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Concordat, lois scolaires et droit local en Alsace-Moselle

Lire aussi : Pourquoi le  Concordat d’Alsace-Moselle va subsister encore…et pourquoi n’est-il pas tenu compte de l’opinion des citoyens ? dans notre précédent numéro.

 

Un état des lieux s’impose pour sortir des confusions consciemment ou inconsciemment entretenues pour que rien ne change :

En effet, il est bon de rappeler que, lorsque la loi de « Séparation des églises et de l’Etat » du 9 décembre 1905 est votée, les départements du Haut-Rhin, du Bas-Rhin et de la Moselle ont été annexés par l’Empire allemand et, de ce fait, cette loi n’y est pas appliquée. Malgré la décision du Conseil constitutionnel de confirmer cette exception (2), les « sages » avaient pris soin de rappeler que la Parlement avait toute latitude d’y mettre fin et avaient précisé que le Concordat ne pouvait plus être étendu à d’autres cultes.

Contrairement à ce qui est généralement affirmé tous ces aspects dérogatoires ne viennent pas de l’époque de l’annexion allemande après la défaite de 1871 et, surtout, ne sont pas liés les uns aux autres.

Les défenseurs du régime concordataire d’Alsace-Moselle cultivent l’amalgame entre le Concordat et le droit local pour susciter des inquiétudes infondées quant à la suppression, notamment, du Régime local d’Assurance maladie plus avantageux (3) car remboursant mieux que le Régime général de Sécurité sociale et des deux jours fériés supplémentaire (le vendredi 26 décembre ou Saint-Etienne et le vendredi dit Saint avant Pâques). Il est évident qu’abroger le Concordat et l’enseignement religieux des quatre cultes reconnus dans les écoles publiques n’implique en aucune manière la suppression des avantages sociaux locaux et des deux jours de congé supplémentaires. (Il est à noter que les fonctionnaires sont exclus de ces avantages.)

Le principe qui devrait prévaloir est le suivant : « La généralisation à l’ensemble du territoire du mieux disant social et mieux disant sociétal » ou l’alignement par le haut des droits sociaux :

Faisons le point.

Concordat, le régime des cultes : les lois religieuses françaises du Ier Empire seront abrogées en 1905

Le régime des cultes est régi par la Convention internationale signée entre Napoléon Ier et le pape Pie VII visant la paix religieuse, dit Concordat de 1801. Il contient les articles organiques du culte catholique de par la loi du 18 germinal de l’An X de la République (8 avril 1802), les articles organiques du culte des protestants. Cette loi a été complétée par les articles organiques du culte israélite du 18 mars 1808, les traitements à la charge de l’Etat du clergé du 8 février 1831 et du 25 mai 1844, la réorganisation des cultes protestants du 26 mars 1852 (décret modifié en 1987, 2001 et 2006).,

L’Etat continue donc à prendre en charge la rémunération des quatre cultes (catholique, protestant des deux obédiences et israélite) et les municipalités sont tenues de les loger et d’assurer certains frais de fonctionnement des lieux de culte considérés comme établissement publics. En 2011, l’Etat a dépensé 50 millions d’euros pour rémunérer les 1 400 ministres du culte d’Alsace-Moselle. A cela s’ajoutent les dépenses des municipalités et la prise en charge des salaires des « enseignants de religion ». Tout cela est financé par les impôts et taxes diverses payés par l’ensemble des contribuables de l’ensemble du territoire de la République.

Statut scolaire spécifique : les lois scolaires françaises de 1850 dites lois Falloux seront abrogées en 1881 et 1882

Précisons que le Concordat de 1801 n’a rien à voir avec le statut scolaire. Ce dernier est régi par la loi Falloux du 15 mars 1850 et concerne l’enseignement primaire confessionnel et l’enseignement secondaire neutre avec un enseignement religieux confessionnel. Comme pour le Concordat, du fait de l’annexion de l’Alsace-Moselle, les lois scolaires de 1879 à 1886 (Ferry-Goblet) (4) instituant la laïcité n’ont pas été appliquées dans ces deux territoires

Avant de poursuivre, il est utile de rappeler le discours de Jules Ferry devant les sénateurs en 1881 : « Les questions de liberté de conscience ne sont pas une question de quantité… la liberté de conscience ne fût-elle violée que chez un seul citoyen, un législateur français se fera toujours un honneur de légiférer, ne fut-ce que pour ce cas unique. » Quelles que soient les indications des sondages les principes de laïcité devraient prévaloir.

