Sécularisation, laïcité, Europe — Partie 1

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Dans ce premier article, nous nous intéresserons aux Constitutions qui définissent le plus souvent les rapports de l’État aux églises, voire à Dieu, puis nous donnerons quelques exemples des conséquences concrètes de ces rapports en essayant de faire voir les évolutions en cours dans un contexte général de sécularisation.
De prochains articles traiteront du processus qui a abouti à introduire la question religieuse dans les traités de l’Union européenne, de la jurisprudence de la Cour de Strasbourg sur les droits de l’Homme et de celle de l’UE de Luxembourg, ainsi que de la pratique des institutions européennes dans le dialogue entre institutions et églises, organisations philosophiques et non confessionnelles.

La semaine dernière, Philippe Duffau terminait son article sur la laïcité par quelques considérations sur l’Union européenne. Il est vrai que les relations entre la laïcité et l’Europe sont peu abordées dans les débats en France. Pourtant, bien que les relations entre l’État ou la puissance publique et les Églises relèvent de la responsabilité des États et que l’Union européenne n’ait aucune compétence en la matière, les évolutions institutionnelles, les élargissements successifs à de nouveaux pays ainsi que l’évolution de la jurisprudence des Cours de Justice ont fait que les institutions de l’UE se préoccupent de ces questions et ce n’est pas sans conséquence dans les États membres de l’UE, ne serait-ce que parce que le Traité de Lisbonne entré en vigueur en décembre 2009 prévoit un dialogue régulier entre les institutions et les Églises et organisations philosophiques et non confessionnelles (article 17 TFUE).

Personnellement, c’est par l’Union européenne que j’ai été amené à me préoccuper des questions de laïcité, aussi bien en France que dans l’UE. En application de l’article 13 du Traité d’Amsterdam (1997) qui prévoit que sur « proposition de la Commission, le Conseil à l’unanimité, après avis du Parlement, peut prendre les mesures nécessaires en vue de combattre toute discrimination fondée sur le sexe, la race ou l’origine ethnique, la religion ou les convictions, un handicap, l’âge ou l’orientation sexuelle », la Commission soumet aux États membres un projet de directive portant sur les non-discriminations pour ces motifs au travail. A l’époque mes fonctions professionnelles m’ont amené à participer aux négociations sur cette directive. Au cours de ces négociations, l’Allemagne, notamment, a demandé avec insistance et à plusieurs reprises des dispositions dérogatoires à la non-discrimination en raison de la religion, compte tenu du rôle important que les Églises jouent dans le domaine social et de la santé en Allemagne. La France ne pouvait accepter de telles dérogations en raison de la laïcité, principe constitutionnel, ainsi que la majorité des autres États. Un compromis, comme très souvent dans ces cas, a été trouvé, la notion d’entreprise de conviction avec possibilité de dispositions particulières liées à ces convictions étant maintenue ; ce qui donnait satisfaction à l’Allemagne, où cette notion existait, sans possibilité de l’étendre dans les pays où elle n’existait pas[1], ce qui satisfaisait la France. La directive a donc été adoptée (rappelons qu’il fallait l’unanimité au Conseil) et promulguée le 27 novembre 2020. Cet épisode m’a fait penser que la question de la laïcité qui était déjà débattue en France suite à l’affaire du voile à Créteil en 1989 n’était pas qu’une affaire franco-française, que l’UE pouvait par des biais juridiques peser aussi sur cette question. Nous allons voir que cette prégnance n’est pas que juridique, mais aussi institutionnelle et politique.

Il y a plusieurs portes d’entrée pour aborder la question des relations pouvoirs publics/églises au plan européen : la situation dans chaque État dont c’est la responsabilité, le processus qui a conduit les institutions européennes à agir sur ce sujet, la jurisprudence de la Cour de Justice de l’Union européenne qui en la matière suit celle de la Cour du Conseil de l’Europe de Strasbourg, la pratique concrète qui n’est pas toujours conforme aux déclarations et textes.

La situation dans quelques pays européens

Nous ne traiterons pas le cas des 27 pays membres de l’UE, ce serait fastidieux et long, un quart doit permettre d’apercevoir la diversité et les trajectoires en cours.

