Marxisme, religions et laïcité

Il est parfois nécessaire, dans les époques troubles où certains peuvent perdre leurs repères et d’autres ajouter à la confusion des esprits, où une certaine extrême-gauche rejoint le terrain douteux anti-laïque, anti-républicain des intégristes religieux et du totalitarisme obscurantiste, de revisiter les textes fondateurs et historiques de ceux qui ont participé à la construction de la pensée socialiste et communiste, du matérialisme, du combat contre les oppressions, les féodalismes, l’exploitation de l’homme et de la nature.

Il est devenu aujourd’hui nécessaire, voire urgent, de procéder à ce retour réflexif pour contrer ceux qui, intentionnellement ou par confusion idéologique, confondent la lutte pour les opprimés, pour la justice sociale avec le soutien aux cultures oppressives et rétrogrades contre les Lumières.

L’amour du Peuple contre les oligarchies, de la République contre la Monarchie, c’est se battre pour les libérer des chaînes idéologiques qui les entravent et les instrumentalisent, des injustices qui les rabaissent, des intégrismes religieux qui les abrutissent, les maintiennent dans l’ignorance, la résignation et l’acceptation de leur oppression.

Karl Marx et Engels, contrairement à ce que certains curés d’un nouveau genre écrivent, avaient clairement analysé les religions comme l’opium des peuples qui les aident à supporter indéfiniment leur misère et leur condition d’opprimés, mais ce n’était pas pour défendre les religions ou les recommander comme moindre mal!

Le dogme, la pression idéologique et morale, le négationnisme anti-scientifique et la dictature par essence des religions « révélées » sont fondamentalement, par nature, opposées à la liberté de pensée, au libre-arbitre, à la connaissance scientifique (sauf à induire une forme de schizophrénie: la « Révélation » n’a aucun sens physique; « Dieu » n’est pas une hypothèse scientifique ni une explication du monde, de l’univers, des univers; le galimatias des textes et versets prétendument « sacrés », écrit par des humains pour imposer aux humains des pseudo-« vérités » et « lois divines » est contraire à l’élaboration critique de la pensée et de l’émergence de l’auto-gouvernement démocratique): ils constituent l’oppression religieuse.

Mais l’oppression n’est pas que religieuse; elle peut être sociale, économique, politique, écologique et à ce titre, toutes les idéologies sont des formes d’oppression, dans la mesure où elles inversent et maquillent plus ou moins sciemment la (les) réalité(s), masquent les causes, nient les oppressions et leurs conséquences.

Ceux qui défendent les religions, que ce soient celles des prolétaires ou des bourgeois, des immigrés ou des autochtones, participent de cette confusion idéologique et mentale, de cette oppression et font le jeu, volontairement ou par sophisme idéologique, des ennemis de la liberté, de l’égalité et de la fraternité.

Si Marx constate que « La religion est le soupir de la créature opprimée, l’âme d’un monde sans cœur », c’est en sociologue qu’il l’écrit, après de longues analyses sur les mécanismes de l’aliénation religieuse dans le prolétariat, non comme un soutien implicite à une introuvable nécessité de la religion comme expression des masses opprimées ! Je m’interroge sur les intentions de ceux qui détournent la pensée et les analyses profondes, argumentées, documentées de Marx et Engels en sortant une ou deux phrases de leur corpus. Si vous avez lu Marx et Engels, vous connaissez leur philosophie matérialiste et leur critique fondamentale des religions prétendument « révélées » (pas seulement chrétienne, mais judaïque et islamique).

