Quelles pourraient être les conséquences de la guerre russo-ukrainienne ? Une analyse intermédiaire

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Photo-montage avec 9 cubes épelant le mos SANCTIONS avec en arrière-plan trois mini-drapeaux des USA, de la Russie et de l'Europe

Texte écrit le 8 avril 2022.
Une seconde partie abordera en particulier le traitement de l’afflux de réfugiés ukrainiens

Après avoir reconnu l’indépendance de la République populaire de Donetsk et de la République populaire de Louhansk, le 21 février, la Russie a décidé d’envoyer des troupes sur ces territoires au motif de maintien de la Paix. Cette première série d’actions fut condamnée par l’Union européenne, les États-Unis, l’ONU et la majorité des membres du Conseil de sécurité comme contraire au droit international. De manière unilatérale la Russie a décidé d’envahir l’Ukraine le 24 février.  Le même jour, dans la soirée, l’Union européenne décide d’exercer des sanctions contre Vladimir Poutine, certains de ses proches et la Russie en général.

Pour l’auteur, la Russie(1)Je parle de Russie et non de Poutine, seul, car la décision ne fut pas celle d’un homme, mais d’un groupe. est la seule responsable de l’invasion, car c’est elle qui en a pris la décision. Et s’il est possible et utile d’analyser des causes extérieures à la Russie, le choix ultime de l’action est le sien.

Quelles peuvent être les conséquences de ces sanctions pour la communauté internationale, pour l’UE en enfin pour la France et les Français ?

La réaction de l’Organisation des Nations Unies

Dès le 24 février, l’ONU a condamné la Russie, car elle considère que la Russie a commis une violation de l’intégrité du territoire et de la souveraineté de l’Ukraine et que celle-ci est contraire aux principes de la Charte des Nations Unies.

Le 24 mars, l’Assemblée générale des Nations Unies a adopté une résolution sur les conséquences humanitaires de la guerre en Ukraine, dans laquelle elle exige un arrêt « immédiat » des hostilités par la Russie contre l’Ukraine (140 voix pour, 5 contre et 38 abstentions). Le 2 mars, l’Assemblée générale avait adopté une résolution déplorant « l’agression » commise par la Russie contre l’Ukraine (141 voix pour, 5 contre et 35 abstentions).(2)https://unric.org/fr/onu-et-la-guerre-en-ukraine-les-principales-informations/

Considérant que l’invasion russe en Ukraine est objectivement une violation de la Charte des Nations unies, il était concevable que sur ce principe, tous les états membres de l’ONU (hormis l’agresseur) condamnent cette invasion. Or ce ne fut pas le cas. La Russie, la Biélorussie, la Corée du Nord, l’Érythrée et la Syrie ont voté contre pour des raisons différentes. La Russie et la Biélorussie par intérêt convergent, les autres davantage par opposition à l’Occident. Ce qui est intéressant ce sont les 38 abstentions. On y trouve la Chine ainsi que 16 pays du continent africain : l’Algérie, l’Angola, le Burundi, le Congo- Brazzaville, la Guinée équatoriale, Madagascar, le Mali, le Mozambique, la Namibie, le Soudan, le Soudan du Sud, l’Afrique du Sud, le Sénégal, la Tanzanie, l’Ouganda et le Zimbabwe. Or s’abstenir dans ce cadre spécifique, c’est accepter le principe de l’agression ou du moins ne pas vouloir condamner l’agresseur. Ce vote est peut-être un indice supplémentaire d’une repolarisation du Monde, avec des pays supplétifs à côté ou en face de l’Hégémon americano-européen.

