Contre la mondialisation guerrière, l’austérité et le retard technologique, une gauche de gauche est-elle possible ?

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ReSPUBLICA a déjà fourni de nombreux articles montrant que la guerre Russie-Ukraine ouvrait la voie à une nouvelle géopolitique(1)Vous avez cherché Guerre Russie Ukraine · ReSPUBLICA (gaucherepublicaine.org). ReSPUBLICA a aussi montré les conséquences économiques, sociales et géopolitiques pour  la France et l’Europe(2)L’Allemagne dans la nouvelle géopolitique mondiale · ReSPUBLICA (gaucherepublicaine.org) (3)Union européenne : puisque ça n’a pas marché, il faut accélérer dans la même direction ! · ReSPUBLICA (gaucherepublicaine.org)(4)Instrumentalisation de la loi sur l’immigration et du mouvement des agriculteurs : vers l’Union de toutes les droites, d’où notre titre : « Que faire ? » · ReSPUBLICA (gaucherepublicaine.org)(5)Après les fêtes de fin d’année, retour au réel économique et social ! · ReSPUBLICA (gaucherepublicaine.org)(6)Sans compréhension du réel, toute stratégie gagnante est illusoire : petit tour succinct de la situation de la France · ReSPUBLICA (gaucherepublicaine.org).

Trois articles, le premier émanant du principal journal d’affaires étasunien (Wall Street Journal)(7)Europeens are becoming poorers Europeans Are Becoming Poorer. ‘Yes, We’re All Worse Off.’ – WSJ, du principal journal d’affaires britannique (Financial Times)(8)Is Britain really as poor as Mississippi? (ft.com) et d’Isabel Schnabel, membre du directoire de la Banque centrale européenne(BCE)(9) From laggard to leader? Closing the euro area’s technology gap (europa.eu) partent du même réel analysé par ReSPUBLICA pour bien sûr déboucher sur des propositions contradictoires avec les nôtres. Comme l’indique le journal Le monde(10)https://www.lemonde.fr/idees/article/2023/09/05/l-ecart-de-pib-est-desormais-de-80-entre-l-europe-et-les-etats-unis_6187928_3232.html, en « 2008, la zone euro et les États-Unis avaient un produit intérieur brut (PIB) à prix courants équivalent de 14 200 milliards et 14 800 milliards de dollars respectivement (13 082 milliards et 13 635 milliards d’euros). Quinze ans après, celui des Européens est à peine au-dessus de 15 000 milliards, tandis que celui des États-Unis s’est envolé à 26 900 milliards. Résultat, l’écart de PIB est désormais de 80 % !  

L’European Centre for International Political Economy, un centre de réflexion basé à Bruxelles, a publié un classement du PIB par habitant des États américains et européens : l’Italie est juste devant le Mississippi, le plus pauvre des cinquante États américains, tandis que la France se situe entre l’Idaho et l’Arkansas, respectivement 48e et 49e États américains. L’Allemagne ne sauve pas la face, entre l’Oklahoma et le Maine (38e et 39e). Le sujet est inaudible en France – tout de suite viennent les contre-arguments sur l’espérance de vie, la malbouffe, les inégalités, etc.  Les uns et les autres ont raison, mais n’empêche que l’Europe est en train de perdre la bataille technologique mondiale. D’où la réaction d’Isabel Schnabel de la Banque centrale BCE.

Isabel Schnabel (BCE) entre dans le débat

Pour la première fois, une dirigeante allemande de l’Union européenne est sortie de « la société du spectacle » dans laquelle les dirigeants politiques se délectent. Bien sûr, son discours vise, toujours plus, à aller dans le sens néolibéral et ordolibéral. Mais voyons ce qu’elle dit sur le constat. L’écart est dû selon elle, « dans le retard accumulé dans les technologies de l’information et de la communication (TIC) entre les États-Unis et l’Europe ». Elle estime qu’il y a plus de destruction créatrice (dans le sens de Schumpeter) aux EU. Le vieillissement de l’âge des entreprises industrielles européennes est patent. Son âge moyen a augmenté de 50 % depuis la dernière crise financière par manque d’investissement et donc d’innovation. Par ailleurs, les entreprises qui innovent beaucoup aux EU sont des entreprises de plus de 250 salariés qui représentent 60 % de l’emploi pour de 12 à 37 % dans l’UE.

