La laïcité a des objectifs ambitieux et indissociables : liberté de conscience, égalité des personnes indépendamment de toute considération de croyance, de sexe ou d’origine, construction d’un avenir commun dans un pays où l’accueil des différences se fait dans le respect des valeurs de la République. La laïcité est un instrument de cohésion sociale et un engagement contre toute forme de discrimination. Elle impose d’être plus clair que ne le sont les partis de gauche, ainsi que nombre d’intellectuels.
Refuser la discrimination n’implique pas de s’aligner sur le modèle anglo-saxon du droit à la différence, qui oppose les minorités et favorise le communautarisme. Certains dans notre pays (Indigènes de la République, Cran) voudraient pourtant le promouvoir. Pour ceux-ci, comme pour l’extrême gauche, l’ethnocentrisme parfois «racialiste», qui a servi d’idéologie à la domination coloniale, sert à la contestation de tout universalisme. Reconnaître les différentes cultures, ce n’est pas pour autant prôner un multiculturalisme porteur de survalorisation des apparences culturelles ou religieuses.
La liberté d’expression doit prévaloir, mais il est vital d’affirmer par la législation l’idéal universaliste de la laïcité face aux prétentions communautaristes des groupes de pression politico-religieux, qui souhaitent pour les uns (certains salafistes) abattre la République et pour les autres (l’UOIF) imposer une vision non laïque de l’organisation de la société. C’est le cas aussi de ceux qui veulent restreindre le débat citoyen (mariage pour tous, PMA, avortement, contraception, fin de vie). C’est aussi la position de Nicolas Sarkozy, pour qui seule la culture chrétienne est compatible avec la laïcité.
Ces rétrogrades, mais aussi tous les partisans d’une laïcité adjectivisée (ouverte, positive) veulent limiter la liberté d’expression au nom d’une prétendue tolérance envers les religions. La tolérance, c’est tout autre chose : des citoyens émancipés, qui se respectent en confrontant des idées opposées. Pour permettre, en toute sérénité, l’apprentissage citoyen par l’appropriation du savoir, et afin de préserver les élèves des pressions religieuses, il était nécessaire d’interdire les signes et tenues religieux ostensibles à l’Ecole. Certains jeunes élèves, influencés par les organisations les plus radicales, tentent de contourner la loi en portant des vêtements religieux qu’ils proclament comme culturels. Le ministère de l’Education nationale doit soutenir les chefs d’établissement avant que ce mouvement concerté prenne de l’ampleur.
A l’université, les pressions se font de plus en plus fortes empêchant certains enseignants d’assurer leurs cours. Il est urgent de pouvoir protéger leur enseignement des oukases religieux et communautaires. Les groupes religieux testent l’Etat en demandant des accommodements de plus en plus larges qu’il faut endiguer. La Cour de cassation, dans l’affaire Baby Loup, a estimé qu’une entreprise privée ou une association pouvait aussi restreindre «la liberté de ses salariés de manifester leurs convictions religieuses sur leur lieu de travail» si cela était justifié par «la nature du travail à accomplir» et si la mesure «était proportionnée au but recherché». Voilà, pour l’essentiel, les seules restrictions nécessaires : défendre la liberté de conscience ne doit pas se confondre avec l’interdiction de toute expression religieuse sur la voie publique. Vouloir, comme le Front national, réduire l’expression religieuse au domaine de la stricte intimité, confondre l’égalité avec l’uniformité, l’intégration avec l’assimilation, est contraire aux valeurs de la République. Cela n’empêche pas le combat idéologique contre les plus rétrogrades : le droit incontestable des femmes de porter le foulard sur la voie publique n’interdit pas d’affirmer que cette prescription sous-tend l’enfermement communautaire des femmes.
Pour les enfants égarés de la République, la religion est souvent l’affirmation d’une identité de substitution, fondée sur le ressentiment, le repli et parfois la radicalisation. L’enjeu est donc l’appropriation des valeurs de la République à l’Ecole. Pour cela, celle-ci doit couvrir tous les champs du savoir, du questionnement scientifique y compris l’histoire des faits religieux. L’école doit mieux prendre en compte les différents apports à notre mémoire nationale (immigration), traiter de la colonisation, évoquer les difficultés de l’intégration. Les enseignants doivent adapter leur pédagogie, car il est plus efficace de faire-valoir les apports scientifiques face aux «vérités» révélées en favorisant l’échange, la confrontation.
Mais nous ne pourrons faire vivre la promesse républicaine sans combattre toutes les fractures de la société, ethniques, culturelles et économiques. Car le discours sur la laïcité, sur l’école émancipatrice, sur l’égalité ne sera entendu, notamment par ceux influencés par la radicalisation religieuse ou par l’extrême droite, que si nous réussissons à réinvestir tous les territoires en déshérence où règnent la ghettoïsation, la relégation et un sentiment d’abandon. La gauche doit se retrouver sur ces valeurs communes : laïque, sociale, fraternelle et protectrice.