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Confusionnisme en laïcité

La lecture du livre de Jean Baubérot Les 7 laïcités françaises, amène des observations critiques sur la notion même de laïcité qui est développée dans cet ouvrage. M. Baubérot, pour une part bien renseigné et s’appuyant sur des faits bien avérés, opère des interprétations qui vont à l’encontre du principe de laïcité qui découle de la loi du 9 décembre 1905 dite de « Séparation des Eglises et de l’Etat ». L’ouvrage est intéressant à condition de prendre du recul par rapport à certaines affirmations qui entraînent des confusions sur la notion même de laïcité telle que définie implicitement par la loi précédemment citée, par ailleurs affaiblie par de multiples circulaires et pratiques souvent contraires à la loi.

 

Soyons clairs : pour ReSPUBLICA, il n’est qu’une laïcité, celle qui se fonde sur les lois scolaires des années 1880, la loi du 9 décembre 1905, les circulaires Jean Zay sous le Front populaire, sa constitutionnalisation à la Libération et la loi de 2004 sur les signes religieux à l’école.

Confusion

Convenons avec M. Baubérot qu’il existe une certaine confusion sur le sujet de la laïcité. Il s’appuie sur les propos de Jean Picq « au vu de la confusion qui s’est installée dans les esprits, le risque existe que plus personne ne sache très bien en quoi elle consiste ». Il n’est pas certain que M. Baubérot éclaire la situation.

Il a raison de signaler le hold up du FN puis du RN sur la laïcité, qui ressemble à « une captation du phénomène au profit d’arguments xénophobes ». Il est notable qu’une partie de la droite a rejoint ou prête une oreille complaisante à ce dévoiement.

Il dénonce des contre-vérités :

Pour autant, l’auteur commet lui-même des contre-vérités en affirmant que la situation dans le Haut-Rhin, le Bas-Rhin et la Moselle serait « un aspect de la laïcité française ». En réalité, cette situation contraire à la laïcité est dérogatoire et ne constitue en aucun cas une application locale de la laïcité.

Ambiguïté à gauche

Il a raison de rappeler que la laïcité a été longtemps consubstantielle des partis de gauche et qu’« elle se trouve sur la défensive ». Il n’est pas contraire à la réalité qu’elle tourne, trop souvent, le dos à ce principe. Nous pouvons préciser que la gauche se fourvoie en abandonnant la laïcité à la droite qui la détourne.

Gestation de la loi de 1905

Il analyse les controverses et débats profonds qui ont présidé à l’adoption de la loi du 9 décembre 1905. De ces débats ont émergé ce qui peut s’apparenter à diverses interprétations du principe de laïcité. Cependant, la formule « laïcité séparatiste » employée par Jean Baubérot pour qualifier ses « troisième et quatrième types de laïcité » est dépourvue de pertinence, car la loi de 1905 se définit elle-même comme un principe de séparation. De plus, ce principe de séparation est antérieur à la loi de 1905 — ce que ne dit pas J. Baubérot. Il sert à Quinet pour définir dès 1850 les institutions laïques et l’école laïque. On le retrouve sous le Commune de Paris et dans les combats qui ont mené aux lois scolaires des années 1880 ayant séparé l’Église et l’École.

Clemenceau exprime une laïcité ainsi :

[La] séparation de l’Eglise et de l’Etat [doit avoir] lieu dans des conditions de libéralisme telles qu’aucun Français qui voudrait aller à la messe ne puisse se trouver dans l’impossibilité de le faire(1)Débats parlementaires, site https://laicite.laligue.org/..

Jean Jaurès se situe dans cette conception.

Une autre laïcité est celle qui, selon l’auteur, « privilégieraient dans un cas le combat antireligieux et [dans l’autre] la construction [d’un] gallicanisme interventionniste » comme ce fut le cas sous l’Ancien régime d’absolutisme monarchique.

Il évoque une laïcité de « conception individualiste et stricte » et une « collective et inclusive ».

Les « nouvelles » laïcités

M. Baubérot évoque de supposées nouvelles laïcités qui étaient absentes lors des débats de 1905 :

Il insinue ainsi que la loi de 1905, du fait de nouvelles religions, devrait être amendée.

Du Concordat en Alsace-Moselle

L’auteur cite la « laïcité » de l’Alsace-Moselle qui écarte la laïcisation de l’école publique et la séparation des Eglises et de l’Etat de 1905. Ce faisant, il affirme que le Concordat serait une laïcité, alors qu’il sape le postulat du principe de laïcité notamment le fait que la République ne subventionne aucun culte et ne salarie aucun ministre du culte. Pourtant, J. Baubérot qualifie sa « septième laïcité » de « laïcité concordataire » alors que ce droit local est contraire aux lois scolaires des années 1880 et à la loi de 1905. Il affirme faussement que le Conseil Constitutionnel, en 2013, aurait admis sa légitimité. L’auteur oublie que le régime local, notamment les rapports entre l’Etat et les quatre cultes concordataires, est un régime transitoire.

