Site icon ReSPUBLICA

Le Serment de Vincennes, 19 juin 1960 : la Guerre scolaire visible hier, sournoise aujourd’hui, est toujours d’actualité

La Guerre scolaire public/privé majoritairement confessionnelle, tout comme la lutte des classes que d’aucuns affirment finie et qui pourtant fait toujours plus de ravages pour les plus modestes, la Guerre scolaire est toujours d’actualité mais ce sont les Églises qui la conduisent, notamment catholique, et les républicains qui font profil bas.

L’anniversaire du Serment de Vincennes est l’occasion de faire un bilan, bilan dans lequel nous constaterons que c’est la République laïque et son socle, l’enseignement public qui y a laissé des plumes, enseignement public qui, contre vents et marées, est maintenu à flots par ses soutiers que sont les enseignants.

Serment de Vincennes

Nous, délégués des pétitionnaires des communes de France, représentant 10.813.697 Français et Françaises de toutes origines et toutes opinions ayant signé la pétition solennelle contre la loi scolaire de division du 31 décembre 1959 (dite loi Debré) faisons le serment solennel :
– de manifester en toutes circonstances et en tous lieux notre irréductible opposition à cette loi contraire à l’évolution historique de la Nation,
– de lutter sans trêve et sans défaillance jusqu’à son abrogation,
et d’obtenir que l’effort scolaire de la République soit uniquement réservé à l’École de la Nation, espoir de notre jeunesse. »

Ces 10.813.697 pétitionnaires dépassaient largement dans 64 départements la majorité absolue des votants aux législatives du 30 novembre 1958. L’après-midi du 19 juin 1959, au parc de Vincennes du fait de l’interdiction du Préfet de défiler de Nation à République, plusieurs centaines de milliers de personnes se sont regroupées sur la pelouse de Reuilly. La liste des organisations qui ont soutenu la pétition du CNAL figure en bas de texte (1)Parti Socialiste Autonome, l’Union de la Gauche Socialiste, le Parti Socialiste S.F.I.O., le Parti Radical et Radical-Socialiste, les Socialistes Indépendants et Indépendants de Gauche, le Parti Communiste Français, la Libre-Pensée, l’Union rationaliste, la CGT, la CGT-FO, la Ligue des Droits de l’Homme, l’Union Nationale des Étudiants de France, le Grand Orient de France, le Droit Humain, la Fédération Nationale des Combattants Républicains : de tous ces signataires nombreux sont ceux qui ont abandonné ce combat.

Une rivalité est soigneusement entretenue et favorisée par les responsables institutionnels entre « l’école du mal » forcément publique et celle du « bien » a fortiori confessionnelle. Selon le journal La Croix du 16 décembre 2009, la guerre scolaire s’est apaisée 50 ans après la loi Debré. Selon Les Échos du 29 décembre 2009, la querelle scolaire semble en passe de s’éteindre.

La loi Debré : une loi qui est une étape fondamentale dans la remise en cause de la laïcité dans l’enseignement

La loi Debré se révèle moins comme une solution de compromis et de paix que comme une étape nouvelle du conflit scolaire. Elle est la porte ouverte à une remise en cause de la loi de séparation des Églises et de l’État de 1905 au bénéfice, aujourd’hui, presque exclusif de l’enseignement catholique et demain de l’enseignement musulman.

Le secrétaire général de l’enseignement catholique le confirme : « La loi Debré n’est pas une loi parmi d’autres. Elle est bien un de ces nœuds de l’histoire dont, soixante ans après son vote, nous n’avons pas encore mesuré la portée. En permettant, selon René Rémond, de « réunir ce que la loi de 1905 a séparé », elle est sans doute l’ultime étape du « ralliement » des catholiques et de l’Église à la République. »

La loi Debré est donc une entorse essentielle à la loi de 1905. Elle est la source d’un communautarisme scolaire qui ne demande qu’à s’étendre. Elle introduit des concepts flous, ambigus comme « caractère propre », « besoin scolaire reconnu » et aujourd’hui « parité ». Cela aboutit à l’aggravation de la ségrégation sociale.

Toutes les lois qui ont suivi sont allées encore plus loin pour favoriser l’enseignement confessionnel en tournant le dos aux souhaits de Michel Debré lui-même : « Il n’est pas concevable, pour l’avenir de la nation, qu’à côté de l’édifice public de l’Éducation nationale, l’État participe à l’élaboration d’un autre édifice qui lui serait en quelque sorte concurrent et qui marquerait, pour faire face à une responsabilité fondamentale, la division absolue de l’enseignement en France. »

Pourtant la loi Debré qui se traduit par une séparation des enfants au nom de la religion est devenue plus coûteuse aujourd’hui.

