est-elle pas contentée d’exposer le véritable motif de sa décision : l’école publique qui scolarisait son fils avait refusé son passage en classe supérieure ?(7)Elle aurait même pu s’offrir le luxe de souligner que son fils qui a été accepté à Stanislas en classe supérieure a finalement très bien réussi de sorte que le collège public s’était trompé en prétendant qu’il était de l’intérêt de l’enfant de redoubler. C’est que le Premier ministre et le président de la République attendent de la ministre de l’Éducation nationale qu’elle fasse savoir que les professeurs seront les décisionnaires en cas de désaccord avec les familles sur une question de redoublement. Oudéa-Castéra ne pouvait donc pas à la fois défendre ce principe pédagogique et avouer l’avoir refusé lorsque, 15 ans plus tôt, elle a placé son fils dans le privé. Voilà pourquoi la ministre a menti avant de se prendre les pieds dans le tapis, une fois révélé le pot aux roses, en invoquant un ridicule trou de mémoire.
Il convient cependant de réfléchir à l’enjeu proprement politique de cette question du non-remplacement des professeurs absents. Assurément, le non-remplacement massif des professeurs absents s’explique par un assèchement complet du vivier des professeurs remplaçants du fait des suppressions de postes. Si les absences imprévisibles (professeur grippé ou épuisé, enfant malade, fuite d’eau, etc.) de courte durée causent autant de tracas à l’école publique, c’est qu’il est devenu impossible dans la plupart des collèges et lycées publics de maintenir dans le calme et dans le respect mutuel des élèves dans une salle d’étude, sous la surveillance d’un assistant d’éducation. Le bruit, l’agitation et parfois la violence dans une « permanence » surveillée par un assistant d’éducation, rend impossibles pour les élèves qui le voudraient, le travail, la rêverie silencieuse ou des communications amicales silencieuses. C’est pourquoi il faut un adulte en intense activité verbale et gestuelle pour occuper et « tenir » tant bien que mal une classe privée de son professeur pour une heure ou quelques heures.
Ainsi, pour masquer l’impossibilité d’imposer un climat scolaire paisible lorsqu’un professeur est absent, le ministère de l’Éducation nationale prétend imposer « un prof devant chaque élève » à chacune des heures figurant dans l’emploi du temps des élèves. Non seulement il ne parvient pas à ce résultat, mais il cache au pays qu’il existe une solution moins onéreuse qu’un cours assuré par un professeur : la surveillance des élèves par un assistant d’éducation. Mais il aurait fallu pour cela que dans leur organisation, leur langage, leurs habitudes et leurs pratiques, les collèges et lycées publics ressemblent à un lieu d’étude paisible ordonné autour de la finalité de la transmission des connaissances. Ce qui n’est pas du tout le cas aujourd’hui.
Peut-être faut-il aller encore plus loin dans la compréhension de la manière dont le ministère de l’Éducation nationale, mais également des partis politiques et même des syndicats conçoivent le remplacement d’un professeur absent. Le ministère le conçoit dans une optique technocratique plutôt que scolaire : il veut seulement qu’on puisse dire qu’un cours est remplacé par un autre cours, qu’un prof a remplacé un autre prof. Le reste l’indiffère. Ainsi, un professeur d’anglais qui ne connaît pas les élèves remplacera « au pied levé » un professeur de mathématiques. Les élèves seront ainsi occupés et nul ne pourra prétendre que les heures figurant à l’emploi du temps des élèves n’auront pas été elles aussi occupées. On touche à l’enjeu politique de ce qu’on attend de l’école publique. Un professeur a-t-il pour mission d’occuper les élèves ou de les instruire ?
