Source – Analyse IRIS, 19 mai 2017 : http://www.iris-france.org/95123-le-chef-de-letat-interimaire-michel-temer-accuse-de-corruption-ou-va-le-bresil/
Suite à la révélation de corruption accusant le président brésilien Michel Temer, oppositions, grande presse et bourse réclament sa démission. L’analyse de Jean-Jacques Kourliandsky, chercheur à l’IRIS.
Ce scandale pourrait-il mener à la destitution ou à la démission du président Michel Temer ? Quelle serait alors l’alternative politique envisageable ?
Les faits reprochés au président pourraient effectivement le conduire à démissionner. À la suite de révélations similaires, le sénateur et président du Parti social-démocrate brésilien (PSDB) – candidat malheureux aux présidentielles de 2014 -, Aecio Neves, vient de se voir retirer son mandat de sénateur. Il a en conséquence démissionné et remis à disposition du PSDB sa charge de président du parti. Sa principale collaboratrice – qui se trouve être sa sœur – est actuellement en prison. Ainsi, pour le même type d’accusation, ce sénateur a été contraint de s’écarter du jeu politique.
Le cas du président Michel Temer est certes différent. En tant que président de la République, il bénéficie d’un statut judiciaire particulier – comme dans d’autres pays. Cela étant, compte-tenu de l’ampleur du scandale, combien de temps va-t-il pouvoir résister ? Déjà une demi-douzaine de demandes de destitution ont été présentées à la justice brésilienne par des parlementaires. Beaucoup d’élus considèrent que la meilleure solution serait que le président présente volontairement sa démission. Néanmoins, si effectivement sous la pression des élus, de la presse – en particulier du groupe Globo, dont le rôle avait déjà été très important en 2016 pour la destitution de Dilma Rousseff – de la bourse et de la rue, Michel Temer démissionnait, une grande inconnue demeurerait : dans quelles conditions le Brésil pourrait-il être dirigé jusqu’aux prochaines élections d’octobre 2018 ? La Constitution prévoit l’organisation d’élections pour suppléer la vacance au sommet de l’État survenue durant les deux premières années d’un mandat présidentiel. Ce délai étant dépassé, c’est au vice-président d’assurer la fin du mandat. Le pays est déjà dans ce cas de figure puisque l’an dernier, la présidente Dilma Rousseff, élue en 2014, a été écartée du pouvoir par un coup d’État parlementaire dont les motivations strictement politiques n’ont rien à voir avec des scandales de corruption – contrairement à ce que disent souvent les médias français. La Constitution ne prévoit pour une nouvelle relève en fin de mandat présidentiel qu’une seule option : l’élection de l’éventuel successeur du chef de l’État, ou du vice-président intérimaire, par un candidat élu par les parlementaires. Or, quand on connaît l’état politique et éthique du Parlement élu en 2014, il est difficile de penser que cette solution serait acceptée comme satisfaisante par les Brésiliens.
La destitution constitutionnelle, au cas où le président refuserait de démissionner, suppose la mise en œuvre d’une procédure initiée par les élus. DilmaRousseff avait été instruite par une commission d’enquête créée avec l’aval et les encouragements du président du Congrès de l’époque, Eduardo Cunha, actuellement emprisonné pour corruption. Celui-ci, avec une majorité d’élus eux-mêmes accusés de corruption, avaient écarté la présidente en détournant les dispositifs requis par la Constitution. Cette dernière ne prévoit une relève présidentielle que dans le cas où une violation grave de la Constitution et de la morale publique était constatée. Ce cas de figure pourrait être appliqué avec pertinence pour destituer Michel Temer. Mais cette voie apparaît peu crédible compte tenu du sinistre moral, politique et économique ambiant, de même que du discrédit du Parlement et des élus.
En quoi la corruption représente-t-elle un sujet particulièrement sensible au Brésil ?
La corruption est un thème de débat sociétal et politique dans tous les pays se trouvant dans une situation socio-économique compliquée, ce qui est le cas du Brésil. Depuis le rétablissement de la démocratie dans le pays, le fonctionnement du système politique et des règles électorales pose des problèmes récurrents, politiques comme éthiques. Dans ce pays fédéral, le système électoral éclate la représentation partisane. Ainsi, depuis le rétablissement de la démocratie, tous les gouvernements ont été à majorité composite avec des têtes de file venant la plupart du temps du PSDB ou PT (les deux grands partis). Cependant, ces partis ont toujours été très minoritaires au Parlement et ont donc dû négocier avec cinq à dix autres formations, plus ou moins importantes. Bien souvent, des compensations sont exigées par ces alliés de circonstance, ce qui ouvre la voie à toute sorte d’abus et de fait, de corruption.