C’est pourquoi, d’après elle, les investissements en TIC aux États-Unis, ont permis l’augmentation de la productivité du travail, tout simplement parce qu’aux EU, les compétences et les salaires des salariés qui utilisent les TIC sont beaucoup plus forts qu’en UE. On se rappelle le fiasco français de la distribution des ordinateurs à l’école et les ordinateurs trop souvent mal utilisés dans les entreprises. Et on oublie trop vite que de plus en plus, les ingénieurs et cadres supérieurs quittent la France pour aller aux EU et pas l’inverse ! Pour des raisons de différences de salaires, tout simplement !

En France et en Europe, Isabel Schnabel a raison de dire que l’encadrement autour des TIC dans les entreprises est insuffisant et que le management est trop verticalisé au lieu d’être plus « horizontalisé », dans le privé comme dans le public. Résultat, seulement 30 % des entreprises européennes peuvent augmenter leur productivité du travail. Si nous ne partageons pas la fin de l’article d’Isabel Schnabel qui préconise d’aller de plus en plus vers le néolibéralisme et l’ordolibéralisme, nous lui rappellerons que dans l’Union européenne, cette dernière n’arrive plus à pratiquer l’accroissement nécessaire de l’investissement public (sur les TIC, pour la transition écologique, etc.) ni celui de l’investissement privé ! Si on regarde la France, l’augmentation de la productivité du travail a été constante lors de la 4e république et lors de la période gaulliste puis l’affaissement de la productivité du travail a commencé avec l’après-gaullisme.

À cause des années Giscard à Macron (sauf Mitterrand en 1981-82) en passant par tous ceux qui ont œuvré entre ces deux présidences. Pour Mitterrand, notre réprobation démarre lors de son acceptation du néolibéralisme et de l’ordolibéralisme sur les mauvais conseils de Jacques Delors et de ses amis démocrates-chrétiens de gauche et de droite. Résumons-nous : l’insuffisance de la productivité du travail est due à la faiblesse de l’investissement matériel et humain de tous ceux qui sont en contact avec les TIC, c’est-à-dire de presque tout le monde. Et cela passe par des augmentations de salaire tant pour les ingénieurs et cadres que pour tous les autres salariés.

Les EU et les firmes multinationales montrent que le capitalisme est capable de bien payer ses ingénieurs, cadres supérieurs et hauts fonctionnaires. Mais l’Europe dans le capitalisme n’est plus capable de suivre le rythme des augmentations de salaire des ingénieurs et cadres des multinationales et des hauts fonctionnaires américains. De même que le capitalisme n’est pas capable de diminuer les inégalités sociales (cf. les études de Pickett et Wilkinson) et d’augmenter tous les salaires comme c’est nécessaire.

C’est pour cela que le capitalisme organise l’austérité pour financer les riches en abaissant les salaires et revenus des plus pauvres. C’est pour cela que le capitalisme privatise les profits et socialise les pertes. C’est pour cela que le capitalisme se permet de promotionner l’ubérisation de la société pour supprimer jusqu’aux conquis sociaux des salariés. C’est pourquoi nous vivons la prolétarisation des couches moyennes intermédiaires et d’une partie grandissante des paysans. C’est pour cela que le grand patronat favorise l’immigration pour faire baisser les salaires dans les pays du centre en maintenant le sous-développement dans les pays de la périphérie. C’est pour cela que toutes les droites sont hostiles à l’immigration tant qu’elles ne sont pas au pouvoir et favorisent tous les dualismes des statuts des travailleurs et la concurrence des travailleurs entre eux jusqu’à y compris par le retour du raisonnement par la « race »quand elle arrive au pouvoir. Et on décroche le pompon quand le recours au raisonnement par la « race » est également utilisé par la gauche qui se dit radicale (cf. le wokisme).

De nouveau, le retour des restrictions budgétaires en Europe

En France, le gouvernement vient d’annoncer 10 milliards d’euros d’économies à trouver cette année. En Allemagne, dans une décision de novembre 2023, la Cour constitutionnelle de Karlsruhe a obligé l’État à supprimer 17 milliards d’euros de dépenses pour la seule année 2024. L’Italie s’est lancée dans un plan de privatisations, afin de lever vingt milliards d’ici à 2026… Alors que les États-Unis dépensent avec leur plan de subventions à leur industrie (Inflation Reduction Act), l’Union européenne se dirige vers l’orthodoxie financière muselée par l’ordolibéralisme. Mais avec de forts taux d’intérêt et une dette en augmentation forte due, en France, en partie d’une mauvaise gestion de la syndémie du coronavirus (notamment du confinement général qui s’est avéré beaucoup moins efficace que d’autres méthodes nationales sans confinement général).