On constate cependant une forte division des pays africains. Certains considèrent que l’éloignement du conflit les conduit à ménager les camps en présence. D’autres respectent des coopérations antérieures. Selon Michel Galy, politologue, spécialiste de l’Afrique de l’Ouest : « Ce vote est divisé en trois parties avec les pays niches de l’Occident qui sont des alliés automatiques, les anciens alliés de l’URSS et de la Russie comme l’Algérie et l’Afrique du Sud ainsi qu’un groupe un peu erratique qui démontre une incapacité de décision commune.»(3)https://information.tv5monde.com/info/vote-de-la-resolution-de-l-onu-sur-l-ukraine-une-abstention-des-pays-africains-remarquee-447179

Ce vote nous indique aussi qu’il est plus que temps que les pays occidentaux se contentent de promouvoir le respect du droit international dans le monde (ce qui serait déjà un progrès si cette promotion était faite sans arrière-pensées) et cessent de penser ou d’agir pour imposer les valeurs occidentales(4)Ces valeurs peuvent être louables en elles-mêmes s’il s’agit d’égalité des droits, d’égalité entre les sexes, de respect des libertés, de solidarité, etc. par la force armée ou par la force économique. Si certains pays occidentaux ont des ennemis, il est inutile, voire idiot, qu’ils s’en créent de nouveaux par incompréhension, par mépris ou par arrogance.

La suspension de la Russie du Conseil des droits de l’homme

Le 7 avril, l’Assemblée générale des Nations Unies a adopté une résolution par laquelle elle suspend la Russie du Conseil des droits de l’homme des Nations Unies en raison de la guerre russo-ukrainienne. L’Algérie, la Biélorussie, la Bolivie, le Burundi, l’Afrique centrale, la Chine, le Congo, Cuba, la Corée du Nord, l’Érythrée, l’Éthiopie, le Gabon, l’Iran, le Kazakhstan, le Kirghizistan, le Laos, le Mali, le Nicaragua, la Russie, la Syrie, le Tadjikistan, l’Ouzbékistan, le Vietnam et enfin le Zimbabwe ont voté contre cette résolution.

La résolution a été adoptée par 93 votes pour, 24 votes contre et 58 abstentions. Le texte devait obtenir une majorité des deux tiers (sans tenir compte des abstentions) pour être adopté. Les abstentionnistes comprenaient notamment l’Inde, le Brésil, l’Afrique du Sud, le Mexique, l’Égypte, l’Arabie saoudite, les Émirats arabes unis, la Jordanie, le Qatar, le Koweït, l’Irak, le Pakistan, Singapour, la Thaïlande, la Malaisie, l’Indonésie et le Cambodge.

Lors de ce vote, on peut constater une érosion de la condamnation de la Russie, puisqu’on passe de 140 pays qui condamnent l’invasion le 24 février à 93 pays qui demandent la suspension de la Russie du Conseil des droits de l’homme. Il y a eu un précédent en 2011 concernant la Libye, mais il est à noter que ce sont les deux seuls cas depuis 1945 et que d’autres pays en guerre et qui bombardent des populations civiles n’ont pas été suspendus de ce Conseil. Ce double standard, loin de justifier des actions illégales au regard du droit international, doit nous inviter à analyser plus profondément d’un point de vue diplomatique et géostratégique un tel choix. Cela sera fait dans un article ultérieur. La Russie a annoncé après ce vote de suspension qu’elle quittait son mandat au sein du Conseil, qui courrait jusqu’en janvier 2024.

La réaction de l’Union européenne 

Les sanctions de 2014

Il est utile de rappeler que l’Union européenne a engagé un processus de sanctions économiques contre la Russie depuis le 3 mars 2014 (certaines courraient jusqu’en 2022) en conséquence des évènements de Crimée. Elles concernaient les secteurs financier, commercial, de l’énergie, des transports, de la technologie et de la défense.

Sanctions financières : il s’agissait de la limitation de l’accès aux marchés primaire et secondaire des capitaux de l’UE pour certaines banques et entreprises russes, l’interdiction d’effectuer des transactions avec la Banque centrale russe et la Banque centrale de Biélorussie, l’exclusion de certaines banques russes et biélorusses du système SWIFT, l’interdiction de fournir des billets de banque libellés en euros à la Russie et à la Biélorussie, l’interdiction de tout financement public ou investissement en Russie, enfin l’interdiction d’investir dans des projets cofinancés par le Russian Direct Investment Fund et d’y contribuer.

