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Cuba, Iran : y a-t-il une doctrine Obama ?

Les annonces médiatiques suite au rapprochement entre Cuba et les États-Unis puis à l’annonce d’un accord possible à Lausanne entre l’Iran et le groupe dit 5 + 1 sur le nucléaire iranien ont, à juste titre, conduit beaucoup d’observateurs à faire des commentaires positifs sur la nouvelle orientation de la politique étrangère américaine. Tout le monde n’est pas d’accord avec cette appréhension, les Républicains américains les plus réactionnaires et les plus conservateurs dans la classe politique iranienne ne voient pas l’annonce d’un accord d’un très bon œil. Israël veut le faire capoter mais la réaction médiatique et politique dominante a quand même été positive. De la gauche radicale aux libéraux américains, tout le monde note avec satisfaction que la diplomatie a pris la place de la guerre ou d’un conflit larvé. Il faut donc saluer ce choix de l’Administration Obama qui a su se départir des préférences guerrières affichées sur sa droite et, apparemment, mettre fin à cinquante ans de « guerre froide tropicale » à Cuba et de conflits stériles et dangereux avec Téhéran.

Une nouvelle doctrine ? …

Peu de temps après ces décisions, le 5 avril 2015, Obama a donné un entretien au journaliste vedette du New York Times, Thomas Friedman, qui émet l’hypothèse qu’Obama a maintenant défini sa doctrine. Il y aurait donc une « doctrine Obama » comme il y avait eu dans le passé une doctrine Truman ou une doctrine Nixon et une doctrine Bush. Chaque président aurait ainsi sa doctrine, qui dans certains cas serait définie surtout par d’autres. La doctrine Truman était surtout celle de Kennan et celle de George W Bush fut composée, en partie, par les néo-conservateurs et Richard Cheney le vice-président activiste. L’utilisation du mot doctrine masque cependant les lignes de continuité entre les présidences et les adaptations conjoncturelles qui ne représentent pas de changement d’orientation fondamental.

Sur Cuba, Obama a déclaré au New York Times que ce tout petit pays ne représentait aucune menace pour les États-Unis qui, de toute façon, gardaient leur puissance d’intervention dans les cas de conflit. L’Iran, a déclaré le Président, bien que plus grand ne dépense que 30 milliards de dollars pour sa défense alors que les États-Unis ont un budget militaire de 600 milliards de dollars. Donc l’Iran sait bien qu’il ne peut attaquer les États-Unis. Ces considérations réalistes sont fort justes et le budget de la défense américain dépasse du reste la somme indiquée par Obama car il est en partie disséminé dans des postes autres que militaires.

On pourrait donc se dire qu’il était grand temps pour les États-Unis de se rendre compte que de petits pays peu impressionnants sur le plan militaire ne menaçaient pas les intérêts fondamentaux des États-Unis. Obama n’abandonne pas tout à fait la rhétorique de la lutte anti-terroriste puisqu’il indique que l’Iran a soutenu des activités terroristes qui ont conduit à la mort de citoyens américains. Il ne mentionne pas, bien évidemment, les activités terroristes en Iran (sabotage informatique par le virus stuxnet, par exemple et assassinats de scientifiques iraniens probablement exécutés par le groupe MEK, Mujaheddin-e-Khalq et commandités par Israël avec coopération américaine). Il n’évoque pas non plus les années de terrorisme anti-Cuba avec tentatives d’assassinat de Fidel Castro pendant de très nombreuses années.

Dans les deux cas de Cuba et de l’Iran, le président américain évoque le terrorisme et les violations des droits humains en laissant entendre que les États-Unis seraient exempts d’activités terroristes et irréprochables sur ce plan. S’il est indéniable que la liberté d’expression n’est pas assurée pleinement à Cuba et en Iran et que les opposants politiques risquent l’emprisonnement, il n’en reste pas moins que les États-Unis ne sont pas un modèle de respect des droits humains, tant sur le plan intérieur (assassinats par la police d’hommes noirs sans sanctions judiciaire, par exemple) que sur le plan international (utilisation de drones pour tuer sans jugement, interventions militaires hors cadre légal comme en Irak ou au Kosovo, soutien aux pays comme l’Arabie saoudite ou Israël qui interviennent militairement sans passer par l’ONU).

ou une inflexion adaptative ?