La France, s’il faut le rappeler, est une République laïque constitutionnellement. C’est le seul pays européen dont la laïcité est constitutionnelle. Cependant cette situation n’est pas sans poser des questions, notamment chez nos partenaires européens, car elle souffre quelques exceptions, celle de l’Alsace et de la Moselle, celle de la Guyane, de Saint-Pierre-et-Miquelon ou de Mayotte (voir https://www.gaucherepublicaine.org/category/respublica-laicite/respublica-regime-juridique-francais). La pratique des autorités françaises n’est pas exempte d’ambiguïtés non plus, dans la jurisprudence du Conseil d’État ou le financement des écoles privées.
Un seul exemple vécu dans le cadre européen, lors de la Convention qui établit le projet de Traité constitutionnel européen[2] en 2002/2003, le représentant du Sénat à la Convention a régulièrement (au moins une séance sur deux) utilisé son temps de parole pour expliquer qu’en France il y avait le Concordat et que ça fonctionnait très bien, laissant entendre que c’était la forme normale des relations État/Églises, sans qu’aucun autre représentant des institutions françaises (représentant de l’Assemblée nationale ou ministre des Affaires européennes) présent n’intervienne pour préciser.

En France le délit de blasphème abrogé une première fois en 1789, rétabli à la Restauration, est définitivement supprimé par la loi du 21 juillet 1881[3]. Cependant, il subsistera en Alsace et en Moselle jusqu’en 2017 pour des raisons historiques, sans être toutefois appliqué, mais était utilisé devant les tribunaux par des extrémistes religieux pour faire interdire des œuvres théâtrales ou cinématographiques. Il ne sera abrogé que le 27 janvier 2017 par la Loi sur l’égalité des citoyens.

En Allemagne

Le préambule de la Constitution allemande commence par : « Conscient de sa responsabilité devant Dieu et devant les hommes… ». L’article 7 consacré à l’enseignement scolaire prévoit dans son alinéa 3 un enseignement religieux dans les écoles publiques (sauf pour les écoles non confessionnelles en raison du concept d’entreprise de conviction, aucun enseignant ne pouvant être obligé de dispenser l’instruction religieuse contre son gré), les relations entre Églises et État sont régies par plusieurs articles repris de la Constitution de Weimar. Il n’y a pas de religion d’État en Allemagne, la séparation entre l’État et les églises existe bien, la Constitution précisant : « Les droits et devoirs civils et civiques ne sont ni conditionnés, ni limités par l’exercice de la liberté religieuse ». Cela n’empêche pas que le financement des principales religions (catholique et luthérienne) soit assuré par un prélèvement volontaire récolté par l’État en même temps que l’impôt et redistribué par la suite selon les choix des contributeurs. Le délit de blasphème existe en Allemagne, mais est peu réprimé.

En 1998, dix ans après la France, l’Allemagne est confrontée au problème du port du voile et des signes religieux à l’école par des aspirantes enseignantes et non des élèves. Après une bataille juridique devant les tribunaux qui déboutèrent les enseignantes, le Tribunal constitutionnel de Karlsruhe saisi leur donna raison, autorisant le port du voile pour les enseignantes dans les écoles publiques et renvoyant la réglementation éventuelle aux Länder, compétents en la matière[4], dont certains adoptèrent des lois de portée diverse.

Le Bade-Wurtemberg, Land d’origine du problème, adopte en 2004 (1er avril) une loi interdisant tout signe politique ou religieux à l’école, susceptible de menacer la neutralité du Land ; la Basse-Saxe adopte le 29 avril 2004 une loi assez différente qui précise que l’apparence du personnel enseignant ne doit pas être à l’origine de doutes quant à sa capacité à accomplir la mission éducative de l’école, mais l’alinéa 2 rappelle que cette éducation se fait sur la base du christianisme ; dans la loi de la Sarre du 23 juin 2004, la référence au christianisme y est aussi explicite et la mission éducative doit être accomplie sans remettre en question la neutralité de l’État ni menacer la paix scolaire ; la loi de la Hesse du 7 octobre 2004 interdit tout signe religieux ou politique pour tous les fonctionnaires du Land ; la loi de la Bavière du 23 novembre 2004 interdit le port de symboles et tenues exprimant une conviction religieuse s’ils peuvent être perçus par les parents ou les élèves comme contraire à la Constitution, y compris les valeurs éducatives et culturelles chrétiennes et occidentales, manière de tolérer certains signes religieux et d’en interdire d’autres. Il faut dire pour la Bavière qu’en 1995, la Cour constitutionnelle avait déjà condamné ce Land à retirer les crucifix des écoles publiques, ce qu’il ne s’est pas empressé de faire.

