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Dérive néo-concordataire ou laïcité émancipatrice ?

Le mot "Laïcité" symbolisé sur un tableau d'école

Dans son blog Médiapart, Jean Baubérot, intellectuel français connu dans le domaine de la laïcité et dans la nébuleuse communautariste, a réagi le 11 décembre 2024 à l’article de Pierre Hayat paru dans la lettre 1123 du 8 décembre 2024 de ReSPUBLICA. Outre le titre du billet (« Pierre Hayat et le recours à l’histoire de la laïcité multipliant les contre-vérités »), la tonalité violemment agressive à caractère diffamatoire du texte est résumée par Jean Baubérot lui-même : « Un dicton affirme : ‘Calomniez, calomniez, il en restera toujours quelque chose… ». ReSPUBLICA propose d’éclairer ses lecteurs d’une réponse de Pierre Hayat qui tranche avec la charge hargneuse de J. Baubérot, en associant rigueur intellectuelle et engagement laïque. Les affirmations de J. Baubérot seront réfutées sans complaisance mais sans sarcasmes ni mépris. Pour la clarté de la discussion, six thèmes évoqués par Jean Baubérot sont examinés selon le même modèle, en considérant : 1 Ce qu’a écrit Pierre Hayat ; 2 Ce que Jean Baubérot en a restitué ; 3 Ce qu’on peut juger de cette restitution ; 4 Ce qu’on peut juger des enjeux de l’attaque de monsieur Baubérot.

I LA LOI DE 1905 ET LES COMPROMIS DE DERNIERS MOMENTS

1 P. Hayat a écrit : « On limite souvent l’origine de la loi de 1905 à des compromis de derniers moments au bénéfice des ‘libéraux’ et au détriment des ‘anticléricaux’. Cette représentation à courte vue fait oublier que la loi de 1905 trouve sa source historique profonde dans la Révolution et la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789, ainsi que dans les combats républicains du XIXe siècle. » En note, P. Hayat a précisé : « Dans la réalité, les positions des principaux protagonistes furent complexes et évolutives. Elles ne sauraient sans simplisme trompeur être figées en une formule particulière ».

2 J. Baubérot a restitué : « Il est totalement archi-faux de parler ‘de compromis de derniers moments au bénéfice des libéraux et au détriment des anticléricaux’ ». En des termes moins brutaux, P. Hayat avait pourtant assuré qu’il convenait de ne pas s’en tenir aux polémiques passionnées et aux compromis de derniers moments qui ont conclu ces polémiques. Cela n’a pas empêché, J. Baubérot de laisser tomber le couperet : « De Laurent Bouvet à Pierre Hayat, on assiste à tout une entreprise révisionniste, visant à nier l’optique ‘libérale’ de la loi, qui s’avère contraire à toute probité historique. »

3 Jean Baubérot fait dire à Pierre Hayat le contraire de ce qu’il a écrit.

4 Le fond de la question est l’idée, soutenue par Pierre Hayat, d’un ancrage historique, politique et philosophique de la loi de 1905 dans l’universalité des droits de l’homme de la Révolution de 1789. Plus précisément, l’enjeu est l’idée que le peuple républicain, dans ses combats obstinés tout au long de XIXe siècle, est la véritable source de la loi de 1905 instauratrice d’une rupture avec la logique du Concordat. Libre à Jean Baubérot de ne pas partager cette double idée. Il aurait été plus simple de sa part de le dire directement.

II LA LOI DE 1905 ET LE CONCORDAT

1 Pierre Hayat a écrit : « Comme l’indique son intitulé, la loi de 1905 institue une ‘séparation’ entre les Églises et l’État. En cela, elle rompt avec le Concordat de 1801 ».

2 Jean Baubérot a restitué : « Pierre Hayat a écrit que la loi de 1905 rompt ‘avec le Concordat de 1801’. J’ai éclaté de rire : L’erreur est commune mais (…) Mais cette vision des choses n’est en rien celle des auteurs de la loi. Celle-ci, en son article 44, abolit « la loi du 18 germinal an X », où 8 avril 1802, où ledit Concordat + les articles organiques du culte catholique et des cultes protestants étaient devenus « une des lois de la République ».

3 P. Hayat est remonté à la source historique (1801) du Concordat instituteur d’une logique juridico-politique avec laquelle la loi de 1905 a rompu. La logique concordataire est celle d’une entente contractuelle entre l’État et le Vatican. Dans un ouvrage de référence(1)Jean-Paul Scot, « L’État chez lui, l’Église chez elle », Comprendre la loi de 1905, éditions du Seuil, 2005., l’historien Jean-Paul Scot ne voit pas d’enjeu politique et historique à distinguer les dates de 1801 et 1802. Il pointe en revanche une erreur de Jean Baubérot sur le Concordat(2)Ibid., p. 66.. En outre, il rappelle à juste titre que le Concordat ne proclame pas le principe de la liberté de conscience et que l’Église catholique joue un rôle proprement politique en intervenant directement dans les affaires de l’État(3)Id.. On notera enfin que Pierre Hayat a longuement développé dans son article que la loi de 1905 a instauré un principe tout autre que celui du Concordat : le principe de séparation des Églises et de l’État. Mais Jean Baubérot a omis de le mentionner.