La nouvelle orientation américaine ne rompt pas avec la rhétorique passée mais Obama a pris la mesure de la faiblesse des deux pays avec lesquels il veut rétablir des relations normales entre États. En effet, contrairement à ce qu’affirment dans la plus totale mauvaise foi ses contradicteurs réactionnaires aux États-Unis, la nouvelle approche américaine ne fait que traduire un rapport de forces. Cuba qui n’a jamais été un danger militaire représentait ce que l’historien américain Arthur Schlesinger avait appelé le « danger d’un bon exemple », c’est à dire que Cuba pourrait donner des idées subversives à tout le reste de l’Amérique latine en matière de redistribution des terres. Cuba n’a plus cette fonction de modèle et ne jouit plus d’un grand prestige en Amérique latine ; sa valeur d’exemple a disparu, en partie à cause des violations des droits humains et en partie à cause de ses échecs économiques. La réconciliation est donc pensable et le monde des affaires américains y est favorable car Cuba représente un marché potentiel. La fin du régime des frères Castro conduira probablement à un retour de Cuba dans l’orbite américaine. Du reste, les anti-castristes de Floride ne sont plus majoritaires chez les Cubano-Américains de Floride.

Alors que les États-Unis se rapprochent de Cuba, ils se font de plus en plus critiques du Venezuela. Là encore l’argument des droits humains est central mais évidemment problématique car si la situation à Caracas n’est pas satisfaisante, elle n’est probablement pas plus grave qu’à Ryad ; cependant les États-Unis ne songent pas à mettre des dirigeants saoudiens sur une liste noire pour leur interdire de voyager à l’étranger. Les États-Unis de Bush avaient soutenu le coup d’État contre le Venezuela en 2002 mais font aujourd’hui la leçon à un régime qui est certes loin d’être parfait. L’argument des droits humains, recevable en lui-même s’il est utilisé pour tous les violateurs du droit, devient problématique et idéologique, si son utilisation est à géométrie variable ou s’il est utilisé par un violateur du droit.

Les États-Unis ont soutenu l’intervention saoudienne à Bahreïn en 2011 qui a mis fin à une manifestation du « printemps arabe » dans un pays chiite et soutiennent l’intervention actuelle au Yémen qui n’est pas plus légale que la précédente. Lorsqu’une intervention américaine n’est pas légale les médias occidentaux la qualifient de « légitime » comme au Kosovo. Lorsqu’un pays comme la Russie intervient de façon illégale comme en Crimée, l’illégalité n’est pas redéfinie en légitimité, au contraire elle est comparée aux interventions illégales et meurtrières d’Hitler. Les États, tous les États, sont des « monstres froids » (De Gaulle) donc les violations de l’autre servent ma propagande tandis que mes violations sont passées sous silence ou redéfinies.

Obama négocie avec l’Iran, ce dont il faut se féliciter et espérer qu’Israël ne réussira pas à faire dérailler le processus pacificateur actuel, mais il s’oppose à ce pays sur certains terrains. Lorsque les États-Unis soutenaient Saddam Hussein l’agresseur dans la guerre contre l’Iran, le Président Reagan avait quand même livré des armes à Téhéran pour financer les contras au Nicaragua (scandale dit Iran-contra, 1986). Nixon en guerre au Viêt-Nam s’était rapproché de Pékin qui était l’allié d’Hanoi. C’est là l’ordinaire des relations internationales. La France vend des armes à l’Arabie saoudite qui finance des groupes en lutte contre elle ou qui sont opposés à la liberté d’expression tant vantée en France depuis les terribles attentats de janvier.

La doctrine Obama n’est donc que la poursuite du réalisme cynique théorisé par George Kennan dans les années 1940. Les principes n’ont pas beaucoup évolué même si les pays concernés sont différents. Kennan était prêt à laisser le communisme gagner en Chine et en Inde si les États-Unis contrôlaient le Japon et les Philippines. Obama peut se rapprocher d’un Cuba en perte de vitesse et promis à une américanisation par le commerce et s’entendre avec l’Iran pour que ce pays renonce à l’arme nucléaire sans pour autant changer fondamentalement son système d’alliances dans la région.

Dans son interview du 5 avril Obama s’emploie d’ailleurs surtout à rassurer Israël, mentionné 43 fois, soit une fois par minute, et à garantir le soutien total des États-Unis. La bisbille entre lui et Netanyahou ne change rien aux lignes de force de la politique étrangère américaine. Obama réaffirme aussi son soutien aux alliés sunnites des États-Unis. Il assume, de façon plus brillante et intelligente que d’autres, le pragmatisme cynique qui structure la politique étrangère américaine comme celle des autres « monstres froids ». Avec Obama, les États-Unis gèrent leur hégémonie avec les cartes qu’ils ont en main dans un contexte de compétition avec la Chine et de relance du conflit avec la Russie.

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Cette chronique est réalisée en partenariat rédactionnel avec la revue Recherches internationales à laquelle collaborent de nombreux universitaires ou chercheurs et qui a pour champ d’analyse les grandes questions qui bouleversent le monde aujourd’hui, les enjeux de la mondialisation, les luttes de solidarité qui se nouent et apparaissent de plus en plus indissociables de ce qui se passe dans chaque pays.
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