Le propos de Thiers qui préfère un instituteur sonneur de cloche à un instituteur mathématicien prépare le triomphe de l’obscurantisme sur l’émancipation du peuple et préfigure le régime dictatorial du Second Empire.

Que dit cette loi ?

Nous ne pouvons que constater qu’il n’y a pas de liberté de conscience car la religion est obligatoire dans les écoles confessionnelles du primaire. Il y a la possibilité pour les parents de s’associer pour ouvrir une école indépendante avec inspection de l’Etat sur la moralité, l’hygiène et la salubrité. En Alsace, les prêtres s’opposent à la propagation du français car cette langue donnerait l’occasion d’entrer en contact avec de mauvaises lectures. Avant la langue du pays, il fallait propager la foi.

Cette loi permet à Rome, à cette époque, d’influer sur les programmes. Un simple rapport du prêtre suffit à faire muter un instituteur. Les lois scolaires de Jules Ferry (1881-1882) ont fortement entamé ces fondements.

Il faut savoir que les députés alsaciens avaient voté majoritairement contre la loi Falloux.

A partir de  l’annexion allemande

Les principales lois du régime confessionnel actuellement en vigueur datent de cette époque.

Les Conseils départementaux de l’instruction publique sont composés d’un évêque avec des ministres des cultes protestants et israélites. C’est un retour à la législation française : rétablissement de la loi Falloux avec écoles séparées pour les différentes confessions, écoles de filles et de garçons différentes et des inspections locales organisées par le maire et le clergé.

Le Conseil supérieur de l’instruction publique accorde une présence facultative en son sein des évêques avec voix consultative.

C’est l’abolition de la liberté de conscience avec un enseignement religieux obligatoire pendant les heures de classe, enseignement assuré par les maîtres sans dérogation possible. Jean Macé, fervent défenseur de l’école laïque, cite les évêques belges apparemment plus laïques que leurs homologues français : « Puisque Dieu a sa maison dans tous les villages, sa maison où entre qui veut, pourquoi forcer les gens (les élèves) d’aller le chercher dans la maison d’à côté (l’école) où l’on n’a pas la qualité pour expliquer son mystère aux enfants. »

Conférence Alsace-Lorraine de 1915 pour les parties libérées de l’Alsace

Art.1 : appliquer les lois françaises sur l’organisation, la gratuité, l’obligation, la laïcité sauf mesures transitoires.

Art. 11 : établissements d’enseignement primaire ouverts à tous les élèves sans distinction de confession religieuse.

Art.13 : appliquer les programmes français et autoriser les ministres du culte à donner l’enseignement religieux dans les locaux scolaires en dehors des heures de classe sans obligation.

1919 : libération

Maintien, malgré les vœux formulés par la Commission Alsace-Lorraine, de l’ancienne législation prussienne en ce qui concerne le caractère confessionnel.

Affaires du culte toujours régies par le Concordat de l’an VII. L’Allemagne ne l’avait pas annulé après l’annexion de 1871 pour faire des prêtres des fonctionnaires de l’Etat mieux contrôlables et avait créé au sein de l’Université de Strasbourg deux facultés de théologie catholique et protestante.

1924 : président Herriot

Volonté d’introduire la législation républicaine et grève fomentée par l’évêché en substituant à la question du Concordat peu mobilisateur le problème scolaire en manipulant l’opinion. Recul du gouvernement.

La circulaire de Guy La Chambre (17 juin 1933) établit en Alsace la liberté de conscience pour les enfants et, sur simple déclaration des parents, les élèves sont dispensés de l’enseignement religieux. En réalité, cette circulaire est respectée dans les écoles interconfessionnelles mais inappliquée dans les écoles confessionnelles. La circulaire ne prévoyait pas de cours de morale sous une forme laïque de substitution. Des inspecteurs ont essayé d’en organiser mais devant l’opposition des députés cléricaux et autonomistes, l’administration a reculé. De ce fait, les minorités religieuses et les libres-penseurs étaient privés de morale.

1936 : Front populaire

Les cours de morale sont autorisés par décret.

1940 : occupation nazie

Annulation du Concordat par les autorités allemandes. Interdiction aux congrégations religieuses d’enseigner. Les sœurs de Ribeauvillé sont invitées à chercher un emploi dans les hôpitaux, les prières sont interdites à l’école, 2 heures d’enseignement religieux sont prévues à l’école pour les enfants munis d’une autorisation écrite des parents. Il n’y eut de protestations ni du clergé ni des clérico-autonomistes pronazis. La lutte contre la langue française est instituée avec la germanisation des enseignes et des étiquettes, l’expulsion des francophones, l’autodafé ou la destruction publique des livres en langue française et l’interdiction du français à l’école.