On est en présence d’un ministère qui se moque du monde, car il veut faire croire au peuple en attente d’une véritable école, que ce gardiennage relève de l’instruction. Est-ce ainsi que la grave crise démocratique que traverse le pays a quelque chance d’être endiguée et que l’on évitera l’élection à la tête de l’État du « ticket Lepen – Bardella » ?(8)Il ne faut pas s’étonner des ratés d’Amélie Oudéa-Castéra dans ses efforts désespérés pour rattraper sa première déclaration publique. Ni ses regrets ni même les excuses qu’elle a limitées aux seuls enseignants de l’école Littré ne sont crédibles. À notre connaissance, on n’a pas remarqué sa profession de foi de non-catholicisme exposée dans l’exercice de ses fonctions. « Je ne suis pas catholique », a-t-elle déclaré, pour faire savoir que la scolarisation de ses enfants dans une école catholique ultraconservatrice n’implique pas de sa part l’approbation des « valeurs » de cette école.
Mais le « Je » d’une ministre dans l’exercice de ses fonctions ne saurait énoncer ses convictions personnelles en matière religieuse. Dans une République laïque comme la nôtre, le public n’a pas à savoir si la ministre de l’Éducation nationale est athée, bouddhiste ou musulmane, pas plus qu’il a à savoir si elle est ou non catholique. De telles déclarations n’augurent rien de très… laïque en matière de cours et de formations sur la laïcité prévus par le président de la République et le Premier ministre.
Il conviendra donc, bien au-delà du cas d’Amélie Oudéa-Castéra, qui n’est que la collaboratrice de Macron et d’Attal, d’examiner les propos bavards que le président de la République a tenus lors de sa conférence de presse du 16 janvier au sujet de la double crise scolaire et démocratique. Macron a, par exemple, annoncé des cérémonies de remise des diplômes. Mais un symbole sonne creux ou faux quand il ne correspond pas à la réalité empirique. En l’occurrence, les diplômes ont cessé d’être sérieux. Macron a également parlé de rendre l’enseignement du théâtre obligatoire au collège dès la rentrée 2024. Mais cela est absolument infaisable pour des raisons de locaux, de personnel compétent, d’emploi du temps des élèves, etc.
Mais ce n’est pas un problème pour le président de la République, qui a les yeux fixés sur le 9 juin, date des élections européennes. La rentrée scolaire étant prévue en septembre 2024, la personne qui sera à ce moment-là en charge du ministère de l’Éducation nationale devra « faire le job » qui consistera à faire oublier la promesse de janvier 2024. Seulement, Macron n’a pas convaincu : les Français, dans leur grande majorité, n’ont perçu dans sa conférence de presse que de la « communication », c’est-à-dire de la propagande, des mensonges, de l’enfumage… Après Oudéa-Castéra, Macron ne peut donc qu’aggraver la crise de confiance démocratique qui affecte le pays.
Pompier pyromane, Emmanuel Macron n’a d’ailleurs pas été avare en considérations sur les remèdes à apporter à la crise démocratique que traverse le pays. Il a insisté sur le fait incontestable que cette crise appelait des réponses économiques et sociales. Il a compris que le bas peuple et les « classes moyennes » attendent des résultats matériels concrets. Mais il n’a évidemment convaincu personne, chacun ayant déjà entendu les mêmes promesses, avec les résultats qu’on connaît.
Macron aurait cependant pu invoquer un autre aspect explicatif de la crise démocratique. Il aurait pu, par exemple, pontifier sur les limites d’une démocratie qui repose à l’excès sur le double principe du référendum et de l’incarnation. Notre démocratie a effectivement besoin que l’exercice du pouvoir soit exercé collectivement et démocratiquement, à tous les échelons de la société et à plus forte raison au niveau de l’État. L’extrême complexité des problèmes nationaux et internationaux d’un grand pays comme la France, le haut niveau de connaissances parmi le peuple, la grande diversité des savoir-faire et des expériences, la diffusion ultra-rapide des informations parmi lesquelles des fake news, constituent autant d’éléments qui plaident pour le développement d’une pratique pluraliste et démocratique du pouvoir. Mais, pour parler comme la ministre de l’Éducation nationale, Macron n’y a peut-être « sincèrement » pas pensé, tant la conception qu’il se fait de lui-même et du pouvoir qu’il exerce depuis près de sept ans sont étrangères à cette exigence démocratique moderne.
