Suite des articles du 15 novembre (chronique n°1, à retrouver ici) et du 30 novembre (chronique n°2, à retrouver ici)
Le panorama politique catalan a toujours été singulier et complètement différent du panorama politique espagnol : c’est même l’un des traits distinctifs de l’identité catalane.
Les quatre grandes forces nationales – PP et Ciudadanos à droite, parti socialiste, coalition de Podemos avec « gauche unie » (IU) – ne devraient, selon les sondages, réunir que 52 % des suffrages catalans contre plus de 80 % sur l’Espagne entière. Tandis qu’à l’échelle de l’Espagne le PP est devant le PSOE, ce dernier étant à égalité avec Podemos/IU tandis que Ciudadanos se situe loin derrière, les sondages promettent un ordre renversé en Catalogne, où Ciudadanos serait largement devant le PS, lui-même largement devant Podemos tandis que le PP serait le parti obtenant le moins de voix de toutes les forces politiques présentant des listes le 21 décembre prochain.
Les partis catalans
Il existe des partis politiques spécifiquement catalans. Ils réunissaient, en 2015, 48 % des voix et la majorité des députés au parlement catalan ; aujourd’hui, les sondages leur prédisent certes un tassement, mais toujours plus de 45 % des suffrages.
Les deux principales forces historiques sont la « gauche républicaine de Catalogne » ERC, et la « Convergence », parti bourgeois dominant la vie politique catalane depuis les années 70. Ces deux forces avaient fait liste commune lors du scrutin régional de septembre 2015, appelant à un vote plébiscitaire pour l’indépendance : pari perdu avec un score de seulement 39,6 % mais 62 députés, à six sièges de la majorité absolue qu’ils croyaient certaine.
Sans stratégie de rechange, ces deux partis s’alliaient alors à l’extrême-gauche indépendantiste pour continuer leur marche forcée vers la déclaration unilatérale d’indépendance (DUI), provoquant le mois dernier la suspension totale de l’autonomie catalane par le gouvernement espagnol.
ERC et Convergence n’ont pas renouvelé leur alliance, et se disputent la place de première force politique catalane le 21 décembre prochain.
Miné par les scandales de corruption, la Convergence a changé de nom en 2015, et va au scrutin du 21 décembre sous l’appellation « Junts per Catalunya ». Leur leader historique est Jordi Pujol, président du gouvernement catalan (Generalitat) durant 23 ans, poursuivi aujourd’hui pour corruption massive et évasion fiscale. Son héritier politique, Artur Mas, avait engagé en 2011 le « procés » indépendantiste, changeant ainsi profondément l’orientation politique : avant le « procés », la Convergence parlait de son aspiration à l’indépendance de la Catalogne mais n’en faisait pas un objectif politique de court terme.
Carles Puigdemont, président déchu de la Generalitat, se présente à la nouvelle élection depuis la Belgique où il s’est enfui, la liste de « JuntsxCat » s’étant constituée autour de lui et faisant campagne pour que le peuple catalan confirme dans les urnes son président. Distancée par ERC en intentions de votes au départ de la campagne, la Convergence a réussi à marquer l’agenda en organisant une manifestation indépendantiste rassemblant plus de 40 000 personnes au cœur de Bruxelles la semaine dernière.
Les indépendantistes flamands y étaient. Ils participent au gouvernement belge et c’est auprès d’eux que Carles Puigdemont et les « Convergents » ont trouvé solidarité sans faille et assistance. Cela devrait faire réfléchir celles et ceux qui, en France ou parmi les mouvements progressistes amazighes, croient que l’indépendantisme catalan est progressiste tandis que les mouvements flamands ou d’Italie du nord seraient d’extrême-droite. Il faut lire leurs programmes et déclarations, constater aussi qu’ils se retrouvent et se réunissent dans les mêmes groupes au parlement européen et dans les réunions internationales : ce sont les mêmes.
ERC est l’autre grand parti historique catalan. Né en 1931 avec la deuxième République espagnole, et bien que son nom soit « gauche républicaine », son soutien sans faille aux politiques ultra-libérales et antipopulaires du gouvernement « convergent » auquel il participe depuis2010 (après avoir participé à un gouvernement de gauche « tripartite » sous conduite socialiste pendant huit ans), son silence sur la corruption massive du pouvoir catalan et sa bigoterie feraient douter de son classement « à gauche » en France.
ERC semble enfin en position de passer devant la Convergence (JuntsxCat) le 21 décembre, devenant le premier parti catalan. Son leader, Oriol Junqueras, vice-président du gouvernement catalan, a été jeté en prison par la Justice espagnole sur critères politiques après la proclamation d’indépendance du mois dernier. Cet emprisonnement, maintenu par la Justice la semaine dernière tandis que le mandat d’arrêt international contre le « Convergent » Puigdemont était annulé, ne semble pas desservir ERC, Junqueras étant devenu un martyr pour les indépendantistes.
La troisième force catalane est apparue après 2011, elle se dit anticapitaliste : ce sont les comités d’unité populaire CUP (ça se dit désormais au singulier : la CUP). Surgissant sur la scène institutionnelle en 2015 avec 8 % des voix et 10 députés au parlement catalan, la CUP a eu la clef du changement politique.