Mais comme l’Union européenne souhaite revenir à l’ordolibéralisme avec ses règles budgétaires, le fossé avec les EU et l’Inflation Reduction Act va se creuser. Et le fait que ces règles soient légèrement plus flexibles ne suffira pas à empêcher l’accroissement du gap entre les EU et l’UE dans la mesure où les EU ne sont touchés que par le néolibéralisme, mais non par l’ordolibéralisme européen et que l’Allemagne et l’Autriche n’ont eu seulement que cinq points d’augmentation de dette, que les Pays-Bas n’ont pas eu d’augmentation de dette et que le Portugal et l’Espagne ont eu un recul de leur dette sur la période considérée 2019-2023.

Mais pour la France et l’Italie, la forte augmentation de la dette couplée avec une forte montée du taux de financement de l’argent à dix ans (passé de 0 % à 2,9 % pour la France et de 0,5 % à 3,9 % pour l’Italie) directement liée à l’augmentation des taux de la BCE (de – 0,5 % à 4 %) est problématique. Mais les EU auront un déficit public de 7,4 % du PIB bien supérieur à la France avec ses 4,5 % et l’Allemagne et ses 1,7 %. Les requalifications des agences de notation en avril et en mai risquent de modifier les notations de ces deux pays.

La mondialisation capitaliste a entraîné que certains ont eu des excédents commerciaux.

Les excédents commerciaux n’ont que rarement conduit les dirigeants politiques et économiques à développer l’investissement public. Tout au plus, ils les ont conduits à s’assurer contre les modifications de taux de change. Ce qui a conduit à un accroissement de la pauvreté, de la précarité, de la baisse du pouvoir d’achat du plus grand nombre et d’un nombre d’emplois insuffisants. Au lieu de travailler à une croissance de la productivité du travail et à la diminution des inégalités sociales, les responsables ont désindustrialisé les pays en délocalisant les emplois dans les pays à salaires faibles.

Les travailleurs voyant la gauche et la droite mondialisées main dans la main ont estimé être les dindons de la farce de la mondialisation. Et cela a produit la poussée du populisme de droite, des sociétés illibérales, du recul de la démocratie et de la recherche de l’homme providentiel capable d’assurer la sécurité économique qui n’existe plus avec la mondialisation sauvage. D’où la montée de la volonté protectionniste.

De plus, la géopolitique nouvelle a été impactée par les mauvaises gestions préalables à la syndémie du coronavirus qui a montré les risques inhérents à l’allongement des chaînes d’approvisionnement, d’où les appels à une relocalisation. Mais la guerre Russie-Ukraine accélère aussi la nouvelle géopolitique par le freinage du libre-échange en tentant de diminuer les achats dans des zones aujourd’hui considérées comme hostiles surtout en ce qui concerne l’énergie, les terres rares et certains métaux. En fait, le commerce et les investissements augmentent aujourd’hui entre alliés géopolitiques et diminuent entre adversaires géopolitiques. Mais chaque année, l’urgence de lutter contre le dérèglement climatique ajoute aux difficultés de chaque pays.

Il est donc nécessaire d’être capable d’investissements massifs tant pour lutter contre le dérèglement climatique que pour survivre dans la nouvelle géopolitique. Tant que la demande grandissante a pu être comblée par le crédit et par l’augmentation du travail salarié (notamment crée dans certains pays comme la Chine), le réajustement par un choc d’offre positif permettait au système de se maintenir plus ou moins. Mais la probabilité des augmentations des catastrophes naturelles et des conflits géopolitiques demande de plus en plus d’investissements massifs notamment pour accroître la productivité du travail par les TIC (voir plus haut), par la technologie, la recherche, par la réindustrialisation, etc. Et donc il est peu probable que l’on puisse s’en sortir sans utiliser massivement les politiques budgétaires avec le risque inhérent de ces pratiques, car dans un monde de chocs d’offres, la politique monétaire ne peut pas agir assez rapidement pour lutter contre l’inflation induite.