La loi de Berlin du 20 janvier 2005 interdit les symboles religieux ou idéologiques ainsi que les tenues explicitement religieuses et s’adresse non seulement aux enseignants, mais aussi aux fonctionnaires des greffes, de l’administration pénitentiaire ou de la police ; la loi du 28 juin 2005 de Brême fait dépendre l’interdiction de la façon dont les symboles religieux sont portés et l’enseignement ne doit heurter aucune sensibilité religieuse des élèves et des parents ; la loi de Rhénanie-du-Nord-Westphalie du 13 juin 2006 interdit les signes religieux, mais la préservation de valeurs culturelles et éducatives chrétiennes crée des ambiguïtés vis-à-vis du voile dans un Land où les musulmans sont nombreux.

Ce long développement sur l’Allemagne démontre la complexité et la diversité des dispositions prises à l’intérieur d’un même État, ainsi que les évolutions dans un processus de séparation et de neutralité de l’État à l’égard des religions.

Au Royaume-Uni

Le Royaume-Uni n’a pas à proprement parler de Constitution, mais une série de textes fondamentaux qui en font ensemble office, car ils guident la politique du pays, dont le plus ancien est la Grande Charte de 1215, dans laquelle les références à Dieu sont nombreuses, le Bill of Rights du 7 juin 1628, celui du 13 février 1689, l’Habeas Corpus Act de 1679 et une série de textes plus récents du XXe siècle sur le rôle des diverses institutions. Le délit de blasphème a été aboli au Royaume-Uni le 5 mars 2008.

Les relations sont différentes selon les composantes du Royaume-Uni. En Angleterre, l’Église anglicane est une église « établie », en partie contrôlée par le pouvoir politique qui intervient dans la nomination des évêques, elle a un rôle politique reconnu, elle a droit à 26 sièges à la Chambre des lords et certaines décisions la concernant sont soumises au Parlement. Les femmes ont accès à la prêtrise, le Roi est le chef de l’Église anglicane. En Écosse l’église établie est l’Église presbytérienne pour des raisons historiques, les princes écossais étaient protestants. Au Pays de Galles, l’Église anglicane a été désétablie en 1920. En Irlande du Nord, l’Église anglicane n’est plus établie depuis 1869, mais la société nord-irlandaise reste bien plus religieuse que les autres composantes du Royaume-Uni, avant tout pour des questions identitaires et politiques, la religion incarnant le conflit entre les deux communautés, « protestante » pro-anglaise et catholique irlandaise.

En Irlande

Le préambule de la Constitution démarre par : « Au nom de la Très Sainte Trinité dont dérive toute puissance et à qui il faut rapporter, comme à notre but suprême, toutes les actions des hommes et des États », les références à Dieu sont nombreuses par la suite, tous les pouvoirs « proviennent, sous l’autorité divine, du peuple ». Le Président de la République, élu au suffrage universel, prête serment « En présence de Dieu Tout-Puissant… ». L’État assure la liberté de religion, ne « dote » aucune religion et n’intervient pas dans les affaires religieuses. Il y a bien théoriquement séparation, mais l’église catholique se voit déléguer une partie des services publics. Elle assure notamment l’éducation de presque tous les jeunes avec des financements publics et il y a un enseignement religieux dans les écoles. Cependant, la prégnance de l’Église catholique dans la société n’empêche pas un développement de la sécularisation et un détachement des prescriptions religieuses comme le démontre le référendum abrogeant (avec 66,4 % des voix pour) les dispositions constitutionnelles interdisant l’avortement du 25 mai 2018.

En Belgique

La séparation est bien effective, mais des aides importantes sont attribuées au culte catholique et à cinq autres religions reconnues historiquement minoritaires (protestant, israélite, anglican, islamique et orthodoxe). Le système de financement est assez complexe, l’État fédéral attribue des subventions, les communes, les provinces et les régions financent les édifices, le logement des ministres des Cultes. Le courant laïque organisé influent en Belgique bénéficie aussi de modes de financement comparables sauf pour le logement. Il a un rôle d’écoute et d’aide à la population comparable aux églises, par exemple il existe des « conseillers moraux de la Défense » auprès de l’armée avec des fonctions comparables aux aumôniers religieux. Le Centre d’Action laïque (CAL) définit dans ses statuts la laïcité par : « La laïcité est le principe qui fonde le régime des libertés et des droits humains sur l’impartialité du pouvoir civil démocratique dégagé de toute ingérence religieuse. Il oblige l’État de droit à assurer l’égalité, la solidarité et l’émancipation des citoyens par la diffusion des savoirs et l’exercice du libre examen ».

