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« Iranien » film de M. Tamandon : une pédagogie de la laïcité ?

Que se passe-t-il quand un athée et un croyant se rencontrent ? Prenons une société ressemblant à la nôtre : se croisant dans un café, dans un salon, ils vont échanger des idées et expériences de vie, parler de leur éducation, de leurs lectures, de foi ou de raison… et il est probable qu’ils se quitteront sans que cette interaction ait fait changer des convictions déjà ancrées. Supposons en revanche que la rencontre soit organisée, dans un cadre par exemple œcuménique ou philosophique : le but premier sera alors de comprendre le point de vue de l’autre avec, secondairement, l’idée de le convaincre et d’infléchir ses opinions. Nous serons alors dans le cadre d’une sorte de disputatio où des gains sont attendus pour l’un ou l’autre camp.
Ce préambule pour expliquer l’état premier d’étrangeté dans lequel le film en question peut nous plonger, car il relève selon les moments de l’un et l’autre genre, soit de l’échange humain intime et non dénué de complicité, soit d’un affrontement assez âpre.
Prenons en effet un pays d’ancienne civilisation, l’Iran, où ont existé de multiples formes de tradition religieuse, puis la sécularisation. Depuis l’avènement de la République islamique en 1979, c’est un pays où la notion d’athéisme n’est plus reconnue. Nombre de citoyens athées ou opposants se sont exilés, d’autres, vivant en Occident comme Mehran Tamadon, continuent de questionner leur pays d’origine. Ce réalisateur-documentariste a déjà réalisé un moyen-métrage documentaire, Behesht Zahra, Mères de martyrs (2004) et un premier long-métrage, Bassidji (2009), consacré aux milices de la République islamique, interrogées de l’intérieur. Les difficultés et intimidations qu’il a rencontrées alors avec le régime, l’ont convaincu de se tourner vers des interlocuteurs plus ouverts, des mollahs de l’école de Qom.
En effet, Tarandon veut « exister dans une société qui [le] nie et dire ce qu'[il] pense » : « Si je veux un espace de parole, j’utilise ma caméra comme une espace qui me permet de créer des rapports de forces plus égalitaires ». C’est ainsi qu’il a fini par convaincre quatre religieux de passer deux journées dans sa maison pour débattre du « vivre ensemble ». Les scènes ou plans qui montrent la mise en œuvre et la quotidienneté de l’entreprise sont significatives : inviter les épouses ou non (elles viendront finalement mais ne seront montrées qu’en arrière-plan domestique), les règles de l’hospitalité et la politesse, la sieste, les repas…
Le démarrage est difficile : quand Tarandon parle de définir un « espace public », ses interlocuteurs rétorquent qu’il cherche à leur imposer une « idéologie ». Une longue discussion est consacrée à la femme voilée, qui permet de définir les propositions suivantes : 1/ il s’agit de respecter la pudeur et liberté de la femme : les deux sexes sont également libres, borner cette liberté, c’est la dictature de l’athée occidental ; 2/ ce que les hommes doivent viser pour respecter les femmes, c’est le contrôle de leurs pulsions ; 3/ il n’y a pas que le voile mais la dissolution de la famille qui détruit la société. Et puis si la femme ne s’excite que lentement et l’homme rapidement (c’est la testostérone, sic) que faire ? Je vous laisse deviner qui dit quoi…
Les questions purement « théologiques » sont absentes sinon par de brèves allusions des croyants, mais la question féminine reviendra sur la fin, lorsque le réalisateur après avoir testé la compatibilité de livres ou de représentations de personnages, propose sous forme de jeu pratique de tester les formes musicales acceptables dans son « espace public » : la voix de la femme est aussitôt qualifiée par les mollahs de voix qui excite, c’est pourquoi elle doit rester à l’arrière-plan des voix masculines.
J’avoue que de voir et entendre énoncer aussi tranquillement ce genre de propos, sans qu’il semble y avoir la moindre perspective d’évolution dans les têtes enturbannées présentes dans le film, est assez décourageant face à l’entreprise du réalisateur. Car le reste n’est pas de meilleur augure, en particulier sur le chapitre de la démocratie : l’argument du 98 % de votes en faveur de la République islamique dût-il être imparable, la question de la démocratie trouve chez les mollahs un nouvel argument : à quoi bon envisager une société idéale (« laïque, libérale », propose Tarandon), alors que la loi préétablie a déjà fait ses preuves…
Au fil de ces 48 heures, le spectateur assiste à une partie (au sens sportif) ritualisée grâce à la bonne volonté des participants mais non dénuée de tensions. A cet égard, c’est un bon exemple des premiers degrés d’un échange à construire avec ceux qui sont enclins à ne pas reconnaître les droits de la minorité pour parvenir à une pratique de la tolérance, mais il nécessitera d’expliquer la différence entre tolérance et laïcité, ce que ne fait pas le film…
A noter :

La bande-annonce du film ici : http://youtu.be/OXRQzlqBEYQ?list=PLK5yJevCP5ZBBkYpRQLbbgtj-hC855Bjw

Un dossier de presse est disponible sur le site du distributeur ZED : http://www.zed.fr/cinema/distribution/movies/19/iranien

Un dossier pédagogique rédigé par un professeur de philosophie est en ligne ici : http://www.zerodeconduite.net/iranien

Liste des avant-premières :

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