Sanctions relatives à l’énergie : il s’agissait de l’interdiction des exportations vers la Russie de biens et technologies dans le secteur du raffinage de pétrole, l’interdiction de nouveaux investissements dans le secteur de l’énergie russe.

Sanctions en matière de transports : fermeture de l’espace aérien de l’UE à tous les aéronefs de propriété russe et immatriculés en Russie, interdiction des exportations vers la Russie de biens et technologies dans le secteur de l’aviation, le secteur maritime et le secteur spatial.

Sanctions sur la défense : interdiction des exportations vers la Russie de biens à double usage(5)Un bien à double usage est « un produit, y compris les logiciels et les technologies, susceptible d’avoir une utilisation tant civile que militaire; ils incluent tous les biens qui peuvent à la fois être utilisés à des fins non explosives et entrer de manière quelconque dans la fabrication d’armes nucléaires ou d’autres dispositifs nucléaires explosifs » (définition donnée par le Règlement (CE) nº 1334/2000 du Conseil du 22 juin 2000 instituant un régime communautaire de contrôles des exportations de biens et technologies à double usage). et de produits technologiques qui pourraient contribuer aux capacités de défense et de sécurité de la Russie, l’interdiction du commerce des armes.

Enfin, interdiction des importations de fer et d’acier en provenance de Russie dans l’UE pour les questions industrielles et interdiction de l’exportation des produits de luxe pour le reste.

Ces sanctions ont été prises en 2014 et renouvelées en 2016 et courraient jusqu’en septembre 2022.

Les sanctions à ce jour

Les premières sanctions prises par suite de la reconnaissance de la République populaire de Donetsk et la République populaire de Louhansk, le 21 février par la Russie datent du même jour et ajoutent 5 personnes supplémentaires de l’entourage de Vladimir Poutine comme objet de sanction. Ces sanctions consistent, en particulier, en gel des avoirs financiers des personnes cibles dans les institutions bancaires de l’Union ainsi qu’en statut de persona non grata c’est-à-dire l’interdiction de se rendre dans un pays de l’Union.

Le 23 février, les nouvelles sanctions concernèrent 351 membres de la Douma d’État russe et 27 personnes supplémentaires, des restrictions applicables aux relations économiques avec les régions non contrôlées par le gouvernement des oblasts de Donetsk et de Louhansk et enfin des restrictions de l’accès de la Russie aux marchés et services financiers de l’UE(6)https://www.consilium.europa.eu/fr/policies/sanctions/restrictive-measures-against-russia-over-ukraine/history-restrictive-measures-against-russia-over-ukraine/.

Le 24 février, d’autres sanctions furent prises concernant le secteur financier, les secteurs de l’énergie et des transports, les biens à double usage (militaire et civil), le contrôle des exportations et le financement des exportations, la politique des visas, des sanctions supplémentaires contre des ressortissants russes, de nouveaux critères d’inscription sur les listes(7)ibid.

Le 1er mars, l’UE a décidé « la suspension des activités de diffusion de Sputnik et Russia Today jusqu’à ce que l’agression contre l’Ukraine prenne fin et jusqu’à ce que la Fédération de Russie et les médias qui lui sont associés cessent de mener des campagnes de désinformation et de manipulation de l’information contre l’UE et ses États membres »(8)https://www.consilium.europa.eu/fr/policies/sanctions/restrictive-measures-against-russia-over-ukraine/. S’il est évident que ces deux médias étaient des outils d’influence de la Russie, ils l’étaient au même titre que France24 pour la France ou CNN international pour les États-Unis.

