En 1954, les accords de Genève divisent provisoirement le Vietnam en deux zones de part et d’autre du 17ème parallèle. Ces accords prévoient aussi que des élections générales seront organisées dans un délai de deux ans pour réunifier le pays. Mais soutenus par les États-Unis, les dirigeants du sud s’opposent à leur tenue, créent la République du Sud Vietnam et choisissent la voie du développement capitaliste. À l’opposé, ceux du nord commencent à édifier les bases du socialisme avec le soutien des Soviétiques. Pendant les années de guerre (1960-1975), le Vietnam survit en grande partie grâce aux aides venant de l’extérieur. Après la fin des hostilités (1975), le pays est réunifié et le gouvernement cherche à étendre au sud les bases du socialisme édifiées au nord. C’est un échec : le pays tout entier est plongé dans une profonde crise économique. Pour en sortir, le gouvernement décide alors de restaurer et de développer l’économie de marché.
L’édification des bases du socialisme en RDV (1954-1975)
En 1954, les dirigeants de la République Démocratique du Vietnam pensent qu’il est possible, à partir d’une économie reposant alors à 90 % sur l’agriculture et employant des techniques de production archaïques, de passer à la grande production socialiste, en sautant la phase du développement capitaliste.
1.1 – Collectivisation dans l’industrie et le commerce
Dans l’industrie et le commerce, la collectivisation des moyens de production a été facilitée par le fait que ces deux secteurs occupaient très peu de place dans l’économie, mais aussi par la fuite vers le Sud Vietnam d’un grand nombre de propriétaires d’entreprises et de commerçants. Les artisans qui restent sont groupés en coopératives et les entreprises industrielles sont nationalisées ou transformées en sociétés mixtes.
1.2 – La collectivisation dans l’agriculture
Concernant la collectivisation dans l’agriculture, le gouvernement s’est trouvé devant un obstacle qu’il avait lui-même créé. En effet, la guerre contre la France ne pouvant être gagnée qu’avec le soutien et la participation de la paysannerie pauvre (60 % de la population rurale), le gouvernement, dans les régions qu’il contrôlait, avait diminué la rente foncière et commencé à redistribuer des terres aux paysans qui n’en possédaient pas. En 1953, une réforme foncière est même mise en œuvre et la loi du 4 décembre qui l’organise énumère ses objectifs dans les termes suivants :
Abolir le régime de l’accaparement des terres par les colonialistes, abroger celui de la propriété féodale, cela afin de : réaliser le régime de la propriété terrienne des paysans ; libérer les forces productives de la campagne, donner une forte impulsion à la production agricole, ouvrir la voie au développement industriel et commercial ; améliorer les conditions de vie des paysans, accroître les forces du peuple et celles de la Résistance ; achever l’œuvre de libération nationale…
Cité par Võ Nhân Trí, La politique agraire du Nord-Vietnam : Tiers-Monde, 1960, p.358.
En application de cette loi, le gouvernement reprend la quasi-totalité des terres agricoles appartenant aux propriétaires fonciers pour les redistribuer en propriété privée à ceux qui les travaillaient(1)“Au total, environ 900 000 hectares de rizières et de terrains, plus de 100 000 buffles et bœufs, 1 800 000 instruments aratoires, ont été répartis entre 2 127 256 foyers paysans comprenant 8 450 000 personnes, soit presque 80 % des paysans du Nord- Vietnam. Environ 37,9 % de familles rurales ont reçu en partage la terre qu’elles avaient travaillée jusque-là pour le compte des propriétaires fonciers ; 34,9 % se sont vu attribuer un supplément. Les propriétaires ont reçu eux aussi une part de terre pour pouvoir vivre de leur labeur et se rééduquer par le travail”. Cf. Vo Nhàn Tri, La politique agraire du Nord-Vietnam: Tiers-Monde, 1960..
En 1955, le gouvernement entreprend d’édifier les bases du socialisme et, pour cela, de procéder à la collectivisation des terres par étapes. La première a consisté à encourager la “coopération”. Le but est d’élever la productivité du travail, qui était extrêmement faible parce que la réforme foncière avait abouti à un saupoudrage des terres entre une multitude de micro propriétaires (1 200 m2 en moyenne). Dans le cadre de la “coopération”, les agriculteurs restent propriétaires de leur lopin, qu’ils cultivent avec leur famille. Mais les gros travaux sont effectués en collectivité, par des “groupes d’entraide”. Chacun est rétribué selon son travail et un système de points est créé pour l’évaluer(2)Võ Nhân Trí, La politique agraire du Nord-Vietnam: Tiers-Monde, 1960, p.364..