En Italie

Les relations entre les églises et notamment l’Église catholique et l’État italien trouvent leur originalité dans l’histoire. Le Pape perd ses États au moment de l’unité italienne en 1870, le conflit avec le pouvoir étatique s’installe jusqu’à l’arrivée du fascisme au pouvoir après la Première Guerre mondiale. En 1929 sont signés les accords du Latran entre le Pape et Mussolini, l’État du Vatican est instauré. Le catholicisme est religion officielle, mais État et églises sont « indépendants et souverains » avec une séparation comme le précise l’article 7 de la Constitution : « L’État et l’Église catholique sont chacun dans son ordre particulier, indépendants et souverains. Leurs relations sont réglées par les accords du Latran… ». En 1984, un nouveau concordat affirme la séparation de l’Église catholique et de l’État, mais le catholicisme garde ses privilèges, les cours de religion ne sont financés que pour les catholiques.

La Cour constitutionnelle précise en 1989 que le principe constitutionnel de laïcité n’implique pas l’indifférence de l’État à l’égard des religions, mais la sauvegarde de la liberté religieuse dans une situation de pluralisme confessionnel. L’impôt ecclésiastique (0,8 %) peut donc être accordé aussi à d’autres cultes que le catholique à condition qu’ils négocient une entente avec l’État. Certains groupes protestants, juifs, bouddhistes, orthodoxes, hindous en bénéficient. Cela leur donne accès (aumôniers) aux hôpitaux, prisons, casernes, ainsi qu’à l’enregistrement civil des mariages religieux et permet aux élèves de ne pas aller à l’école lors des fêtes religieuses par exemple.

En Italie le délit de blasphème existe toujours, mais non appliqué.

Au Portugal

Depuis la Révolution des œillets de 1974, la séparation est constitutionnelle. L’article 41 alinéa 4 précise : « Les Églises et les communautés religieuses sont séparées de l’État et peuvent librement s’organiser, exercer leurs fonctions et célébrer leur culte ». Cependant, un concordat a été signé avec le Vatican en 2004, la conférence épiscopale obtient la personnalité juridique, un système d’impôt ecclésiastique (0,5 %) sur les fidèles est instauré. La loi sur les libertés religieuses de 2001 définit les relations entre État et Églises. Les mariages religieux sont reconnus et enregistrés au même titre que les mariages civils. Environ la moitié des mariages au Portugal sont des mariages catholiques, ce qui donne une idée de l’influence culturelle et sociale de l’Église catholique dans le pays. Cependant, après deux référendums le droit à l’avortement a été reconnu en 2007 : les femmes portugaises ont le droit d’avorter jusqu’à 10 semaines de grossesse, après un délai de réflexion, et l’IVG est prise en charge par le système de santé. Cependant le 22 juillet 2015, la majorité de l’Assemblée de la République (droite et centre-droit) a voté un texte de loi restreignant le droit à l’avortement. Le délit de blasphème existe toujours au Portugal.

Au Danemark

« L’Église évangélique luthérienne est l’Église nationale danoise et jouit, comme telle, du soutien de l’État » (article 4 de la Constitution) et l’article 6 précise que « le Roi doit appartenir à l’Église évangélique luthérienne ». Cependant, la liberté des cultes est assurée par les articles 67 et 68 de la Constitution, mais « Les conditions des Églises dissidentes sont fixées par la loi ». LÉglise évangélique danoise est en même temps très ouverte, voire démocratique, elle abrite des courants protestants divers, elle est très décentralisée avec élection des évêques, les femmes ont accès à la prêtrise. Elle est un secteur de l’appareil d’État, il y a un ministre des Affaires ecclésiastiques, le Parlement délibère sur son organisation. Le délit de blasphème a été supprimé en 2017.