Citons donc Marx et Engels pour éviter de leur faire dire le contraire de ce qu’ils ont dit:

« La bourgeoise « liberté de conscience » n’est rien de plus que la tolérance de toutes les sortes possibles de liberté de conscience religieuse, tandis que le parti ouvrier s’efforce de libérer les consciences de la fantasmagorie religieuses » (Marx, Neue Zeit, 1890-91, tome 1)

« En général, le reflet religieux du monde réel ne pourra disparaître que lorsque les conditions du travail et de la vie pratique présenteront à l’homme des rapports transparents et rationnels avec ses semblables et avec la nature. La vie sociale, dont la production matérielle et les rapports qu’elle implique forment la base, ne sera dégagée du nuage mystique qui en voile l’aspect, que le jour où s’y manifestera l’oeuvre d’hommes librement associés, agissant consciemment, et maîtres de leur propre mouvement social. » (Marx, Das Kapital)

« Seule, la connaissance réelle des forces de la nature chasse les dieux ou le dieu d’une position après l’autre. » (Engels, Anti-Dühring, 1876-1878)

A propos de Kriege et des « révolutionnaires religieux »: « Ces prophètes « enseignent » leurs disciples, qui se présentent ici avec une remarquable ignorance de leurs propres intérêts, de la meilleure façon « de travailler et jouir en commun », et cela non pour « travailler et jouir en commun », mais uniquement au contraire afin que l’Ecriture s’accomplisse et que quelques rêveurs d’il y a 1800 ans n’aient pas prophétisé en vain. » Mars et Engels, Circulaire contre Kriege, 1846, chapitre IV)

« Quand le monde antique était à son déclin, les vieilles religions furent vaincues par la religion chrétienne. Quand, au XVIIIème siècle, les idées chrétiennes cédèrent la place aux idées de progrès, la société féodale livrait sa dernière bataille à la bourgeoisie, alors révolutionnaire. Les idées de liberté de conscience, de liberté religieuse ne firent que proclamer le règne de la libre concurrence dans le domaine du savoir (…). Rien n’est plus facile que de donner une teinture de socialisme à l’ascétisme chrétien. Le christianisme ne s’est-il pas élevé lui auss contre la propriété privée, le mariage, l’Etat? Et à leur place n’a-t-il pas prêché la charité et la mendicité, le célibat et la mortification de la chair, la vie monastique et l’Eglise? Le socialisme chrétien n’est que de l’eau bénite avec laquelle le prêtre consacre le dépit de l’aristocratie. » (Marx, Engels, Manifeste du Parti communiste, ch II et III).

Pour finir, citons donc aussi la Critique de la philosophie du droit de Hegel un peu plus longuement:

« Cet Etat, cette société produisent la religion, conscience inversée du monde, parce qu’ils sont eux-mêmes un monde à l’envers. La religion est la théorie générale de ce monde (…), elle est la réalisation fantastique [au sens de fantasme, fantaisie] de l’être humain, parce que l’être humain ne possède pas de vraie réalité. Lutter contre la religion, c’est donc indirectement lutter contre ce monde-là, dont la religion est l’arôme spirituel. La détresse religieuse est, pour une part, l’expression de la détresse réelle et, pour l’autre, la protestation contre la détresse réelle. La religion est le soupir de la créature opprimée, l’âme d’un monde sans cœur, comme est l’est l’esprit de conditions sociales d’où l’esprit est exclu. Elle est l’opium du peuple. L’abolition de la religion en tant que bonheur illusoire du peuple est l’exigence que formule son bonheur réel. Exiger qu’il renonce aux illusions sur sa situation c’est exiger qu’il renonce à une situation qui a besoin d’illusions. La critique de la religion est donc en germe la critique de cette vallée de larmes dont la religion est l’auréole (…). C’est en premier lieu la tâche de la philosophie, qui est au service de l’histoire, une fois dénoncée la forme sacrée de l’auto-aliénation de l’homme, de démasquer l’auto-aliénation dans ses formes non-sacrées. » (Marx, Critique de la philosophie du droit de Hegel, 1843-1844)

C’est clair, net et précis: il faut cesser de faire croire à une compassion, voire un soutien de Marx aux aliénations religieuses.

Vive la Laïque et les Lumières! Vive l’égalité de tous et de toutes devant la loi humaine, égalité des femmes et des hommes, égalité des peuples, sans particularisme ni communautarisme diviseur, inégalitaire et anti-républicain. Contre la propagande religieuse, pour l’éducation scientifique et humaniste de toutes et tous, le partage du savoir, des connaissances et de l’histoire.