Le 12 août 2022, intervenant lors d’une conférence dans l’État de New York, Salman Rushdie, connu pour la rédaction des Versets sataniques et surtout pour être l’objet d’une « fatwa »(1)Une fatwa est un avis juridique donné par un spécialiste de la loi islamique, autrement dit une « autorité religieuse », sur une question particulière. Une fatwa n’énonce pas forcément une condamnation. de la part de l’ayatollah Khomeini qui, en 1989, appela à abattre l’auteur du roman.
Du droit au blasphème
Il s’appuyait, pour cela, sur le caractère, jugé par les musulmans les plus intégristes, blasphématoire à l’égard du Coran de ce livre. Certains, qui croient ainsi défendre de Salman Rushdie, considèrent que les Versets sataniques n’ont rien de blasphématoire. C’est possible, mais là n’est pas la question, car, poser en ces termes, c’est saper la pensée profonde de Salman Rushdie. En effet, cela voudrait signifier que la religion devrait être « respectée » en ce sens qu’elle devrait être épargnée par la critique restreignant d’autant la liberté d’expression qui doit primer. Pour reprendre l’expression du député Alexis Corbière, « la liberté d’expression, et donc celle de critiquer toutes les religions, n’est pas négociable » et il rendait responsables, de cet acte, les fanatiques religieux. Il aurait pu aller plus loin, bien que ce fanatisme ne soit pas l’apanage des seuls intégristes islamistes, car les suprémacistes chrétiens et blancs ne sont pas en reste aux USA, en précisant que, en l’occurrence, les prêches poussant ou couvrant la tentative d’assassinat viennent de certains imams. Pour enfoncer le clou, il est utile également de reprendre l’explication de l’ancienne journaliste du New York Times, Bari Weiss, selon laquelle, l’obsession culturelle de ne pas offenser est en partie responsable de l’attaque contre l’écrivain, obsession qui fait florès dans le monde anglo-saxon qui, souvent, n’a pas de mots assez durs pour vilipender et caricaturer la laïcité dans son acception française. Cette obsession explique en partie le peu de réactions ou les réactions plus que timorées des politiciens anglo-saxons (USA et Royaume-Uni).
De même, il serait erroné de se focaliser sur le seul fondamentalisme iranien et du Hezbollah pour lequel l’agresseur libanais nourrit une certaine fascination. Les deux branches intégristes et ennemies de l’islam, sunnite et chiite, sont également marquées par l’organisation d’attentats. Certains établiraient-ils une distinction entre les deux branches parce que l’Occident entretient des relations faustiennes avec les émirats, avec l’Arabie saoudite au point que la France envoie des forces de l’ordre pour aider le Qatar, pays accueillant la prochaine Coupe du monde, à garantir l’ordre alors que des milliers de travailleurs sont décédés lors de la mise œuvre des infrastructures sportives ?
S’interroger sur le terreau qui a permis la montée en puissance du terrorisme islamiste est également indispensable.
Spinoza disait : « Ni rire ni pleurer, mais comprendre ». Il ne s’agit certainement pas, ce faisant, d’absoudre les auteurs de ces actes barbares et ignobles, mais d’essayer d’en déterminer les causes afin de mieux les combattre et d’assécher la source. C’est une invite à, certes exprimer notre légitime émotion face à de tels actes, mais aussi à retrouver leur généalogie. Le capitalisme financier, le libre-échange débridé, la libre circulation des capitaux pour mieux mettre en concurrence les travailleurs du monde entier qui provoquent misères, famines, destruction des services publics et de la notion de bien commun, rendent audibles par les populations paupérisées les discours odieux de religieux qui s’arrogent la prétention de parler au nom d’un dieu hypothétique pour mieux établir un régime totalitaire et théocratique.
Assécher la ou les sources des intégrismes religieux
Il s’agit de combattre un système économique fondé sur l’accumulation du capital, le marché sans contrainte et régulation avec pour conséquence les riches de plus en plus riches et les pauvres de plus en plus pauvres et proposer une alternative plus juste socialement et économiquement. Les tenants de la moraline(2)Source Wikipédia et Michel Onfray qui l’utilise souvent : pour Friedrich Nietzche, la moraline désigne la morale dominante et bien-pensante, d’origine judéo-chrétienne, qui relève du conservatisme religieux ou du conformisme bourgeois. Ce serait une forme dégradée de la morale qui imposerait des règles formelles et culpabilisantes. Aujourd’hui, on parlerait plutôt de « Morale de la pensée unique ». se contentent de qualifier le terrorisme de barbare, de monstrueux, d’atroce, de sauvage… et ce, à juste raison, mais ne prolongent pas leur réflexion au-delà en se posant la question : quelles sont les conditions qui conduisent à de tels comportements.