En Pologne

Le prologue de la Constitution précise :« Conscient de la responsabilité devant Dieu ou devant notre propre conscience… », ouvrant la possibilité d’un concordat, d’une impartialité de la puissance publique et d’une séparation avec les Églises, comme le souligne l’article 25 de la Constitution :« 1. Les Églises et les autres unions confessionnelles jouissent de droits égaux.
2. Les pouvoirs publics en République de Pologne gardent l’impartialité en matière de convictions religieuses, de conception du monde et d’opinions philosophiques.
3. Les rapports entre l’État et les Églises et les autres unions confessionnelles se fondent sur les principes du respect de leur autonomie et de leur indépendance mutuelle dans le domaine qui leur appartient, ainsi que sur le principe de la coopération pour le bien de l’homme et pour le bien commun.
4. les rapports entre la République de Pologne et L’Église catholique sont définis par un traité conclu avec le Saint-Siège et par des lois.
5. Les rapports entre la République de Pologne et les autres Églises et unions confessionnelles sont définis par des lois basées sur des accords conclus par le Conseil des Ministres avec leurs représentants compétents. »

Cet article est principalement tourné vers les églises, les organisations philosophiques y ont la portion congrue ; ce qui n’empêche pas la société polonaise comme les autres sociétés européennes de se séculariser et d’aller vers une conception plus laïque. Le concordat a été signé en 1993. En octobre 1997 s’est tenu à Varsovie un premier congrès sur la laïcité qui s’est conclu par la décision de se mobiliser pour aller vers une république laïque sur les bases de la laïcité en France. Quand en octobre 2020 le Tribunal constitutionnel, notamment sous la pression de l’Église catholique, a quasiment rendu impossible l’avortement, seulement 13 % des Polonais ont approuvé cette décision et des manifestations et attaques et dégradations d’églises ont eu lieu pendant plusieurs jours.

Il y a quinze religions reconnues en Pologne. L’article 53 de la Constitution garantit à chacun la liberté de conscience et de religion. Mais l’Église catholique ne paye pas d’impôts directs sauf agraires et forestiers, par contre l’État paye (cofinance) les universités et facultés théologiques et finance les religions. Le délit de blasphème existe toujours en Pologne.

En Bulgarie

La Constitution précise dans son article 13 :« 1) Les cultes sont libres. (2) Les institutions religieuses sont séparées de l’État. (3) La religion traditionnelle en République de Bulgarie est le culte orthodoxe. (4) Les communautés et institutions religieuses, ainsi que les convictions religieuses ne peuvent être utilisées à des fins politiques. ». Et l’article 11 alinéa 2 affirme : « (2) Aucun parti politique ou idéologie ne peut être proclamé ou affirmé en tant que parti ou idéologie de l’État. »

La liberté de conscience est constitutionnelle : « Article 37. (1) La liberté de conscience, la liberté de pensée et le choix de culte ou de convictions religieuses ou athées sont inviolables. L’État contribue au maintien de la tolérance et du respect mutuel entre les personnes confessant différentes religions, entre les croyants et les incroyants. (2) La liberté de conscience et des cultes ne peut être dirigée contre la sécurité nationale, l’ordre public, la santé publique et la morale ou contre les droits et les libertés d’autrui. »

Seul le mariage civil est légal. La Bulgarie est quasiment le seul État dont la Constitution mentionne les athées.

Cependant, la loi sur la religion, dite Loi sur les cultes de décembre 2002, entrée en vigueur le 1er janvier 2003, en remplacement de la loi sur les confessions de 1949, bien que déclarant que toutes les religions sont libres et égales, donne des avantages à l’Église orthodoxe bulgare, l’article 10 lui confère un rôle spécifique et la dispense de l’obligation d’enregistrement prévue par la loi comme condition préalable à la personnalité juridique ; les conditions de cet enregistrement, obligatoire pour les autres Églises, étant floues et compliquées. Certaines difficultés pratiques semblent en découler à propos d’inégalités de fait signalées dans le traitement fiscal des sources de revenus de différentes communautés religieuses, en matière d’accès à l’enseignement de la religion et au sujet de retards dans le traitement de demandes d’enregistrement.