Ces questions de politique générale nous ramènent à quelques-unes des redoutables difficultés auxquelles sont confrontés ceux que Buisson nommait « les amis de l’école laïque ». Certes, il leur revient de montrer que l’enseignement privé bénéficie aujourd’hui de privilèges exorbitants et que le fossé se creuse entre le privé et le public en matière de mixité sociale et scolaire. La présente situation économique et sociale du pays rend proprement insupportables la poursuite de l’opacité en matière de financement de l’école privée et les discrets arrangements entre administratifs, politiques et dirigeants de l’école privée, tous barbotant peu ou prou dans le même marécage. Mais, comme me le disait récemment un ami, il n’est pas vrai que la situation désastreuse de l’instruction publique vienne de ce que nos politiques privilégient le privé.
Lorsque des laïques dénoncent avec raison le discrédit jeté sur l’école publique par les tenants de l’école privée et par la ministre de l’Éducation nationale elle-même, ils ne sont effectivement pas toujours lucides sur les causes de la destruction de l’école publique. Ils se leurrent lorsqu’ils imaginent que le seul remède à la maladie dont souffre l’école publique serait l’indispensable augmentation des moyens. Ils se rendent ainsi incapables de proposer au pays une véritable alternative susceptible d’endiguer la progression des périls totalitaires. Comme me le disait également cet ami, si les politiques s’aveuglent à ce point, c’est qu’ils ont renoncé à offrir au pays et à sa jeunesse, une école publique digne de ce nom.
Dans de telles conditions, faut-il souhaiter le départ d’Amélie Oudéa-Castéra, dans la mesure où elle se révèle incapable de rattraper son raté initial autrement que par des numéros de clowns ? Ou convient-il plutôt de considérer que cette question n’est pas l’affaire de la gauche laïque, dans la mesure où seuls les actes et les résultats politiques importent et que la qualité des personnes ne doit pas recouvrir les enjeux proprement politiques ? Cette seconde option est adoptée par certaines personnalités de gauche, qui soulignent cependant qu’« enfin les masques tombent »(9)Voir la tribune du Monde contre le séparatisme scolaire : https://www.lemonde.fr/education/article/2024/01/23/separatisme-scolaire-deux-jeunesses-vivent-dans-des-spheres-paralleles-sans-se-rencontrer_6212443_1473685.html). En revanche, un rapport de la Commission d’enquête parlementaire sur les fédérations sportives du pays épingle sérieusement Amélie Oudéa-Castéra en sa qualité d’ancienne directrice de la Fédération française de Tennis (FFT). Sont pointés notamment les conditions de son recrutement à la FFT et les émoluments abusifs qu’elle a ensuite perçus en qualité de directrice. Cette Commission est présidée par un député Horizon et a pour rapporteur une députée Europe Écologie les Verts (EELV). Amélie Oudéa-Castéra conteste ce rapport qu’elle juge « militant »(10)Sources : https://www.huffingtonpost.fr/politique/article/amelie-oudea-castera-et-son-salaire-a-la-tete-du-tennis-francais-epingles-par-un-rapport-parlementaire_228710.html
https://www.huffingtonpost.fr/politique/article/amelie-oudea-castera-fustige-un-rapport-militant-sur-le-sport-l-autrice-lui-repond-vertement_228773.html. Toujours est-il qu’il vient à point nommé pour renforcer ceux qui, à l’extrême-droite, à gauche et parmi les syndicats réclament ouvertement sa démission.