Pour mener ce combat, le partage d’une intelligence à la fois individuelle et collective et rationnelle est indispensable afin que l’esprit critique soit dominant. C’est là le rôle, la mission essentielle de l’école publique qui doit former des esprits libres et non les conformer à des dogmes religieux, idéologiques, politiques ou économiques, qui doit former des citoyens conscients et émancipés. Cela sera beaucoup plus efficace que toutes les mesures de police, certes indispensables, mais insuffisantes, car ce sera dans les têtes bien formées et non déformées que s’érigeront les antidotes aux obscurantismes religieux des intégristes de l’islam ou de toute autre religion. Encore faut-il clairement confier une telle mission à l’école publique et surtout lui donner les moyens humains et matériels de la remplir. Cela signifie viser l’égalité, non pas l’égalitarisme qui abaisse le niveau général intellectuel et culturel de la majorité (le meilleur moyen pour le système inégalitaire économique actuel de se maintenir), mais l’aristocratisation de toutes et tous par une élévation généralisée du niveau culturel et intellectuel.
Les propos de la maman de l’agresseur islamiste, rapportés par Marianne (n° 1327), le confirment : « Il dort le jour et se réveille et mange la nuit. Il habite au sous-sol. Il cuisine sa propre nourriture. Une fois, il s’est disputé avec moi et m’a demandé pourquoi je l’avais encouragé à faire des études plutôt qu’à se concentrer sur la religion ».
Ne pas tomber dans le piège manichéiste du bien et du mal, de la simplicité outrancière
Il est facile de deviner que certains à droite pourraient en profiter pour affirmer que l’islam serait incompatible avec la République laïque alors que le christianisme le serait par essence. C’est oublier rapidement les combats acharnés face à la hiérarchie catholique et vaticane pour mettre en œuvre les lois scolaires laïques Ferry et Goblet des années 1880 et la loi du 9 décembre 1905, dite de séparation des églises et de l’État. Il est tout autant regrettable qu’une partie de la gauche trouve toutes les excuses à des pratiques liberticides et patriarcales des islamistes les plus rigoristes sous prétexte que ce serait la religion des déshérités, des colonisés. C’est oublié un peu vite les multimilliardaires du pétrole qui n’ont que faire du droit des travailleurs et des femmes dans leurs pays et que l’islam est tout autant compatible avec l’ultralibéralisme que toutes les autres religions abrahamiques.
Toutes les religions sont a priori compatibles avec la République laïque du moment que les fidèles conservent les éléments qui prônent l’amour, la paix, l’empathie avec les autres y compris celles et ceux qui pensent autrement, se refusent à imposer leur vision du monde et de ce que devrait être « la vie bonne » et écartent les aspects guerriers, intolérants, totalitaires qui empêchent le « vivre ensemble » et la délibération collective dans un cadre laïque base de toute démocratie et qui permet les débats et les controverses les plus fermes et approfondies, parfois virulentes.
Pour conclure cet article, il est intéressant de citer des propos de Salman Rushdie qui explique cette haine des intégristes religieux de tous poils à son égard comme à l’égard de tous celles et ceux qui se retrouvent peu ou prou sur la même longueur d’onde. Cet extrait donne un éclairage intéressant sur la notion d’identité.
Extrait du prochain livre de Salman Rushdie sous forme de nouvelles et de potins littéraires : ne pas réduire les gens à leurs origines ou supposées identités de naissance
Nous vivons une époque où l’on nous somme de nous définir de plus en plus étroitement, de comprimer notre personnalité multidimensionnelle dans le corset d’une identité unique, qu’elle soit nationale, ethnique, tribale ou religieuse. J’en suis venu à me dire que c’était peut-être cela le mal dont découlent tous les maux de notre époque. Car lorsque nous succombons à ce rétrécissement, lorsque nous nous laissons simplifier pour devenir simplement des Serbes, des Croates, des musulmans, des hindous, alors il nous devient plus facile de voir en l’autre un ennemi, l’Autre de chacun de nous et tous les points cardinaux entrent alors en conflit, l’Est et l’Ouest se heurtent, ainsi que le Nord et le Sud.
Notes de bas de page
↑1 | Une fatwa est un avis juridique donné par un spécialiste de la loi islamique, autrement dit une « autorité religieuse », sur une question particulière. Une fatwa n’énonce pas forcément une condamnation. |
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↑2 | Source Wikipédia et Michel Onfray qui l’utilise souvent : pour Friedrich Nietzche, la moraline désigne la morale dominante et bien-pensante, d’origine judéo-chrétienne, qui relève du conservatisme religieux ou du conformisme bourgeois. Ce serait une forme dégradée de la morale qui imposerait des règles formelles et culpabilisantes. Aujourd’hui, on parlerait plutôt de « Morale de la pensée unique ». |