En Grèce

L’Église orthodoxe est l’église officielle. Le texte de la Constitution commence par : « Au nom de la Trinité sainte, consubstantielle et indivisible, la 5e chambre des députés révisionnelle vote… » et l’article 3 précise dans un acte de bravoure quasi théologique :

« 1. La religion orthodoxe de Grèce, reconnaissant pour chef Notre Seigneur Jésus-Christ, est indissolublement unie, quant au dogme, à la Grande Église de Constantinople et à toute autre Église chrétienne du même dogme, observant immuablement comme celles-ci, les saints canons apostoliques et synodiques ainsi que les saintes traditions. Elle est autocéphale et administrée par le Saint-Synode, qui est composé des évêques en fonction, et par le Saint-Synode permanent qui, émanant de celui-ci est constitué comme il est prescrit par la Charte statutaire de l’Église, les dispositions du Tome patriarcal du 29 juin 1850 et de l’Acte synodique du 4 septembre 1928 étant observées.
2. Le régime ecclésiastique existant dans certaines régions de l’État n’est pas contradictoire aux dispositions du paragraphe précédent.
3. Le texte des Saintes Écritures reste inaltérable. Sa traduction officielle en une autre forme de langue sans l’approbation de l’Église autocéphale de Grèce et de la Grande Église du Christ à Constantinople est interdite. »

La Constitution comprend en outre un long article sur les spécificités, les privilèges et l’auto-administration du Mont Athos que l’on retrouvera référencé dans le traité d’adhésion de la Grèce aux Communautés européennes (ancêtre de l’Union européenne) en 1981.

L’Église de la Crète — rattachée à la Grèce en 1913 — est « semi-autonome » et relève du Patriarcat de Constantinople ainsi que la Macédoine grecque, la Thrace et les îles de Lemnos, Lesbos, Chios, Samos et Ikaria.

L’appartenance religieuse figurait sur les cartes d’identité jusqu’en 2000 et n’a été supprimée qu’après de fortes pressions de l’Union européenne.

Les prêtres sont payés par l’État qui intervient dans la nomination des métropolites et évêques qui doit être entérinée par celui-ci. L’Église est le deuxième propriétaire foncier après l’État (130 000 ha) et possède de nombreux biens immobiliers et mobiliers, elle est actionnaire pour 1,5 % de la Banque Nationale de Grèce, elle est exemptée de certaines taxes et impôts. Elle a une influence considérable sur la société avec des émissions de radio et télévision, le catéchisme dans les écoles. Le délit de blasphème existe en Grèce, sa législation est la plus répressive de l’Union européenne

Quelques considérations pour la suite

Avec ces exemples, il s’agit de faire voir la diversité des situations selon les pays dans les relations entre Églises et État ou puissance publique sur le plan institutionnel et légal, mais aussi dans les pratiques quotidiennes. Cette diversité s’accroît encore si nous considérons les 27 pays de l’Union européenne et encore plus si nous prenons en compte les 46 pays du Conseil de l’Europe.

Nous nous sommes tenus à la situation actuelle avec les évolutions de ces vingt dernières années, pour l’essentiel, qui montrent une trajectoire dominante vers la sécularisation toujours plus large des sociétés européennes, voir une lente laïcisation. Il n’était pas possible d’entrer dans l’histoire longue de chaque pays, mais elle pèse considérablement dans leurs relations entre les Églises et les pouvoirs publics.

Quelques exemples succincts : la péninsule ibérique — Espagne et Portugal — a connu entre 700 et 800 ans de présence et de gouvernement musulman avec une civilisation extrêmement riche, les conditions de la reconquête catholique (différentes par ailleurs dans les deux pays) et les traces profondes de la période musulmane expliquent aussi l’importance encore actuelle de l’influence de l’Église catholique sur la société ; la division historique de l’Allemagne berceau du protestantisme explique en grande partie les situations très diversifiées d’un Land à l’autre, décrites plus haut ; en Bohème la puissance de contestation anticatholique de Jean Huss au XVe siècle a généré une culture anticléricale forte, autour de 50 % de la population tchèque se déclare athée ; le fait que l’Estonie ait été pratiquement toujours occupée, sauf de 1918 à 1940 et depuis 1990, et la politique antireligieuse efficace du régime « de socialisme réel » pendant cinquante ans ne sont pas étrangers au fait qu’autour de 80 % des Estoniens se déclarent athées, la Belgique doit en grande partie son existence à la dissidence des provinces flamandes catholiques du Sud en rupture avec les provinces protestantes du Nord dans les Provinces-Unis aux XVIII et XIXe siècles.

Tous les pays européens, adhérents ou non à l’Union européenne, ont ratifié la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’Homme et des libertés fondamentales dont l’article 9 est explicite sur la liberté de conscience :

Article 9— Liberté de pensée, de conscience et de religion.