Héritière d’un courant du mouvement des indignés de 2011, élue sur la dénonciation de la politique de régression sociale du pouvoir catalan et sur l’engagement de dégager les « Convergents » du gouvernement, la CUP finissait pourtant, après un mois de tergiversations et de pressions puissantes de l’establishment catalan, par tourner complètement le dos à ses promesses. Investissant un président convergent à la tête d’un gouvernement incluant ERC, tout au plus la CUP sauvait-elle la face en obtenant la tête d’Artur Mas, remplacé par son acolyte Puigdemont.
C’est que pour la CUP, la priorité est l’indépendance à tout prix, cette indépendance devant naturellement engager la Révolution catalane. Pour le référendum d’autodétermination du 1er octobre, la CUP avait publié une affiche directement inspirée d’une affiche bolchévique de 1917, annonçant qu’en 2017 l’indépendance balayerait de Catalogne les capitalistes profiteurs : en soutenant la Convergence et ERC au pouvoir, il reste à voir comment tenir une telle promesse…
Les marques catalanes des partis espagnols
L’autre moitié du panorama politique catalan est occupé par les marques catalanes des forces politiques espagnoles. En effet, à l’exception du PP, les partis politiques espagnols ne se présentent pas en tant que tel au scrutin catalan.
Le PP, à l’inverse de sa position de premier parti en Espagne, est la force politique la plus faible de Catalogne. Malgré les rodomontades de son leader local, le très réactionnaire Albiol, le PP n’aspire pas à mieux, les sondages lui promettant moins de 7 % (contre 8,5 % en 2015 en Catalogne).
Pour les socialistes, ce n’est pas le PSOE qui se présente, c’est le parti socialiste catalan, parti qui dispose de son autonomie organisationnelle tout en faisant partie du PSOE à Madrid. Pendant plusieurs législatures, le PSC a même eu son propre groupe au parlement espagnol. Passé de près de 40 % à moins de 13 % en vingt ans, le PSC essaye de faire un peu mieux en captant le vote anti-indépendantiste de gauche et, grâce à son double langage entre Madrid et Barcelone, ne pas subir les conséquences de l’alignement du PSOE sur les décisions du gouvernement espagnol de Rajoy. Rajoy a déjà annoncé sa disponibilité à soutenir le socialiste Miquel Iceta pour le poste de président du gouvernement catalan.
Ciudadanos, avant de devenir un parti espagnol, est né en Catalogne. C’est sa version catalane, Ciutadans, qui présente une liste pour le 21 décembre, conduite par Inès Arrimadas, se positionnant comme le meilleur parti anti-indépendantiste et le garant du maintien de la Catalogne en Espagne. Cette opposition frontale aux indépendantistes lui avait permis d’obtenir 18 % au scrutin catalan de septembre 2015 (contre 13 % en Espagne en décembre 2015 et juin 2016), dans un scrutin régional alors complètement polarisé par l’agenda indépendantiste.
Ciutadans aspire à améliorer son score le 21 décembre en raflant le vote populaire, misant sur le puissant rejet de l’aventurisme indépendantiste au sein des catégories populaires vivant dans « l’aire métropolitaine » de Barcelone – pourtant les plus durement touchées par les politiques de régression sociale, au programme de Ciutadans. Et Inès Arrimadas aspire à prendre la tête du gouvernement catalan.
Podemos ne se présente pas en tant que tel en Catalogne. Sa branche catalane est en coalition avec le mouvement « Catalogne en commun » fondé par la maire de Barcelone Ada Colau, et avec la marque catalane de « gauche unie » (alliance de différents mouvements autour du PC espagnol). Les « communs » avec Podemos ne semblent pas en position de percer à l’élection du 21 décembre, et les sondages lui promettent un score identique à celui qu’ils avaient obtenu au scrutin régional de 2015 : entre 8 et 9 %, alors qu’ils ont obtenu près de 25 % aux deux scrutins nationaux de décembre 2015 et juin 2016.
La polarisation entre indépendantistes et anti-indépendantistes rend difficilement audible la position de Podemos et des « Communs », dite « équidistante » par les médias. Podemos est opposé à l’indépendance, mais considère que l’aspiration souverainiste catalane nécessite un nouveau pacte national en Espagne – où les revendications souverainistes basque, galicienne mais aussi valencienne sont puissantes – en donnant la parole au peuple catalan dans un référendum d’autodétermination. Cette position qui paraît de bon sens semble pourtant inaudible, le PS, le PP et Ciutadans accusant Podemos d’indépendantiste tandis que les indépendantistes de la CUP les accusent d’être des traîtres.
Après le 21 décembre, quoi ?
Au-delà des sondages, armes de propagande en campagne qui ont toujours été démentis en Espagne le jour du vote, les élections du 21 décembre semblent conduire à une impasse et devraient rendre particulièrement ardue la formation d’un gouvernement catalan.Dès lors, ce seraient les « Communs » qui auraient la clef de toute coalition possible.
Le candidat tête de liste de Podemos et des Communs, Xavier Domenech, serait peut-être alors le candidat « Borgen » : dans la série de politique-fiction danoise, l’héroïne Birgitte Nyborg devient présidente du gouvernement bien que n’étant pas la gagnante des élections, car aucun des autres leaders ne parvient à réunir une majorité.
Réponse le 21 décembre pour les scores et la composition du nouveau parlement catalan. Réponse bien plus tard sans doute pour l’installation d’un nouveau gouvernement catalan – qui devra reconquérir l’autonomie annulée par le bloc monarchique dirigé par le PP, grâce à l’aventurisme des indépendantistes.