4 À l’inverse de P. Hayat, J. Baubérot ne considère pas que le principe de laïcité institué par la loi de 1905 rompe avec celui du Concordat. Il estime, en effet, que le meilleur de la laïcité est de nature concordataire. Dès son ouvrage paru en 1990 au titre évocateur : Le nouveau pacte laïque, il a défendu l’idée trompeuse d’une laïcité de nature contractuelle. Dans un autre livre paru en 2015, il a inventé la formule contradictoire de « laïcité concordataire », en la plaçant en haut de l’échelle des « sept laïcités françaises » qu’il a dénombrées. De même a-t-il placé, en une formule également contradictoire, la « laïcité séparatiste » au bas de cette même échelle. Sur cet autre livre, on se reportera avec profit à l’analyse fouillée de Philippe Duffau(4)https://www.gaucherepublicaine.org/respublica-laicite/respublica-combat-laique/confusionnisme-en-laicite/7436776.

III LA SÉPARATION DANS LES LOIS SCOLAIRES DE LA IIIe RÉPUBLIQUE

1 P. Hayat a écrit :« La loi de 1905 n’aurait pas vu le jour sans les lois scolaires des années 1880 qui ont opéré la séparation de l’Église et de l’École » ».

2 J. Baubérot a restitué : « Je relèverai le propos d’Hayat : ‘ La loi de 1905 n’aurait pas vu le jour sans les lois scolaires des années 1880 qui ont opéré la séparation de l’Église et de l’École’. En fait c’est la séparation des Églises -mais dans la catho-laïcité d’Hayat, il n’en existe qu’une : l’Église catholique ! et de l’École publique ».

3 Dans son important ouvrage La séparation de l’Église et de l’École, l’historien Pierre Chevallier montre que les lois scolaires de la IIIe République se sont imposées dans le cadre du Concordat(5)Pierre Chevallier, La séparation de l’Église et de l’École. Jules Ferry et Léon XIII, 1981, Fayard. Voir également https://books.openedition.org/pur/24724?lang=fr.

Comme l’indique le titre de cet ouvrage, on ne parlait pas avant la loi de 1905 des « Églises », car on s’en tenait à la situation factuelle(6)Dans sa recension en 1982 de l’ouvrage de Pierre Chevallier, Odile Rudelle souligne notamment que l’auteur a dénoncé le « double langage » du pape durant toute la période qui sépare les lois des années 1880 de la loi de 1905. https://www.persee.fr/doc/rfsp_0035-2950_1982_num_32_2_396160_t1_0286_0000_001. En l’occurrence, les écoles protestantes étaient laïques, car elles ne dispensaient pas d’enseignement religieux. Quant aux écoles juives, elles étaient devenues peu après la Révolution française des écoles publiques laïques. A la fin du XIXe siècle, on comptait une école privée juive, implantée à Paris. On notera également que dans son ouvrage sur La séparation des Églises et de l’État, Jean-Marie Mayeur cite à plusieurs reprises Jaurès qui, en pleine période des polémiques passionnées qui ont précédé le vote de la loi de Séparation, use du terme « Église » au singulier, dans La Dépêche du 15 août 1905 : « Il est temps, écrivait Jaurès, que ce grand mais obsédant problème des rapports de l’Église et de l’État soit enfin résolu »(7)Cité par Jean-Marie Mayeur, La séparation des Églises et de l’État, Les éditions ouvrières, 1991, p. 2.. Jaurès ne parlait que de l’Église catholique qui était très largement le principal obstacle auquel les laïques étaient confrontés. C’est seulement à partir de la loi du 9 décembre 1905, qui formalisera juridiquement la séparation comme principe d’organisation politique, que le terme « Église » sera employé au pluriel pour désigner toute organisation religieuse, quelle qu’elle soit, présente et à venir. Il ressort de l’examen de son attaque infondée que Jean Baubérot s’embrouille avec l’histoire.

4 Le fond de la question est la manière d’appréhender les lois scolaires de la IIIe République qui furent produites sous le régime concordataire. Selon Pierre Hayat, ces lois ne sont pas seulement factuellement antérieures à la loi de 1905. Aujourd’hui encore, elles représentent bien davantage qu’un secteur parmi d’autres de la laïcité générale, l’école étant un lieu d’instruction. Les trois circulaires Zay de 1936 et 1937 et la loi de 2004, sont, d’après P. Hayat, héritières directes de la laïcité scolaire de la IIIe République, sans pour autant contrevenir à la loi de 1905. Il est dommage que Jean Baubérot n’ait pas explicité son point de vue sur cette question cruciale dans nos débats contemporains de la singularité de la laïcité scolaire.

À suivre.

Notes de bas de page[+]

Notes de bas de page
1 Jean-Paul Scot, « L’État chez lui, l’Église chez elle », Comprendre la loi de 1905, éditions du Seuil, 2005.
2 Ibid., p. 66.
3 Id.
4 https://www.gaucherepublicaine.org/respublica-laicite/respublica-combat-laique/confusionnisme-en-laicite/7436776
5 Pierre Chevallier, La séparation de l’Église et de l’École. Jules Ferry et Léon XIII, 1981, Fayard. Voir également https://books.openedition.org/pur/24724?lang=fr
6 Dans sa recension en 1982 de l’ouvrage de Pierre Chevallier, Odile Rudelle souligne notamment que l’auteur a dénoncé le « double langage » du pape durant toute la période qui sépare les lois des années 1880 de la loi de 1905. https://www.persee.fr/doc/rfsp_0035-2950_1982_num_32_2_396160_t1_0286_0000_001
7 Cité par Jean-Marie Mayeur, La séparation des Églises et de l’État, Les éditions ouvrières, 1991, p. 2.
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