Mais utiliser les politiques budgétaires, c’est remettre en cause l’ordolibéralisme de l’Union européenne dans laquelle il ne suffira pas de donner un délai supplémentaire pour revenir dans les clous des règles budgétaires maastrichiennes.(11)L’Allemagne ne paiera pas ! Même si on lui donne les clés du camion · ReSPUBLICA (gaucherepublicaine.org) ; L’Allemagne ne paiera pas – 2 : L’impossible sortie de crise dans le cadre de l’euro de Maastricht · ReSPUBLICA (gaucherepublicaine.org) ; Sommet de l’UE : l’Allemagne n’a pas payé ! · ReSPUBLICA (gaucherepublicaine.org)

Et dans ce cas, seul l’investissement public massif peut entraîner l’investissement privé des entreprises et l’épargne des particuliers. D’une façon générale, il faudra faciliter les aides d’États y compris sur la sphère de constitution des libertés (école, services publics, Sécurité sociale), sur la recherche fondamentale et appliquée, sur la réindustrialisation nécessaire, sur la lutte contre les inégalités sociales, sur la lutte contre le dérèglement climatique et pour le maintien voir le développement de la biodiversité.

Toute cette politique doit lutter contre l’inflation qui serait produite par des chocs d’offres. Et surtout d’avoir une politique holistique qui devrait remettre en cause les indépendances de certains vecteurs de l’ordolibéralisme de l’Union européenne (par exemple de la BCE qui doit prendre en compte le chômage et la précarité, de la CJUE, etc.) et un retour à des pratiques plus démocratiques(12)Retrouver les 4 conditions de la démocratie de Condorcet, augmenter les doses de démocratie délibérative par rapport à la démocratie représentative, etc..

En un mot comme en cent, il faut investir avec rapidité toutes les transitions, augmenter la productivité du travail, augmenter le soutien populaire à cette politique. Et pour lutter contre la stratégie d’union de toutes les droites, il convient d’avoir des partis de gauche qui aient une stratégie incluant la mise à jour de leur ligne stratégique. Autant dire aujourd’hui qu’aucun parti de gauche n’a un programme stratégique tenant compte par exemple de la nouvelle géopolitique, de la nécessité d’un rassemblement populaire gauche de gauche et donc à de nouvelles politiques culturelles, économiques, sociales et politiques. Pour la gauche, garder le même programme qu’avant les bouleversements que nous avons connus depuis 2018, c’est ne pas suivre le conseil de Jean Jaurès de commencer par l’analyse du réel à chaque fois qu’il change : « Analyser le réel pour aller à l’idéal » !

Notes de bas de page

Notes de bas de page
1 Vous avez cherché Guerre Russie Ukraine · ReSPUBLICA (gaucherepublicaine.org)
2 L’Allemagne dans la nouvelle géopolitique mondiale · ReSPUBLICA (gaucherepublicaine.org)
3 Union européenne : puisque ça n’a pas marché, il faut accélérer dans la même direction ! · ReSPUBLICA (gaucherepublicaine.org)
4 Instrumentalisation de la loi sur l’immigration et du mouvement des agriculteurs : vers l’Union de toutes les droites, d’où notre titre : « Que faire ? » · ReSPUBLICA (gaucherepublicaine.org)
5 Après les fêtes de fin d’année, retour au réel économique et social ! · ReSPUBLICA (gaucherepublicaine.org)
6 Sans compréhension du réel, toute stratégie gagnante est illusoire : petit tour succinct de la situation de la France · ReSPUBLICA (gaucherepublicaine.org)
7 Europeens are becoming poorers Europeans Are Becoming Poorer. ‘Yes, We’re All Worse Off.’ – WSJ
8 Is Britain really as poor as Mississippi? (ft.com)
9 From laggard to leader? Closing the euro area’s technology gap (europa.eu)
10 https://www.lemonde.fr/idees/article/2023/09/05/l-ecart-de-pib-est-desormais-de-80-entre-l-europe-et-les-etats-unis_6187928_3232.html
11 L’Allemagne ne paiera pas ! Même si on lui donne les clés du camion · ReSPUBLICA (gaucherepublicaine.org) ; L’Allemagne ne paiera pas – 2 : L’impossible sortie de crise dans le cadre de l’euro de Maastricht · ReSPUBLICA (gaucherepublicaine.org) ; Sommet de l’UE : l’Allemagne n’a pas payé ! · ReSPUBLICA (gaucherepublicaine.org)
12 Retrouver les 4 conditions de la démocratie de Condorcet, augmenter les doses de démocratie délibérative par rapport à la démocratie représentative, etc.