A la  Libération

Rétablissement du Concordat avec subvention des cultes, rétribution du clergé et indemnité spéciale si les cours de religion sont assurés à la place de l’instituteur.

Mgr Ruch s’oppose à l’école interconfessionnelle (situation actuelle des écoles publiques) par car elle est proscrite par le droit canonique (1374) : en effet on n’y prie pas et l’instituteur se voit obligé de s’imposer une certaine neutralité notamment en histoire.

Rappel de la lettre du Concordat : l’Etat ne doit de traitement qu’aux vicaires, chanoines et curés de canton et pas aux autres considérés comme de simples desservants ou succursalistes. Cette restriction n’est pas appliquée.

En 1947,  Robert Schuman se prononce contre l’école confessionnelle car, une telle école n’est pas seulement un établissement où une à trois heures sont affectées à l’instruction religieuse et le caractère confessionnel se reflète aussi dans les choix de lecture, dans l’enseignement et l’interprétation de l’histoire, des sciences naturelles, de la morale.

De manière générale, un enseignement confessionnel ne pourrait être « acceptable » que si l’Etat est en capacité d’édifier dans chaque commune une école pour chaque confession et une pour les libres-penseurs, les rationalistes, les marxistes… (la liste exhaustive est impossible à établir) et une école indépendante de tous les dogmes, c’est-à-dire laïque afin de respecter les choix du père de famille autrefois, des parents aujourd’hui, afin de garantir l’égalité devant la loi.

Il est facile de se rendre compte et du gaspillage des deniers publics et de l’impossibilité de satisfaire toutes les options spirituelles – sans compter l’organisation de la nation en clans idéologiques dressés les uns contre les autres ou vivant les uns à côté des autres dès l’enfance.

La Libération de 1945 comme celle 1918 fut un acte manqué pour le retour intégral de l’Alsace-Moselle dans la République. Il y eut quelques modifications et avancées modestes :

Certains élèves-maîtres refusèrent de se soumettre à la pratique du culte catholique : ils durent, pour ne pas briser leur carrière, simuler la piété et réciter le catéchisme (instruction des doctrines de la foi chrétienne).

Une nouvelle déclaration des droits réaffirme la liberté de conscience et des cultes par la neutralité de l’Etat et la laïcité de l’enseignement et pourtant le MRP d’Alsace se prononce pour le maintien du régime particulier. Une Commission est prévue pour envisager le respect de ce texte.

Les revendications des syndicats enseignants et de la Ligue de l’enseignement en 1946 :

Evolutions depuis 1981

Conclusion

L’évolution nécessaire pour une République laïque au XXIe siècle devrait être la suivante :

– abroger le Concordat en organisant une sortie progressive du régime des cultes reconnus visant à l’harmonisation avec le droit commun (loi du 09 décembre 1905),

– maintien du droit local notamment sociaux tant que ses avantages sont supérieurs à celui appliqué pour l’ensemble du territoire français (régime local d’assurance maladie) jusqu’à la mise œuvre d’une Sécurité sociale intégrale sur l’ensemble du territoire national,

– maintien des deux jours fériés supplémentaires et extension à l’ensemble du territoire national

–  confirmation de l’abrogation du délit de blasphème : abrogé en 2016 et décret d’application de cette abrogation promulgué en 2017 (6),

– abolir l’obligation de suivre un enseignement religieux dans les écoles publiques. (Pourquoi pas dans les écoles privées sous contrat ?),

– abroger les financements publics des établissements scolaires privés confessionnels

Dans un 1er temps : Sortir le temps d’enseignement religieux du temps scolaire.
Dans un 2e temps :

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NOTES

1. Sondage IFOP, du 30 mars au 1er avril 2021, une courte majorité (52 %) se disent favorables « à l’abrogation du Concordat en Alsace-Moselle L’engagement dans une croyance religieuse est le discriminant principal des réponses : les « athées » sont 69 % à se dire favorables à l’abrogation du Concordat, les « croyants non religieux » 49 % et les « croyants religieux » 43 %. L’orientation politique joue aussi : les sympathisants de La France insoumise (LFI, 64 %), du PS (57 %) et d’Europe Ecologie-Les Verts (51 %) y sont davantage favorables à l’abrogation que ceux de La République en marche (46 %), du Rassemblement national (RN, 44 %) et des Républicains (43 %). A noter que les partisans de l’abrogation, s’ils sont majoritaires en Moselle (56 %), sont minoritaires en Alsace (49 %).