La réforme politique et électorale est un serpent de mer de la vie politique brésilienne. Tout le monde sait qu’il faudrait assainir la vie politique en modifiant le mode d’élection pour simplifier le fonctionnement de la vie partisane, ainsi que procéder à de profondes réformes institutionnelles. Néanmoins, aucun président n’a eu soit le courage d’affronter les petits partis du Congrès, soit n’a eu la capacité de pouvoir le faire. La crise de l’an dernier a été démonstrative de ces dysfonctionnements. Les députés opposés au programme économique de Dilma Rousseff ont voté sa destitution, alors qu’ils étaient en théorie membres de sa majorité. Ils ont basculé de la majorité vers l’opposition du jour au lendemain, du fait de leur manque de « consistance » idéologique et morale. DilmaRousseff a fait l’objet d’une manipulation parlementaire et politique visant à l’écarter du pouvoir pour changer de politique économique et sociale. Parallèlement, des collaborateurs des présidents Lula et Rousseff ont été mis en examen et condamnés pour des faits de corruption, relevant du mode de fonctionnement institutionnel brésilien, signalé supra. L’ex-président Lula a fait l’objet de poursuites nombreuses, qui n’ont pas abouti mais qui se sont accentuées depuis l’an dernier.
Mais l’affaire actuelle, qui vise Michel Temer, l’ex-sénateur Aecio Neves, ainsi que leurs amis politiques du PMDB et du PSDB, a révélé qu’une fois lancée, la justice ne peut pas s’arrêter aux affaires concernant le seul PT : tout le système étant gangrené, de fil en aiguille tous les partis politiques sont aujourd’hui sur la sellette. On assiste, comme en Italie avec l’opération « Mani pulite », à l’explosion du système politique brésilien, ce qui pose trois sortes de problèmes. Le premier concerne la gouvernabilité du pays. Le deuxième a trait au devenir de la démocratie brésilienne. Le troisième concerne les conséquences sur le contexte économique déjà difficile dans lequel est plongé le pays depuis plusieurs années.
Un an après sa prise de fonction controversée, quel est le bilan global de la présidence Temer ? La multiplication des manifestations illustre-t-elle une crise politique et socio-économique d’une ampleur sans précédent dans le pays ?
Le président Temer est arrivé au pouvoir au terme d’un coup d’État parlementaire, alimenté par un certain nombre d’élus proches des milieux d’affaires et des medias dominants. Ceux-ci considéraient la politique suivie par Dilma Rousseff et le PT comme trop favorable aux catégories populaires, empêchant la mise en œuvre d’une autre politique économique, nécessaire au rétablissement « des grands équilibres ». Selon eux, le Brésil se devait de pratiquer une politique d’austérité, coupant dans les budgets sociaux et d’investissements et réorientée vers les États-Unis et l’Europe.
Conformément à cette orientation, Michel Temer a pris des mesures d’austérité. La plus spectaculaire a consisté à geler le budget de l’État fédéral pendant vingt ans au niveau de celui de 2016. Cela a provoqué des troubles et des revendications sociales, ainsi qu’un regain de popularité pour l’ex-président Lula. Ces mesures n’ont par ailleurs pas redressé la situation de l’économie. La croissance n’est toujours pas au rendez-vous, tandis que le chômage réel s’élève aujourd’hui à 24% de la population active, soit deux points de plus qu’en 2016. La crise que vivait le Brésil à l’époque de Dilma Rousseff, loin de s’atténuer, s’est donc approfondie. C’est peut-être l’une des clefs des révélations faites par le journal brésilien OGlobo, qui avait aussi été à la manœuvre pour la destitution de Rousseff et que l’on retrouve en première ligne aujourd’hui. Les milieux d’affaires sont insatisfaits. Michel Temer n’a non seulement pas su redresser la situation économique mais il n’a pas réussi non plus à arrêter les processus judiciaires en cours, qui déstabilisent la plupart des grandes entreprises brésiliennes ayant donné de l’argent aux partis politiques. Le délateur à l’origine des déboires de Michel Temer n’est rien moins que Joesey Batista, le patron du numéro 1 mondial de la viande froide, JBS.