Le 1er novembre dernier, et pour la cinquième fois en quatre ans, les Israéliens étaient appelés aux urnes… pour peut-être enfin sortir de la crise politique ouverte par l’ouverture des procédures judiciaires à l’encontre de Benjamin Netanyahu en 2019.
Contre toute attente, c’est fait. Le « nœud gordien » est tranché, le leader de la droite israélienne a toutes les chances de former le nouveau gouvernement, qui pourrait de plus bénéficier d’une certaine stabilité.
Une participation électorale historique
Cette rupture temporelle politique est en premier lieu le fait d’une participation électorale particulièrement « originale » pour un pays de l’OCDE. Notons que pour un observateur français, le chiffre de 71 % de taux de participation enregistré le 1er novembre est trompeur. En effet, seuls les « présents » en Israël peuvent voter (hormis le personnel diplomatique) suivant la réglementation électorale. Or des centaines de milliers d’électeurs vivent à l’étranger, 10 % selon certains experts. Ainsi, le corps électoral pouvant effectivement voter n’est que de 88 à 90 % des inscrits.
Soulignons un second point : il n’existe pas d’inscription volontaire sur les listes électorales en Israël, c’est l’État qui s’en charge. Ainsi, toute la population en âge de voter et sans restriction (citoyens en prison par exemple) peut voter à condition d’être sur place. Rappelons pour mémoire qu’en France 5 à 6 millions de Français de plus de 18 ans ne figurent pas sur les listes électorales. Pour donner une idée, environ 83 % des électeurs, pouvant effectivement le faire, se sont rendus aux urnes. Comparé à la « population électorale globale » française, il faudrait au moins une participation de 90 % à un scrutin législatif pour égaler ce chiffre… puisque plus de 10 % des Français ne sont pas inscrits !
Ce point est essentiel, car il implique que le scrutin est incontestable au niveau national, en particulier en raison de la forte participation actuelle de la population arabe israélienne. Pendant des dizaines d’années, les Arabes d’Israël (20 % de la population) ne se sentaient pas concernés par les élections pour des raisons politiques. Aujourd’hui, ce n’est plus le cas. Certes, le taux est légèrement inférieur, en haute Galilée par exemple, mais est tout de même fort.
Le fait que ce scrutin soit « incontestable » est le premier marqueur de cette rupture politique temporelle que nous évoquions en introduction.
Grandeur et malheur de la proportionnelle intégrale
avec seuil d’éligibilité
Pour comprendre correctement la victoire, et hélas le retour prévisible de Benjamin Netanyahu, il faut revenir un instant sur le mode électoral en vigueur en Israël. Ce pays méditerranéen a adopté un régime parlementaire intégral, avec une seule chambre : la Knesset. Ce parlement est composé de 120 députés élus à la proportionnelle. Ainsi, le 1er novembre dernier, 39 listes (!) se sont présentées aux suffrages des électeurs. Seule une liste d’un parti politique dépassant le seuil de 3,25 % des votants est représentée à la Knesset. En cas de score inférieur à ce seuil, les voix sont en quelque sorte « perdues » et la répartition à la proportionnelle redistribue les sièges entre les partis politiques restant en lice, c’est-à-dire ceux au-dessus du seuil fatidique des 3,25 %. À l’issue du scrutin, le président de l’État désigne un député élu, qui semble le mieux placé à son avis, pour tenter de former une majorité, c’est-à-dire pour obtenir le vote d’au moins 61 députés.
Or, catastrophe pour les adversaires de la droite : lors de cette dernière élection deux partis anti-Netanyahu n’ont pas, d’extrême justesse, réussi à franchir le seuil de 3,25 %, le parti arabe Balad (3,02 %) et le parti de gauche Meretz (3,19 %). Ainsi 6,21 % des voix et 8 députés ont été « perdus ». Le premier problème vient de la division des partis arabes. Ils se présentaient précédemment sous une liste unique, qui avait obtenu jusqu’à 15 députés, formant le deuxième groupe parlementaire de la Knesset. Ce 1er novembre, les islamistes de Raam, parti par ailleurs membre de la majorité du gouvernement Lapid, les communistes de Hadash Tall et les nationalistes de Balad, se sont présentés en ordre dispersé. Si les deux premières organisations arabes ont passé le seuil et ont obtenu chacune 5 députés, le parti Balad est passé à la trappe.
C’est un peu le même phénomène qui s’est produit pour les partis de gauche. Le parti travailliste Avoda aurait pu s’allier avec celui de la gauche radicale Meretz. Mais chacun a préféré faire cavalier seul. Si Avoda s’en sort de justesse avec 4 députés, le Meretz a disparu du paysage parlementaire. En fait, le parti de centre gauche du Premier ministre Lapid, Yesh Atid, a « aspiré » les voix de gauche. Ancien présentateur de télévision, Lapid a séduit les électeurs de cette tendance. Par ailleurs, la conclusion à la veille du scrutin de l’accord gazier avec le Liban a renforcé son image de marque. Avec 24 députés Yesh Atid devient le deuxième groupe parlementaire.
La droite et l’extrême droite ne progressent absolument pas…
mais s’unifient
En fait, les déplacements de voix entre la gauche et le centre gauche d’une part, et la droite et l’extrême droite d’autre part, ont été quasi nuls. Lors du dernier scrutin, nous avons plutôt assisté à des recompositions à l’intérieur des tendances politiques.