La loi Debré une régression fondamentale vers un système mis en place sous le régime pétainiste

Selon des responsables de l’enseignement catholique : « La loi du 31 décembre 1959 sur les rapports entre l’État et les établissements d’enseignements privés constituent l’aboutissement réussi de la lutte engagée dès 1945 par les partisans de la liberté de l’enseignement. Elle signe le retour à un régime initié par Vichy… ». La main mise sur notre jeunesse au travers de l’école catholique, préoccupation privilégiée de l’Église, pourrait devenir, selon le cardinal français Jean-Louis Brugès, « le seul lieu de contact avec le christianisme », « l’école est le point crucial pour notre mission », cette main-mise est un point essentiel pour l’Église.

Une loi financièrement onéreuse

La République laïque finance ainsi la visibilité sociale de l’Église par la concession de 20 % du système éducatif. Par la loi Debré, l’État entretient aujourd’hui deux réseaux scolaires et demain une multitude fatalement concurrentielle.

De la sécularisation à la séparation des Etats et des Églises : des avancées vers l’émancipation des individus et des reculs

17e siècle : Après Bacon l’Anglais, Descartes le Français, Spinoza le Hollandais qui ouvrent les voies de l’affranchissement de la pensée par la raison, John Locke (1632-1704) est le premier à poser et développer le principe de séparation entre les Églises et l’État : « J’estime qu’il faut avant tout distinguer entre les affaires de la Cité et celles de la religion, et que de justes limites doivent être définies entre l’Église et l’État. » (Lettre sur la tolérance, 1689).

18e siècle : En Allemagne avec Humbolt, Kant, Fichte (« un État qui marche avec les béquilles de la religion ne fait que prouver sa faiblesse »), en France avec les Encyclopédiste (Rousseau, Voltaire, Diderot) et la Révolution française avec le décret de Ventôse an III de la République (repris par la Commune insurrectionnelle de Paris en 1871) : « Nul ne doit être contraint de financer un culte qui n’est pas le sien », aux États-Unis (première constitution avec principe de séparation entre l’État et les Églises, Thomas Paine dénonçant l’union adultère de l’Église et de l’État), la volonté de se libérer de l’emprise religieuse s’amplifie.

19e siècle : en France,

1940 : l’État français de Vichy, enseignement privé catholique subventionné, enseignement public désorganisé, suppression des écoles normales d’instituteurs

IVe République : renoncements avec les subventions maintenues au privé, 1951, subventions renforcées par les lois Marie et Barangé. La loi Marie a ouvert aux élèves des établissements privés le droit à bénéficier des bourses. La même année, la loi Barangé a attribué une allocation scolaire aux familles, que leur enfant soit dans une école publique ou privée.

Ve République : recul avec la loi Debré du 31 décembre 1959 qui sacrifie un équilibre de sagesse, qui apporte la division religieuse, qui ouvre une opportunité pour les intégrismes des trois grandes religions monothéistes, qui organise la division religieuse avec une compétition inévitable entre les religions, qui pérennise la division sociale avec une opportunité pour certains milieux socialement aisés animés d’ambitions élitistes et pour l’« entre soi ». L’école laïque devait accueillir tous les enfants. Il fallait donner à une certaine aristocratie la possibilité d’y échapper. Les établissements privés apparaissaient comme l’échappatoire à la démocratisation que le collège avait pour mission d’appliquer. Depuis 2007 (M. Darcos) la levée des contraintes de la carte scolaire a permis l’échappée de certaines couches sociales vers des secteurs socialement plus « distingués ».

Division politique

Le Code de l’éducation, article L212-2 précise : « Toute commune doit être pourvue au moins d’une école élémentaire publique. Toutefois, deux ou plusieurs communes peuvent se réunir pour l’établissement ou l’entretien d’une école. »

En 2013 : 487 communes dont la population scolaire justifierait l’existence d’une école n’en ont pas. Des maires malgré les demandes refusent d’ouvrir une école publique.

La Constitution de la Ve République affirme : « L’organisation de l’enseignement public, gratuit et laïque à tous les degrés est un devoir d’État. »

En 2010, le gouvernement Sarkozy et son ministre de l’Éducation, Xavier Darcos décident la suppression d’un emploi sur deux dans l’enseignement (ne remplacer qu’un départ à la retraite sur deux). Pour cela, il faut « Augmenter la taille des classes dans le premier degré… Réduire le besoin de remplacement dans le premier degré et recourir à des non-titulaires en contradiction avec la pratique depuis 1972 : remplacer un enseignant au pied levé sans que les élèves en subissent les conséquences nécessite des enseignants chevronnésLimiter la scolarisation des enfants de deux ans.