Ces « suspensions » manifestent un choix de limitation de la liberté d’expression sur des motifs d’ordre généraux et imprécis et non pas sur une liste de faits concrets reprochables. Cela pose des difficultés juridiques certaines en droit français et en droit européen. La jurisprudence de la Cour européenne rappelle que, dans la mesure où les opinions conflictuelles sont la marque de la démocratie, la liberté d’expression « vaut non seulement pour les informations ou idées accueillies avec faveur ou considérées comme inoffensives ou indifférentes, mais aussi pour celles qui heurtent, choquent ou inquiètent : ainsi le veulent le pluralisme, la tolérance et l’esprit d’ouverture sans lesquels il n’est pas de société démocratique. Tel que la consacre l’article 10, elle est assortie d’exceptions qui appellent toutefois une interprétation étroite, et le besoin de la restreindre doit se trouver établi de manière convaincante »(9)CEDH 7 déc. 1976, Handyside c. Royaume-Uni, n° 5493/72 ; CEDH, gr. ch., 16 juin 2015, Delfi c. Estonie, n° 64569/09, § 131, Dalloz actualité, 30 juin 2015, obs. S. Lavric ; RTD eur. 2016. 341, obs. F. Benoît-Rohmer.. Ainsi la généralité des motifs invoqués par l’UE ne nous semble pas convaincante et l’UE nous semble avoir pris une décision contraire à ses propres principes.

En outre, ce type de décision européenne n’est pas applicable directement en droit interne-en ce qui nous concerne, en droit français. Il appartient aux États membres de mettre en œuvre cette mesure de suspension. L’Arcom, l’ancien CSA, s’est contentée d’un communiqué de presse du 2 mars 2022 qui précisait « ces décisions, qui ont notamment pour effet de suspendre la convention et la distribution de RT France, sont d’application directe et immédiate par tous les opérateurs concernés à compter de ce jour »(10)https://www.arcom.fr/presse/decisions-de-lunion-europeenne-relatives-rt-et-sputnik (soit que les décisions européennes relatives à RT et Sputnik s’appliquaient immédiatement à tous les opérateurs). Or les décisions de suspension doivent suivre une procédure particulière. Comme le précise l’Agence elle-même, « l’Arcom ne statue jamais dans l’instant, mais au terme d’une procédure respectueuse des droits des parties. L’Arcom intervient auprès de la chaîne, de la station ou du service s’il constate de leur part une infraction. Le problème relevé est qualifié juridiquement, c’est-à-dire, que les faits relevés sont traduits en termes juridiques dans le but de déterminer la règle de droit applicable. Puis l’Arcom engage un dialogue avec les chaînes ou radios pour connaître leurs observations. »(11)https://www.csa.fr/Reguler/J-ai-alerte-l-Arcom-et-maintenant

Un autre sujet de questionnement est le statut des salariés en France de ces deux chaînes russes : ni licenciés ni en activité partielle, mais « suspendus », ils ne bénéficient, à notre connaissance d’aucune protection salariale actuellement.

Portée des sanctions

Nous avons pu constater qu’à cette première occasion, les États membres de l’Union européenne ont montré une unité de façade puisque chacun a essayé d’éviter que son économie ne soit trop endommagée par les sanctions économiques envers la Russie puis ultérieurement envers la Biélorussie. La France a essayé de faire sortir l’énergie nucléaire du pack de sanctions, l’Allemagne le gaz et le pétrole russes ainsi que certaines banques russes de l’exclusion du système SWIFT, les Italiens les produits de luxe et les Belges, les diamants, etc.

Plusieurs éléments sont à rappeler à ce stade. Le premier est que le 20 février, Emmanuel Macron avait annoncé qu’une réunion Biden-Poutine serait organisée afin de diminuer la tension sur le sujet ukrainien et que c’est le lendemain que V. Poutine reconnaissait les républiques séparatistes du Donbass. Une humiliation diplomatique s’il en est !

Il est hautement probable qu’au moment où Emmanuel Macron prend la décision d’engager la France dans la logique de sanctions prises par l’UE, il n’a pas une connaissance précise et fine des conséquences de ces sanctions pour la France

Le deuxième point est qu’à partir du 21 février les services de l’État ont commencé à travailler sur les conséquences possibles sur l’économie française d’éventuelles sanctions contre la Russie. Il est hautement probable donc qu’au moment où Emmanuel Macron prend la décision d’engager la France dans la logique de sanctions prises par l’UE, il n’a pas une connaissance précise et fine des conséquences de ces sanctions pour la France, par manque de temps pour analyser les intrications entre les économies française et russe d’une très grande complexité. De notre point de vue, il s’agirait davantage d’une position prise dans une logique de groupe celui constitué par les États-Unis et l’Union européenne qu’une décision rationnelle et proportionnée sur des éléments concrets et précis.