La seconde étape menant à la collectivisation commence en 1956. Elle a consisté à créer des coopératives “semi-socialistes”. Il s’agit des hameaux regroupant quelques centaines de foyers. Toutes les terres ne sont pas collectivisées : 5 % d’entre elles sont redistribuées sous forme de lopins aux familles qui peuvent les exploiter librement, conserver les produits et les vendre au marché. Quant aux autres terres et moyens de production importants, ils sont remis à la coopérative qui en assure la gestion ; mais les agriculteurs continuent d’en être propriétaires. Les travaux des champs ne sont pas répartis entre des familles, mais entre des “équipes de production” comprenant une cinquantaine de travailleurs. La production une fois vendue,
une certaine somme est déduite des revenus totaux de la coopérative pour l’investissement, la réserve des fonds et les frais généraux. Le reste est ensuite distribué à la fois proportionnellement à la qualité et à la quantité du travail fourni par chacun, et aussi proportionnellement à la quantité de terre que chacun a investie comme part au moment de son adhésion.
Võ Nhân Trí, La politique agraire du Nord-Vietnam: Tiers-Monde, 1960, p.365.
La troisième étape débute en 1958. Les coopératives “semi-socialistes” sont transformées en coopératives “supérieures” qui regroupent toutes les familles d’un village. Sauf les 5 % de terres qui restent de la propriété privée, les autres moyens de production (terres et bétail) deviennent la propriété de la coopérative. Les équipes de travail (entre 50 et 100 personnes) élisent leur chef. Le revenu de la coopérative, après déduction de l’investissement et des fonds de réserve, est réparti entre ses membres. Les rémunérations dépendent seulement du travail. Celui-ci est décomposé en tâches élémentaires (labourage, repiquage du riz…) et ceux qui les exécutent sont rémunérés selon un système de points.
La “guerre du Vietnam” va ralentir l’édification des bases du socialisme. Entre 1960 et1975, c’est une économie de guerre qui s’organise. Si aucune planification n’est possible, la collectivisation des moyens de production peut se poursuivre. En 1960, 73,4 % des foyers ruraux sont intégrés à des coopératives semi-socialistes ; en 1975, cette proportion n’est plus que de 2,5 %. Entre les mêmes dates, le pourcentage de foyers regroupés dans des coopératives socialistes passe de 12,4 à 93,1 %(3) Patrick Gubry, Population et développement au Vietnam, p. 504..
Selon certaines estimations, la production vivrière de la RDV aurait augmenté de 50 % entre 1955 et 1975. Mais la croissance démographique ayant été bien plus rapide, les disponibilités alimentaires par personne et par an auraient diminué en passant de 315 kg en 1960 à 231 kg en 1975(4)Marie-Sybille de Vienne, L’économie du Vietnam (1955-1995), p. 46. Selon René Dumont, dans les années 1960, le taux annuel de croissance de la production agricole était de 3 % tandis que celui de la croissance démographique atteignait 3,8 %, Cf. La culture du riz dans le delta du Tonkin, annexe 2, 1964.. En fait, pendant la guerre, la population du nord Vietnam a vécu en grande partie grâce aux aides venant du camp socialiste, surtout celles provenant de l’URSS et de la Chine.
Notes de bas de page
↑1 | “Au total, environ 900 000 hectares de rizières et de terrains, plus de 100 000 buffles et bœufs, 1 800 000 instruments aratoires, ont été répartis entre 2 127 256 foyers paysans comprenant 8 450 000 personnes, soit presque 80 % des paysans du Nord- Vietnam. Environ 37,9 % de familles rurales ont reçu en partage la terre qu’elles avaient travaillée jusque-là pour le compte des propriétaires fonciers ; 34,9 % se sont vu attribuer un supplément. Les propriétaires ont reçu eux aussi une part de terre pour pouvoir vivre de leur labeur et se rééduquer par le travail”. Cf. Vo Nhàn Tri, La politique agraire du Nord-Vietnam: Tiers-Monde, 1960. |
---|---|
↑2 | Võ Nhân Trí, La politique agraire du Nord-Vietnam: Tiers-Monde, 1960, p.364. |
↑3 | Patrick Gubry, Population et développement au Vietnam, p. 504. |
↑4 | Marie-Sybille de Vienne, L’économie du Vietnam (1955-1995), p. 46. Selon René Dumont, dans les années 1960, le taux annuel de croissance de la production agricole était de 3 % tandis que celui de la croissance démographique atteignait 3,8 %, Cf. La culture du riz dans le delta du Tonkin, annexe 2, 1964. |