Plus significatif que ce rapport parlementaire : au sein même de la macronie, tout indique qu’on souhaite « tourner la page Amélie Oudéa-Castéra ». Certes, on présente la ministre comme victime d’une cabale orchestrée par les oppositions. On s’indigne que cette dame soit contrainte à s’excuser encore et encore…, alors que le travail l’attend. Mais on l’estime également incapable de faire face à cette cabale autrement qu’en produisant de nouvelles catastrophes. Ainsi, la ministre de l’Enseignement supérieur a accusé le collège Stanislas d’avoir contourné au printemps dernier les règles du grand robot Parcoursup, sachant forcément qu’à travers le collège Stanislas, elle fragiliserait encore davantage la ministre de l’Éducation nationale. Mauvaise copine, cette ministre court pourtant le risque pour elle-même qu’on reparle du dispositif de Parcoursup – ce qui ne peut pas l’arranger.
Cette plate-forme d’orientation des élèves vers le Supérieur est effectivement anxiogène pour les élèves et les familles, et chronophage pour les professeurs et les chefs d’établissement. Elle est également anti-scolaire, car elle contredit ce qu’on attend de l’école publique. Parcoursup, ce « grand maître anonyme » force les élèves, dès la classe de seconde, à constituer leur « dossier personnel » dans lequel ils ne se présenteront pas comme des élèves qui s’instruisent, mais comme des vendeurs de leur force de travail ou comme des auto-entrepreneurs qui candidatent pour être recrutés par telle ou telle formation supérieure. Enfin, Parcoursup est injuste, car il est couramment contourné de mille et une manières, cette pratique étant facilitée par la structure du grand robot lui-même.
Malgré l’inconvénient qu’il y a pour la ministre de l’Enseignement supérieur à trop faire apparaître les vices structurels de Parcoursup, celle-ci a attaqué publiquement le collège Stanislas sur ce terrain(11)Dans son rapport du 17 janvier, le ministère de l’Enseignement supérieur a effectivement épinglé le collège Stanislas pour avoir « contourné » les règles procédurales du grand robot Parcoursup. Ce rapport révèle que 38 excellents élèves de terminale du collège Stanislas (Stan, pour les initiés) ont été incités avec succès au printemps 2023 à inscrire dans leur dossier Parcoursup en vœu unique un vœu Stan, en échange de l’assurance d’être admis à Stan. Le fils aîné d’Amélie Oudéa-Castéra a fait partie de ces 38 élèves. Ainsi, Stan a, d’une part, contrevenu au principe de liberté d’expression des candidats : il a privé 38 de ses élèves de terminale (parmi lesquels la progéniture de la ministre) de la possibilité de s’encanailler aux lycées publics Henri IV ou Saint-Louis, ou de quitter la capitale pour s’aventurer dangereusement à Sainte-Marie de Neuilly ou Sainte-Croix Neuilly. Il a exercé sur eux une forme de chantage en leur disant : ou vous ne demandez que Stan, ou vous risquez de n’être pris dans aucune grande CPGE. Stan a, d’autre part, contrevenu au principe d’égalité des candidats, en privant quelques excellents élèves de terminale d’autres établissements d’avoir eu l’incomparable « bonheur » d’entrer à Stan. Nous savons que le fils d’Amélie Oudéa-Castéra a eu ce bonheur-là, ainsi que sa maman douce et aimante l’a révélé au monde entier le 12 janvier 2024.
Précisons. Lorsque Stan aura cessé de recommander à ses excellents élèves de terminale de formuler un vœu unique, cela ne dérangera pas beaucoup son secteur CPGE qui compte plus de 700 étudiants. On peut, sur la question, regarder la réponse apportée par le directeur de Stan. Ses propos pourraient figurer en bonne place dans une anthologie papier et numérique « Main de fer dans un gant de velours » : https://www.dailymotion.com/video/x8rna8f.