2. Par décision du 21 février 2013, le Conseil constitutionnel a tranché. L’Etat peut – malgré son statut laïque défini dans la Constitution – continuer à rémunérer prêtres, pasteurs et rabbins en Alsace-Moselle, un statut spécifique de ces départements.

3. Décrets des 12 juin 1946 et 31 décembre 1991 : Le Régime Local d’Assurance Maladie d’Alsace-Moselle est issu de l’histoire des départements du Bas-Rhin, du Haut-Rhin et de la Moselle. Pendant le rattachement de ces territoires à l’Empire allemand, de 1871 à 1918, la population a bénéficié du système d’assurance maladie des lois de Bismarck. Ces lois allemandes assuraient une très forte socialisation de la prise en charge des dépenses de soins, laissant une fraction modeste à la charge des assurés. Ces lois ont été maintenues en vigueur en Alsace-Moselle jusqu’en 1946. Après la Seconde Guerre Mondiale, lors de la création du régime général de Sécurité sociale, la population locale s’est mobilisée pour conserver son régime particulier. Un décret du 12 juin 1946 l’a maintenu à titre provisoire, dans l’attente que le régime général s’aligne sur son haut niveau de solidarité. Cette perspective ne s’est pas réalisée.
Le Régime Local a été pérennisé par une loi du 31 décembre 1991.

4. Jours fériés : le Vendredi Saint (qui précède le dimanche de Pâques) et à la Saint-Etienne (26 décembre).

Salaires. Le droit local du travail exige l’obligation du versement intégral du salaire en cas d’absence lorsqu’un salarié du secteur privé est empêché de venir travailler. Il faut que cette absence soit indépendante de la volonté du salarié et la cause de l’absence doit être personnelle, c’est-à-dire avoir une raison liée directe (maladie du salarié, maternité, accidents, etc.), ou indirecte (événements touchant l’entourage proche du salarié).

Remboursements. Tous les salariés alsaciens et mosellans ont droit à un taux de remboursement particulier par l’Assurance maladie. Actuellement le régime local prend en charge à 100 % le forfait journalier hospitalier et à 90 % la plus grande partie des soins de ville (frais d’honoraires des praticiens et auxiliaires médicaux, médicaments, examens de laboratoire et frais de transport), contre 70 % ailleurs en France et 80 % pour les médicaments remboursés à 35 % ailleurs en France. Ce régime complémentaire est équilibré (alternance entre périodes déficitaires et excédentaires) et payé uniquement par une cotisation sociale supplémentaire des salariés alsaciens et mosellans (1,5 % du salaire brut au 1er janvier 2012 y compris pour les retraités).

Associations. La loi du 1er juillet 1901 relative au contrat d’association n’est pas applicable aux associations ayant leur siège en Alsace-Moselle. Celles-ci se trouvent obligatoirement soumises au régime juridique du droit local. Avec quelques spécificités : la personnalité juridique ne fait par exemple pas partie de la définition de l’association. Cette dernière a aussi le droit de poursuivre un but lucratif.

5. « Lois Jules Ferry » peut désigner un ensemble plus vaste de textes réformant l’enseignement en France entre 1879 et 1886 à l’initiative de Jules Ferry. Cet ensemble inclut, outre les deux lois relatives à l’école primaire, des lois relatives à la formation des professeurs, à l’enseignement secondaire et supérieur, ou au fonctionnement de commissions administratives compétentes en matière d’enseignement. La loi Goblet du 30 octobre 1886 parachève les lois Jules Ferry en confiant à un personnel exclusivement laïque l’enseignement dans les écoles publiques, remplaçant les instituteurs congrégationnistes.

6. Délit de blasphème : amendement no 833, adopté en juin 2016, pour abroger expressément le délit de blasphème en Alsace-Moselle et aligner les sanctions encourues en cas de trouble à l’exercice des cultes, en appliquant également en Alsace-Moselle l’article 32 de la loi de séparation des Églises et de l’État qui dispose que « seront punis [de la peine d’amende prévue pour les contraventions de la 5e classe et d’un emprisonnement de six à deux mois, ou de l’une de ces deux peines] ceux qui auront empêché, retardé ou interrompu les exercices d’un culte par des troubles ou désordres causés dans le local servant à ces exercices ». Le texte est promulgué en janvier 2017.

 

 

 

 

 

 

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