 Ainsi, « la législation républicaine antérieure à l’entrée en vigueur de la Constitution de 1946 a consacré le principe selon lequel, tant qu’elles n’ont pas été remplacées par les dispositions du Droit commun ou harmonisées avec elles, des dispositions législatives et réglementaires particulières aux départements du Bas-Rhin, du Haut-Rhin et de la Moselle peuvent [possibilité] demeurer en vigueur ». « … ces dispositions particulières ne peuvent être aménagées que dans la mesure où les différences de traitement qui en résultent ne sont pas accrues et que leur champ d’application ne soit pas élargi. »

S’en suit, et c’est en contradiction notable avec l’affirmation de M. Baubérot, le commentaire officiel qui précise que « l’existence du Droit local alsacien-mosellan n’est directement rattachable à aucune norme constitutionnelle expresse(2)Source : http://www.conseil-constitutionnel.fr ; cité par Michel Seelig, in « Vous avez dit Concordat ? ».. Ainsi « les lois de 1919 et 1924 revêtaient… un caractère transitoire devant conduire à la résorption progressive des particularismes. ». De plus, « les pouvoirs législatifs ou réglementaires ont tout loisir de [les] abrogerpour [les faire évoluer] vers le Droit commun. »

Une laïcité antireligieuse

L’auteur s’appuie sur les positions du député socialiste Maurice Allard (1860-1942) qui conçoit la séparation des Eglises et de l’Etat comme une arme pour diminuer « la malfaisance de l’Eglise et des religions… obstacles permanents au progrès et à la civilisation. » Ce n’est pas parce qu’un député défend une telle position que cela correspond à une variante parmi d’autres de la laïcité. Ce serait contraire à la liberté de conscience.

Laïcité et athéisme

L’auteur se réfère à Michel Onfray qui estimerait (conditionnel) qu’il y a égalité entre athéisme et laïcité. Il rejoindrait en cela la position du Secrétariat à l’enseignement catholique qui estime que s’il y a un enseignement laïque de la morale, il faut en parallèle un enseignement de la morale religieuse. Les deux se trompent : ni les régimes sous influence soviétique ni les régimes des Talibans, des Mollahs et autres sont des régimes laïques, mais pour les premiers athées et pour les suivants des théocraties. L’auteur abuse en désignant cette confusion comme une laïcité.

L’auteur poursuit avec la laïcité de Jean-Jacques Rousseau qui en fait une religion civile, le gallicanisme des rois de France, du 1er Empire et de dirigeants de la IIIe République qui visent à contrôler l’Eglise. Ce sont des positions qui régissent les relations de l’Etat avec les Eglises plus qu’un régime de laïcité.

Exigences supplémentaires au XXIe siècle

Certains, comme le précise Jean Baubérot, souhaitent que soient mises en œuvre des exigences supplémentaires qui souvent n’ont rien à voir avec le principe de laïcité, comme la neutralité religieuse à l’université et dans les entreprises, l’interdiction du port du voile partout, dans tout organisme bénéficiant de financement public, même s’il n’a pas de mission de service public. C’est une extrapolation qui conduit à une laïcité « identitaire » qui ne vise souvent qu’une seule religion. Toute discrimination à l’égard d’une personne ou d’un groupe de personnes en raison de leur origine, de leur ethnie ou de leur conviction spirituelle, athée ou agnostique invalide le triptyque républicain.

Là où nous ne pouvons suivre Jean Baubérot, c’est lorsqu’il fustige l’interdiction du port de signes religieux ostensibles à l’école publique pour les élèves. Le législateur ne veut ostraciser aucune religion. Il veille à ne pas enfermer les élèves dans des dogmes afin qu’ils puissent construire leurs consciences dans le cadre le plus libre et le moins contraignant possible. L’interdiction de signe religieux ne vise en aucune manière l’expression par les élèves de leurs convictions personnelles, à condition qu’ils les expriment sur un mode fanatique dénué de toute volonté de prosélytisme.

Les « nouvelles » laïcités

Une conception libérale et adogmatique de la laïcité

La laïcité qui ressort des débats qui ont abouti à la loi de 1905 peut être définie ainsi : liberté de penser comme émancipation face à toute doctrine englobante, à l’aide des instruments fournis par la raison et la science. C’est la liberté de conscience qui surplombe tout et permet la liberté de religion. La loi de 1905, comme la défendaient Aristide Briand et Jean Jaurès, est un régime de liberté et de mise à distance des religions, tout en garantissant la liberté de culte. Jean Baubérot a beau estimer qu’il y aurait sept laïcités, nous ne pouvons le suivre sur ce terrain. La seule laïcité est celle en rapport avec la loi du 9 décembre 1905, qui fait que la République laïque s’abstient de définir ce qu’est « la vie bonne » et n’impose que le respect de l’ordre public, à savoir sécurité des biens et des personnes, santé publique et tranquillité publique et les principes comme la liberté de conscience.

Nous ne voulons ni de la fausse laïcité de droite ou d’extrême droite hier dirigée contre les Juifs aujourd’hui contre les musulmans, ni de la fausse laïcité de complaisance à l’égard des prescriptions alimentaires, vestimentaires et patriarcales de l’islam intégriste chères à une partie de la gauche, ni de la fausse laïcité concordataire qui bafoue l’égalité de traitement entre toutes les options spirituelles au profit des quatre religions « reconnues » sous le 1er Consul Bonaparte puis l’Empereur Napoléon 1er.

Notes de bas de page[+]

Notes de bas de page
1 Débats parlementaires, site https://laicite.laligue.org/.
2 Source : http://www.conseil-constitutionnel.fr ; cité par Michel Seelig, in « Vous avez dit Concordat ? ».
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