L’État verse 7 milliards d’€ (2015) aux établissements privés. L’art. L 442-13 du Code de l’éducation affirme que les mêmes « règles et critères (doivent s’appliquer) pour l’ouverture et la fermeture des classes correspondantes de l’enseignement public ». Ainsi la taille des classes et établissements du privé ne doivent pas être plus favorables que celle des établissements publics.
– Pourtant, des complaisances à foison apparaissent en n’appliquant pas les mêmes règles que pour le public. Ainsi en 2013, dans toutes les académies, les établissements privés du second degré ont des effectifs moyens inférieurs que ceux de l’enseignement public.
– Plus de postes budgétaires pour le privé : depuis 1980 existe un partage tacite de la population scolaire, soit 80 % pour le public, 20 % pour le privé. En réalité, la population scolaire se répartit entre 83 % pour le public et 17 % pour le privé. En 2011, le gouvernement Fillon supprime 16 000 postes. En proportion il aurait fallu supprimer 3 200 postes dans le privé, il y en eut 1 633. Ainsi le public a supporté 92 % des suppressions.

Guerre financière

Guerre de reconquête cléricale

Elle s’est appuyée sur deux piliers :

Étapes :

Ainsi est constitué le corpus législatif qui marque l’aboutissement d’un siècle de guerre scolaire menée par le parti clérical.

La notion de caractère propre : une insulte aux principes de la laïcité et le cache-sexe de caractère confessionnelle et religieux

« Pour un OGEC (Organismes de gestion de l’enseignement catholique ), il s’agit de désigner l’annonce de l’Évangile et sa célébration comme des lieux privilégiés de discernement des décisions à prendre ; Il s’agit de redécouvrir qu’en régime chrétien, la gouvernance se dit « diaconie », intendance au service de l’œuvre du Christ. »

Au pays du cartésianisme ou au pays qui prône l’émancipation par l’usage de la raison, l’État garant et gestionnaire de l’école de la République assure, sans état d’âme, le fonctionnement gratuit d’écoles partisanes concurrentes au travers de lois qui encouragent et consolident la division de la jeunesse contre l’école laïque rassembleuse, symbole de l’unité de la nation.

Formation des personnels du privé en contradiction avec la notion de liberté de conscience inscrite dans la loi

C’est en conformant les esprits qu’un régime autoritaire entend se perpétuer. Le plus sûr moyen d’y parvenir est de conformer ceux qui sont chargés de transmettre sa vérité à ceux qui sont l’avenir du régime, la jeunesse.

A l’opposé, la démocratie exige que l’enseignement soit « universel », disait Condorcet, laïque, dirions-nous aujourd’hui et que les enseignants soient préparés à cette mission.

Il y a totale antinomie entre les deux démarches laïque et cléricale. Les Églises visent à diffuser et transmettre leur vérité aux générations futures. La loi Debré leur convient financièrement mais pas pour la transmission car elle garantit le respect de la liberté de conscience des enseignants. La Loi Guermeur leur donne satisfaction car après 1968, « L’école chrétienne a tendance à se dégager de ses liens avec l’épiscopat et les supérieurs majeurs. » dixit en 1970, Mgr Cuminal.

En 2002, l’enseignement catholique relève « le défi de cette double appartenance (structure civile et institution chrétienne), la relation administrative avec l’État…, le lien avec l’Église dont il reçoit la mission de témoigner auprès de tous les jeunes de la vérité vivante de la révélation chrétienne. » La tutelle diocésaine et congréganiste et des recteurs des universités catholiques est assurée sur l’ensemble des acteurs de la formation.

2013 : le « Nouveau statut de l’Enseignement catholique », révélateur de l’ambition d’une mainmise cléricale sur l’esprit de nos enfants

Lors de la Conférence des évêques de France en 2003, il est soutenu que l’enseignement catholique construit son caractère propre entre « l’enseignement, l’éducation et la révélation d’un sens de la personne enraciné dans l’Evangile. » Le caractère propre ne concerne plus l’établissement mais l’enseignement. Cela relève de l’exercice d’acrobatie :

Les personnels : prosélytisme religieux et liberté de conscience bafouée

Manquements à la loi des écoles privées catholiques selon le nouveau statut :

Des dérives antirépublicaines multiples à venir

A quand un « Statut de l’enseignement coranique », une « Statut de l’enseignement évangéliste », un « Statut de l’enseignement talmudique ou judaïque », un « Statut de l’enseignement régionaliste » … financés comme l’enseignement catholique par l’impôt de tous ? En France, Etat de droit, ce qui est accepté et organisé pour une tendance doit l’être pour toutes les autres. Ainsi, on se dirige vers une dispersion de la jeunesse entre des organisations scolaires concurrentes entre elles et concurrentes de l’école de la République. C’est l’unité de la nation qui volera certainement en éclats.