1-Toute personne a droit à la liberté de pensée, de conscience et de religion ; ce droit implique la liberté de changer de religion ou de conviction, ainsi que la liberté de manifester sa religion ou sa conviction individuellement ou collectivement, en public ou en privé, par le culte, l’enseignement, les pratiques et l’accomplissement des rites.

2— La liberté de manifester sa religion ou ses convictions ne peut faire l’objet d’autres restrictions que celles qui, prévues par la loi, constituent des mesures nécessaires, dans une société démocratique, à la sécurité publique, à la protection de l’ordre, de la santé ou de la morale publiques, ou à la protection des droits et libertés d’autrui. 

La Cour de justice de Strasbourg veille à la bonne application de la Convention. Nous traiterons de sa jurisprudence dans un prochain article. Par ailleurs, le premier alinéa de cet article 9 a été repris in extenso dans la Charte des droits fondamentaux de l’UE, ajoutée au Traité de Lisbonne.

La trajectoire en Europe est orientée vers la perte d’influence des églises, sécularisation voire la laïcité. La Suède a supprimé l’Église établie (Église luthérienne suédoise) en 2000, le Luxembourg entre 2013 et 2018 a supprimé son héritage napoléonien sur ses relations avec l’Église catholique avec la fin du salariat des prêtres, du financement communal et de l’enseignement confessionnel à l’école et a remis la propriété des lieux de culte à une fondation. Les suppressions du délit de blasphème dans beaucoup de pays depuis une vingtaine d’années vont dans le même sens (Royaume-Uni en 2008, Norvège en 2009, Pays-Bas en 2013, Islande en 2015, Malte en 2016, Danemark en 2017, France (Alsace et Moselle) en 2017, Irlande en 2018) ; de même l’interdiction des signes religieux à l’école et dans les services publics gagne du terrain.

Nous avons décrit la situation en Allemagne à ce sujet, en Belgique une loi de 2010 interdit de se cacher le visage, en Espagne une loi d’octobre 2010 interdit de se cacher le visage en public, en Bulgarie une loi de septembre 2016 interdit le « port dans les lieux publics de vêtements dissimulant partiellement ou complètement le visage », au Danemark la loi du 1er août 2018 interdit de dissimuler le visage en public, aux Pays-Bas une loi de 2019 interdit dans les écoles, les hôpitaux, les transports en commun et les bâtiments publics de porter des vêtements et des signes religieux, au Royaume-Uni se sont les directeurs des établissements scolaires et des hôpitaux qui peuvent décider d’interdire les signes religieux, en Autriche il y a interdiction aux élèves du primaire, aux enseignants de porter des signes religieux.

Le principe universel de laïcité est le seul principe universel qui permet dans tous les cas de faire face à cette diversité et à la sécularisation en cours des sociétés.

Le principe universel de laïcité est le seul principe universel qui permet dans tous les cas de faire face à cette diversité et à la sécularisation en cours des sociétés. Il est le seul qui garantit l’absolue liberté de pensée et de conscience et donc de religion. Il est le seul qui permet l’égalité, la liberté, la fraternité contrairement aux communautarismes divers et à la nouvelle religion woke qui divisent et entraînent des affrontements.

A noter que les impôts ecclésiastiques existant dans certains pays — Allemagne, Portugal, Italie — sont en général sur base volontaire des fidèles, sauf en France… où tout le monde (athées, agnostiques, indifférents ainsi que les citoyens des autres confessions) paye les ministres des Cultes reconnus (catholique, protestants, juifs) en Alsace et Moselle ou pour le financement par l’État des écoles religieuses sous contrat — dites à tort écoles libres — contrairement à la Belgique[5].

A suivre


[1]Ce qui n’empêchera pas la Cour de cassation française de faire allusion à l’entreprise de conviction dans l’affaire Baby-loup.

[2]Traité constitutionnel rejeté par référendum en 2005 par plus de 55 % des votants.

[3]En 1881, l’Alsace et la Moselle étaient rattachées à l’Allemagne, suite à la défaite française de 1871, elles le resteront jusqu’à la fin de la Première guerre mondiale en 1918. Redevenues françaises, il fut convenu que, à titre provisoire, elles conserveraient leur législation spécifique antérieure.

[4]En Allemagne, République fédérale, ce sont les Länder qui sont compétents en matière d’éducation scolaire.

[5]En Belgique les écoles et universités libres sont les établissements publics, l’Université libre de Bruxelles est donc publique, par contre l’Université catholique de Louvain est bien catholique et pas créditée d’être libre !