Seconde précision. On doute que cette « rentrée dans l’ordre » de la part de Stan contribuera d’un iota à sauver l’école publique de son effondrement actuel, dont l’une des caractéristiques est précisément la mise en concurrence féroce du public et du privé, des établissements publics entre eux, des disciplines entre elles, des professeurs entre eux et des élèves entre eux. Il est reproché à Stan d’avoir faussé très visiblement la logique concurrentielle de Parcoursup et d’avoir été un des rares établissements à l’avoir fait aussi crûment. C’est que Stan est aussi arrogant et aussi déconnecté qu’Amélie Oudéa-Castéra. Tellement sûr de lui au point de ne pas dissimuler ses mauvaises pratiques, il procédait comme tant d’autres établissements privés et publics : il recourait à la concurrence faussée. Jusqu’à présent, cela passait… Avec la Région Île-de-France et les ministères de l’Éducation nationale et de l’Enseignement supérieur, Stan s’arrangeait. Mais, grâce à la nouvelle ministre de l’Éducation nationale, tout le monde sait désormais que Stan est champion hors compétition dans la pratique répandue de contournement des règles. En cette fin de janvier 2024, le directeur de Stan doit bénir la ministre..
Ainsi, au sein de la macronie, beaucoup estiment qu’Amélie Oudéa-Castéra ne fait pas l’affaire. Elle ne serait « pas à la hauteur de la tâche ». Traduisons : elle est incapable de mentir efficacement pour éviter des résultats catastrophiques aux élections européennes de juin prochain, qui est la question qui préoccupe Macron et Attal. Pire : sa première prestation publique comme ses rattrapages grotesques ont livré la cruelle vérité qu’offre parfois une caricature. Elle a révélé au public la véritable nature de la politique de Macron et d’Attal, que la macronie s’emploie précisément à masquer. Que, dans les jours ou les semaines qui viennent, Amélie Oudéa-Castéra démissionne ou non, sa première intervention publique en qualité de ministre de l’Éducation nationale fera date parce que cette désastreuse allocution aura involontairement livré un condensé saisissant des caractéristiques majeures du personnel macroniste : servile, déconnecté et menteur. Elle aura également annoncé la poursuite hautement probable de la politique voulue par le président de la République et le Premier ministre : anti-laïque, anti-démocratique et anti-sociale.
Notes de bas de page
↑1 | ReSPUBLICA a exposé à maintes reprises son opposition complète à la politique de Pap Ndiaye à la tête du ministère de l’Éducation nationale, tout en s’abstenant scrupuleusement de la moindre attaque personnelle. |
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↑2 | Source : https://www.stanislas.fr/ |
↑3 | La ministre faisait référence à son discours de passation des pouvoirs. |
↑4 | La destruction de l’école publique date de plusieurs décennies de renoncements et d’abandons. Elle s’est sensiblement accélérée durant les cinq années du ministère Blanquer. |
↑5 | La ministre ignore qu’à l’école publique les élèves portent très généralement des « baskets » à toute heure de leur présence à l’école, alors qu’à Stanislas, les chaussures de cuir sont de rigueur, les baskets étant réservés au cours de sport ou aux jeux dans la cour. Voir l’article de Libération |
↑6 | Ce rapport est resté en sommeil sur le bureau de son prédécesseur. |
↑7 | Elle aurait même pu s’offrir le luxe de souligner que son fils qui a été accepté à Stanislas en classe supérieure a finalement très bien réussi de sorte que le collège public s’était trompé en prétendant qu’il était de l’intérêt de l’enfant de redoubler. |
↑8 | Il ne faut pas s’étonner des ratés d’Amélie Oudéa-Castéra dans ses efforts désespérés pour rattraper sa première déclaration publique. Ni ses regrets ni même les excuses qu’elle a limitées aux seuls enseignants de l’école Littré ne sont crédibles. À notre connaissance, on n’a pas remarqué sa profession de foi de non-catholicisme exposée dans l’exercice de ses fonctions. « Je ne suis pas catholique », a-t-elle déclaré, pour faire savoir que la scolarisation de ses enfants dans une école catholique ultraconservatrice n’implique pas de sa part l’approbation des « valeurs » de cette école.