Tentons de nous extraire un instant des commentaires stéréotypés des journalistes soi-disant « spécialistes » du Proche-Orient et regardons de près les chiffres par rapport aux dernières élections. En 2021, la droite et l’extrême droite étaient représentées par le Likoud de Netanyahu, Yamina de Bennet et le parti sioniste religieux de Smotrich. Le résultat en 2021 fut respectivement de 33 pour le Likoud, de 7 Yamina et de 6 pour le PNR, soit 46 députés. En 2022, cette même tendance droitiste est représentée toujours par le Likoud et simplement par le PNR, le parti de Bennet, Yamina (qui veut dire en français « À droite ! ») ayant disparu du paysage. Le 1er novembre dernier, le Likoud a fait 32, un recul d’un siège donc, et le PNR 14… soit également 46 députés au total. Nous constatons qu’il s’agit très exactement du même score ! Il serait bon que les commentateurs « spécialistes » s’astreignent à passer au moins une minute à l’observation des résultats avant d’écrire leurs articles ! ReSPUBLICA tente de s’y astreindre (voir article sur les élections de 2021).
Ainsi, à droite, le parti historique Likoud dirigé par Netanyahu a légèrement reculé. L’extrême-droite s’est rassemblée en une seule entité politique et a grappillé un siège à la droite classique, le Likoud. Voilà la réalité.
Unifiée, l’extrême-droite atteignant 12 % n’en est pas moins dangereuse, par son idéologie et ses pratiques terroristes, en Cisjordanie occupée. Dirigé par Bezalel Smotrich et Itamar Ben Gvir, deux anciens fanatiques du rabbin Meir Kahana, le Parti sioniste religieux a totalement ratissé la tendance de Bennet, l’ex-Premier ministre, considéré comme « traître » par ses électeurs, car s’étant compromis avec Lapid et la gauche dans le dernier gouvernement d’unité nationale. Les électeurs radicaux, souvent issus des colonies de Cisjordanie, n’ont pas pardonné cette trahison et ont fait disparaître le parti de Bennet. Celui-ci a d’ailleurs annoncé son retrait définitif de la vie politique.
Formation de la coalition : le bloc religieux
se vend toujours au plus offrant
Reste que 46 députés sont largement insuffisants pour former une coalition gouvernementale, car il en faut 61. Or, avec ses 18 députés, le bloc religieux peut apporter le complément et permettre à Netanyahu de former son gouvernement. Ce bloc religieux est formé par deux partis : le « Judaïsme unifié de la Thora » (religieux ashkénazes et anti-sionistes), et le Shass (religieux « orientaux » et neutres sur la question du sionisme). Ils ont gagné respectivement 8 et 10 députés. Ces deux organisations représentent une population orthodoxe vivant pratiquement en vase clos dans des quartiers ou des villes spécifiques (par exemple Bnei Brak près de Tel-Aviv, ou le quartier de Mea-Sharim à Jérusalem).
Ces deux organisations politiques sont totalement polarisées sur quatre questions : le subventionnement des écoles religieuses et le fait de ne pas y enseigner des matières profanes comme les mathématiques par exemple, le maintien de l’exemption du service militaire pour les jeunes religieux, le maintien des bourses pour les étudiants de la Thora, et enfin le respect absolu du Shabbat (interdiction des transports publics et de l’ouverture de tous les commerces…).
Avec le cynisme et l’opportunisme qui le caractérisent, Netanyahu a déjà annoncé qu’il satisferait pleinement aux exigences des religieux. Le projet de lier la subvention aux écoles religieuses à l’obligation d’enseigner, les mathématiques, la physique ou l’anglais sera, d’après sa promesse, supprimé. Quant à l’obligation du service militaire, la tentative d’obliger les religieux à l’effectuer est remise aux calendes grecques par le leader du Likoud.
Netanyahu ou l’éternel retour
Le leader de la droite a donc de grandes chances de former un gouvernement d’ici une quinzaine de jours. Remarquable tacticien politique, il a surclassé un Lapid qui s’est révélé d’une totale nullité sur ce plan, d’une part en « aspirant » les voix de gauche et d’autre part en ne nouant pas un accord avec les partis arabes. Par ailleurs, tout miser sur les problèmes judiciaires de son adversaire n’est jamais une solution politique. Cela s’est vérifié hier en Italie avec l’opération « mains propres » qui a amené Berlusconi au pouvoir. Cela se vérifie aujourd’hui en Israël avec le retour de Netanyahu.
La ligne de plus forte pente est que Netanyahu, ce vieux routier de la vie politique israélienne (12 ans à la tête du gouvernement, record absolu devant Ben Gourion), appliquera certainement la même politique qu’il a menée par le passé. Politique libérale et anti-sociale sur le plan intérieur et colonisation accélérée en Cisjordanie, seront les deux axes de son intervention gouvernementale… comme toujours.
Sur le plan international, son élection est très décevante pour les États-Unis. Biden a tout fait, comme Macron d’ailleurs, pour soutenir « l’extrême centriste » Lapid. Gageons que Netanyahu, ancien ambassadeur à Washington et fin connaisseur des arcanes de la politique fédérale américaine, saura établir un rapport de force avec le Grand Allié, comme il l’a fait par exemple sous Obama. Par contre, sur l’Ukraine et les rapports avec son « ami » Poutine, les choses peuvent évoluer. Récemment, dans une interview au New York Times, Netanyahu semblait changer de position… par pur opportunisme comme à son habitude.
Reste la question principale, celle de l’Iran. Netanyahu a toujours été prudent sur le plan militaire. En Israël, les guerres ont très majoritairement été menées par des gouvernements de gauche. Mais l’échéance de la « bombe atomique islamique iranienne » se rapproche, et des décisions graves seront à prendre. Netanyahu n’est pas le meilleur sur ce genre de terrain, c’est toute la différence entre lui et Ben Gourion, Golda Meir, ou encore Rabin.