Enfin, il convient d’expliquer les raisons de la demande allemande d’exclure certaines banques russes des sanctions. Une logique évidente de sanction conduirait à ce qu’il n’y ait pas d’exception. Or il y en a.

La logique allemande

Cette demande de l’Allemagne tient à la structuration du marché mondial des hydrocarbures. En effet ce marché est constitué à 40 % de vente au comptant et à 60 % de vente à terme. La vente au comptant est le type de vente que nous expérimentons tous lorsque nous faisons nos propres achats : nous choisissons un produit, nous le payons au moment de l’échange et nous repartons avec le produit payé chez nous.  La vente à terme quant à elle nécessite trois acteurs :  un producteur qui vend une production qui n’a pas encore eu lieu, un acheteur qui achète à l’avance cette production encore inexistante et enfin un intermédiaire, une banque qui assume le risque financier de la non-livraison ou du non-paiement.  Bien évidemment, la banque prend une commission substantielle au passage afin de compenser le risque qu’elle prend ou qu’elle déclare prendre. Ainsi sortir du système SWIFT de paiement mondial, des banques russes qui servent d’intermédiaire dans les achats à terme de pétrole russe peut conduire à des pertes financières immenses, voire à des faillites d’entreprises allemandes dépendant de ces hydrocarbures russes (ce serait vrai aussi pour des entreprises non allemandes, par exemple françaises, mais c’est l’Allemagne qui a fait cette demande et a obtenu gain de cause).

En effet, imaginons que la Lufthansa, compagnie aérienne grande consommatrice d’hydrocarbures ait acheté à terme du pétrole russe en 2021 sur la production de 2022. Imaginons toujours que le producteur russe ait vendu son pétrole non encore extrait au prix de 80 $ le baril. Ce prix de vente était plus élevé que le prix du marché au moment de la signature du contrat, mais moins élevé que ce qu’anticipait la Lufthansa : tout le monde était satisfait. Et patatras, l’Union européenne fait sortir la banque intermédiaire russe de SWIFT. Le producteur russe ne peut plus vendre – c’est le but recherché par cette sanction -, il cherchera un client ailleurs. Mais pour la Lufthansa le problème est plus grave. D’une part elle a déjà payé une partie de sa commande pour consolider le contrat, mais surtout elle devra acheter son carburant non plus à 80 $ le baril, mais au prix du marché comptant c’est-à-dire à 105,25 $ le 31 mars 2022. Soit une augmentation de 31 %. Voilà l’illustration de la demande de l’Allemagne de sortir du pack de sanctions certaines banques russes spécialisées dans la vente à terme d’hydrocarbures russes.

Les dernières mesures en date

Le 6 avril, l’Union européenne a envisagé un 5e ensemble de sanctions. « Nous proposons donc de durcir encore nos sanctions. Elles limitent les options politiques et économiques du Kremlin. Elles affectent la Russie beaucoup plus durement que nous. Et ce ne seront pas nos dernières sanctions. »(12)https://twitter.com/vonderleyen/status/1511610546868654084?s=20&t=w2WqwxvJbpUC5ny7VCPhOg a déclaré à ce propos la présidente de la Commission européenne.

