Le rapport du préfet Clavreul « Laïcité, valeurs de la République et exigences minimales de la vie en société » rompt heureusement avec le déni ou la sous-estimation de la réalité, entretenus depuis 10 ans par l’Observatoire de la laïcité. D’où les attaques de cet organisme (encadré ci-après). Sont ainsi confirmées les observations de terrain des militants laïques, que le rapport du Collectif laïque national relève chaque année. Le mérite du rapport Clavreul est de ramener au « principe de réalité ».
Les « manifestations d’affirmation identitaire inspirées par la religion se multiplient et se diversifient », quoique de façon hétérogène, géographiquement et socialement. L’islam « rigoriste », majoritairement impliqué, n’en a pas le monopole : extrémistes catholiques, évangéliques, juifs sont cités. Elles touchent « les activités en commun » scolaires, péri-scolaires, socio-éducatives, culturelles et sportives ; l’hôpital public. La volonté de séparation filles/garçons, hommes/femmes, et les exigences de nourriture rituelle en sont deux points forts. L’UFAL note que la question des tiers accompagnateurs de sorties scolaires est prudemment laissée de côté…
Quant à la contestation directe de la laïcité, elle se manifeste de façon inégale, mais bien réelle. Les jeunes sont touchés, mais également, relève le rapport, des personnels de l’éducation populaire et des collectivités locales (voire des formateurs du plan « valeurs de la République » !).
On se permettra de corriger ici deux erreurs juridiques, qui n’entachent pas fondamentalement le constat : 1) les assistantes maternelles à domicile (p. 10) ne sont pas des agents publics soumis à l’obligation de neutralité : elles exercent une activité privée et sont simplement « agréées » par le département ; 2) il ne peut exister (art. L 731-14 du code de l’éducation) « d’université » catholique (p. 11), ce titre étant réservé aux établissements supérieurs publics.
Le rapport regrette que les efforts de pédagogie de la laïcité et de la citoyenneté entrepris depuis 2015 aient tendance à s’essouffler, et que les acteurs potentiels s’y impliquent inégalement. La Charte de la laïcité de la Caisse d’Allocations Familiales, avec le dispositif mis en place dans ses services, est citée en exemple. De même que la ville de Rennes… ce que l’on trouvera beaucoup plus contestable, s’agissant d’une championne du financement des lieux de culte par les deniers communaux ! L’éducation nationale, notamment avec son nouveau ministre, est clairement engagée ; en revanche, souligne le rapport, le mouvement sportif se fait attendre.
Les propositions du préfet Clavreul suivent trois axes :
- « clarifier les objectifs » pour « mobiliser les acteurs ». Ainsi tous les agents de l’Etat devraient être formés à la laïcité d’ici 2020. De même, la laïcité pourrait être intégrée dans les épreuves du BAFA (fonctions de l’animation).
Sur le plan du contenu, Clavreul propose « d’assumer plus ouvertement les divergences d’approche » de la laïcité en s’efforçant de les « faire comprendre » de façon « distanciée ». Délicat, mais intéressant : c’est en tout cas la ligne suivie par l’UFAL en récusant les clivages du type « Valls vs Bianco » qui polluent le nécessaire débat républicain. La réaction agressive de l’ODL va exactement dans le sens contraire : à ce jour, JL Bianco a été rejoint par le Collectif contre l’islamophobie en France (les Frères musulmans), Edwy Plenel, Pascal Boniface : encombrants amis ! - décloisonner les actions sur la laïcité, en les reliant aux autres politiques de promotion des valeurs de la République : lutte contre les discriminations, le racisme, les dérives sectaires ; prévention de la radicalisation. Par exemple, le soutien de l’État à des projets ou évènements (subvention, agrément) pourrait être conditionné à « l’engagement de respecter et promouvoir » ces valeurs, notamment par la signature d’une Charte. Remarque de l’UFAL : attention à la rédaction de ces Chartes, compte tenu des précédents échecs (suspension de celle de la ville d’Aix-en-Provence par le juge des référés, sur recours de la Ligue des Droits de l’Homme, en septembre 2016).
- « raffermir » le pilotage local des actions de l’Etat et des collectivités, et les appuyer sur des « outils et modalités de travail souples », adaptés au « terrain » et « opérationnels » – par exemple une cartographie nationale des « situations problématiques » « dans le secteur sanitaire et social, et dans le milieu sportif ». Cette partie n’est pas toujours la plus convaincante du rapport, le vocabulaire technocratique sonnant parfois un rien creux, et la multiplication des « comités » proposés risquant d’affaiblir le « pilotage » revendiqué.
Ainsi une instance régionale présidée par un magistrat serait chargée d’établir un « corps de doctrine » sur les « atteintes à la laïcité » – que le rapport entend distinguer à bon droit de ce qui serait une « police de la pensée ». Au niveau départemental, l’ancien CORA (comité placé auprès du préfet, contre le racisme et l’antisémitisme : qui le connaît ?) serait transformé en « comité de pilotage départemental laïcité et valeurs de la République ». Malheureusement, il est proposé d’adjoindre à celui-ci un « comité d’orientation pour la promotion de la citoyenneté et des valeurs de la République » (redondance et empilement)… étendu aux « représentants des cultes » ! Là, le rapport fait fausse route : dans une République laïque, il ne peut y avoir de « représentants », mais seulement des « responsables » des cultes. Et ils ne sauraient faire partie en tant que tels d’organes publics : en revanche, il est bien sûr loisible à ces derniers de les auditionner en tant que de besoin.
Quoi qu’il en soit, les propositions du rapport pointent bien en creux les insuffisances ou le manque de concrétisation des dispositifs et mesures actuels… y compris l’action de l’ODL, d’où les critiques acerbes de J.L. Bianco, qui défend son pré carré : ferait-il partie du « vieux monde » ? Sans nourrir trop d’illusions, compte tenu des ambiguïtés de la macronie en matière de laïcité, saluons au moins l’ouverture du débat au cœur des services gouvernementaux, et souhaitons que ce rapport ne soit pas enterré.