Mais le « Je » d’une ministre dans l’exercice de ses fonctions ne saurait énoncer ses convictions personnelles en matière religieuse. Dans une République laïque comme la nôtre, le public n’a pas à savoir si la ministre de l’Éducation nationale est athée, bouddhiste ou musulmane, pas plus qu’il a à savoir si elle est ou non catholique. De telles déclarations n’augurent rien de très… laïque en matière de cours et de formations sur la laïcité prévus par le président de la République et le Premier ministre. |
↑9 | Voir la tribune du Monde contre le séparatisme scolaire : https://www.lemonde.fr/education/article/2024/01/23/separatisme-scolaire-deux-jeunesses-vivent-dans-des-spheres-paralleles-sans-se-rencontrer_6212443_1473685.html |
↑10 | Sources : https://www.huffingtonpost.fr/politique/article/amelie-oudea-castera-et-son-salaire-a-la-tete-du-tennis-francais-epingles-par-un-rapport-parlementaire_228710.html |
↑11 | Dans son rapport du 17 janvier, le ministère de l’Enseignement supérieur a effectivement épinglé le collège Stanislas pour avoir « contourné » les règles procédurales du grand robot Parcoursup. Ce rapport révèle que 38 excellents élèves de terminale du collège Stanislas (Stan, pour les initiés) ont été incités avec succès au printemps 2023 à inscrire dans leur dossier Parcoursup en vœu unique un vœu Stan, en échange de l’assurance d’être admis à Stan. Le fils aîné d’Amélie Oudéa-Castéra a fait partie de ces 38 élèves. Ainsi, Stan a, d’une part, contrevenu au principe de liberté d’expression des candidats : il a privé 38 de ses élèves de terminale (parmi lesquels la progéniture de la ministre) de la possibilité de s’encanailler aux lycées publics Henri IV ou Saint-Louis, ou de quitter la capitale pour s’aventurer dangereusement à Sainte-Marie de Neuilly ou Sainte-Croix Neuilly. Il a exercé sur eux une forme de chantage en leur disant : ou vous ne demandez que Stan, ou vous risquez de n’être pris dans aucune grande CPGE. Stan a, d’autre part, contrevenu au principe d’égalité des candidats, en privant quelques excellents élèves de terminale d’autres établissements d’avoir eu l’incomparable « bonheur » d’entrer à Stan. Nous savons que le fils d’Amélie Oudéa-Castéra a eu ce bonheur-là, ainsi que sa maman douce et aimante l’a révélé au monde entier le 12 janvier 2024.
Précisons. Lorsque Stan aura cessé de recommander à ses excellents élèves de terminale de formuler un vœu unique, cela ne dérangera pas beaucoup son secteur CPGE qui compte plus de 700 étudiants. On peut, sur la question, regarder la réponse apportée par le directeur de Stan. Ses propos pourraient figurer en bonne place dans une anthologie papier et numérique « Main de fer dans un gant de velours » : https://www.dailymotion.com/video/x8rna8f. Seconde précision. On doute que cette « rentrée dans l’ordre » de la part de Stan contribuera d’un iota à sauver l’école publique de son effondrement actuel, dont l’une des caractéristiques est précisément la mise en concurrence féroce du public et du privé, des établissements publics entre eux, des disciplines entre elles, des professeurs entre eux et des élèves entre eux. Il est reproché à Stan d’avoir faussé très visiblement la logique concurrentielle de Parcoursup et d’avoir été un des rares établissements à l’avoir fait aussi crûment. C’est que Stan est aussi arrogant et aussi déconnecté qu’Amélie Oudéa-Castéra. Tellement sûr de lui au point de ne pas dissimuler ses mauvaises pratiques, il procédait comme tant d’autres établissements privés et publics : il recourait à la concurrence faussée. Jusqu’à présent, cela passait… Avec la Région Île-de-France et les ministères de l’Éducation nationale et de l’Enseignement supérieur, Stan s’arrangeait. Mais, grâce à la nouvelle ministre de l’Éducation nationale, tout le monde sait désormais que Stan est champion hors compétition dans la pratique répandue de contournement des règles. En cette fin de janvier 2024, le directeur de Stan doit bénir la ministre. |