Conclusion : la laïcité et le progrès social ne sont des combats permanents perdus que si on ne les mène pas

Droit de l’enfant ou droit du père de famille, c’est l’alternative qui apparaît tout au long de notre histoire : éducation laïque ou endoctrinement ? Selon la belle expression de Jean Rostand « Former des esprits ou les conformer (à des dogmes) ? »

Jean Jaurès, défendant la loi de 1905 et l’école laïque : « Je dis qu’il ne s’agit ni du droit de l’État, ni du droit des familles, mais qu’il y a un droit de l’enfant. » Citant Proudhon : « L’enfant a le droit d’être éclairé par tous les rayons qui viennent de tous les côtés de l’horizon, et la fonction de l’État, c’est d’empêcher l’interception d’une partie de ces rayons. »

Le député Pierre Cot en 1946 répondant à Maurice Schumann pour qui le père dispose d’un droit supérieur à celui de la société pour donner l’enseignement qu’il juge convenable : « Le père n’a pas le droit d’imposer une volonté à son enfant. L’État n’a pas le droit d’imposer sa volonté à l’enfant. Ce que le père et l’État ont le devoir de faire, c’est de donner à cet enfant une formation qui le rende capable, lorsqu’il sera grand, de choisir librement sa voie et de définir ses propres idées. »

Condorcet : « Les peuples qui ont leurs prêtres comme instituteurs ne peuvent rester libres. » « Que la morale fasse partie d’une éducation publique commune à toutes les classes de citoyens ; que l’on écarte de cette éducation toute influence sacerdotale. »

Ferdinand Buisson en 1909 dans La grande Revue illustre le nécessaire lien entre combat pour la laïcité et combat pour le progrès social : « Jusqu’à ces derniers temps, la société s’était représenté l’instituteur comme le défenseur attitré de l’ordre établi. Elle comptait sur lui pour inculquer aux enfants des classes laborieuses, avec un certain nombres d’autres vertus, le respect absolu de ses lois, de ses institutions, de ses traditions. On comptait sur lui pour combattre le mauvais esprit […]. C’est cela même que l’on sent qu’il ne fera plus très bien. »

Ces combats pour le respect de la liberté absolue de conscience face aux dogmes issus de tous les horizons sont permanents. Il serait naïf de croire que la Guerre scolaire est dépassée. Elle se poursuit et les mouvements qui sont à la pointe pour déstabiliser l’’enseignement public, soutenu par l’Église catholique mais aussi tous les mouvements religieux ultras de toutes les confessions islamistes, judaïques, évangéliques… sont à la manœuvre. Les républicains laïques, malheureusement, sont les grands absents ou insuffisamment combatifs. Osons le parallèle avec la lutte des classes. Selon Warren Buffet qui fait partie des hommes les plus riches du monde : « Il y a une lutte des classes, évidemment, mais c’est ma classe, la classe des riches qui mène la lutte. Et nous sommes en train de gagner. » Il en est de même en ce qui concerne le combat pour l’enseignement public et laïque, pour la primauté de la liberté de conscience sur les libertés religieuses qui en font partie mais ne sont pas au-dessus.

Sources :

On trouvera également dans ReSPUBLICA un dossier très complet sur les reculs de la laïcité depuis 1905, où la question scolaire est détaillée, en parallèle à d’autres domaines : http://www.gaucherepublicaine.org/wp-content/uploads/2019/05/Les-reculs-incessants-de-la-lai%CC%88cite%CC%81.pdf

Notes de bas de page[+]

Notes de bas de page
1 Parti Socialiste Autonome, l’Union de la Gauche Socialiste, le Parti Socialiste S.F.I.O., le Parti Radical et Radical-Socialiste, les Socialistes Indépendants et Indépendants de Gauche, le Parti Communiste Français, la Libre-Pensée, l’Union rationaliste, la CGT, la CGT-FO, la Ligue des Droits de l’Homme, l’Union Nationale des Étudiants de France, le Grand Orient de France, le Droit Humain, la Fédération Nationale des Combattants Républicains
Quitter la version mobile