Le 7 avril, le Parlement européen a approuvé une résolution dans laquelle il « exige un embargo total sur les importations de pétrole, charbon, combustible nucléaire et gaz en provenance de Russie ». Cette résolution n’a pas de valeur contraignante. Le même jour, les représentants d’États membres auprès de l’UE ont adopté le 5e ensemble de sanctions. Ce paquet interdit d’importer du charbon en provenance de Russie (ce qui devrait représenter 4 milliards d’euros par an-ce qui est la consommation européenne actuelle) ; d’opérer des transactions avec quatre grandes banques russes, dont VTB (Vnechtorgbank, Banque de commerce étranger), ces opérations représentant 23 % de la part de marché dans le secteur bancaire russe ; d’accéder aux ports de l’UE pour les navires russes et les navires exploités par la Russie ; de vendre à la Russie (pour une valeur de 10 milliards d’euros) certains produits comme des ordinateurs quantiques, des semi‑conducteurs, des équipements de transport… ; d’importer certains produits (bois, ciment, fruits de mer, liqueurs…) en réduisant des flux financiers en provenance de la Russie (pour une valeur de 5,5 milliards d’euros) ; de faire participer, au niveau de l’UE, des entreprises russes aux marchés publics des États membres.

Toujours est-il que l’Union européenne s’est alignée sur les demandes des États-Unis. Mais que dit le président américain à ce propos ? Félicite-t-il l’Union pour cette courageuse lutte contre la Russie ? Joe Biden a déclaré : « je sais, je sais que couper le gaz russe va nuire à l’Europe, mais il ne s’agit pas uniquement de bonnes choses à faire moralement. Il s’agit également de nous mettre dans une position stratégiquement supérieure » La question est : qui sera en position stratégique supérieure ? L’Union européenne ou les États-Unis ? Nous penchons, hélas, davantage pour le second cas.

L’Europe a-t-elle capitulé sur l’accès à ses données en échange de gaz américain ? Si c’était le cas, mais à ce stade, nous n’avons pas d’éléments probants, ce serait à nouveau la marque d’une forme de féodalisation de l’Union européenne aux États-Unis.

Cette analyse est confortée par l’annonce conjointe tout à fait surprenante, le 30 mars, de la Commission européenne et de la Maison-Blanche de la signature d’un accord de principe pour encadrer le transfert de données transatlantiques, alors que la situation était bloquée depuis 2020. Ils ont tous deux annoncé aussi l’annulation du précédent cadre légal, le Privacy Shield, jugé non conformes au RGPD par la Cour de justice européenne (CJUE). Ce déblocage inattendu intervient en même temps qu’un autre accord permettant à l’UE de réduire sa dépendance au gaz russe en important davantage de gaz américain. Étant donné que les États-Unis n’ont pas accepté de se soumettre au RGPD, la question se pose : l’Europe a-t-elle capitulé sur l’accès à ses données en échange de gaz américain ? Si c’était le cas, mais à ce stade, nous n’avons pas d’éléments probants, ce serait à nouveau la marque d’une forme de féodalisation de l’Union européenne aux États-Unis.

Il faut aussi prendre en considération la parité euros/dollars pour envisager les conséquences de la situation actuelle. Depuis le début de la guerre russo-ukrainienne, l’euro a perdu 1,76 % face au dollar. Cette perte devra s’ajouter au prix des matières premières que l’Europe achètera aux États-Unis et augmentera dans des proportions similaires l’inflation en France par l’augmentation du prix des produits américains.

Les sanctions économiques, intensification d’une guerre économique préexistante

La bataille des matières premières

La Russie est le premier producteur mondial d’engrais, le premier producteur de nickel et de palladium, le troisième exportateur de charbon et d’acier et le cinquième exportateur de bois.

La France importe 12,5 % de ses besoins en urée de Russie. Or l’urée est l’un des fertilisants azotés les plus utilisés dans nos champs. Son prix avait déjà augmenté de 79 % entre 2020 et 2021(13)https://www.lafranceagricole.fr/actualites/intrants-les-prix-des-engrais-et-de-lenergie-toujours-en-hausse-1,1,4001928199.html. Il atteint 1000 €/t soit une augmentation de 200 € en un mois ! cela conduira à deux conséquences : une augmentation du prix de denrées alimentaires par suite de l’augmentation du coût de production, mais aussi à une diminution de la quantité de denrées produite et donc à nouveau à une augmentation du prix par manque d’offre. En dernière analyse ce seront les consommateurs qui devront assumer ces augmentations ou se passer de consommation : ce qui est inacceptable.

La France importe de Russie 6 % de produits métallurgiques et métalliques. Dans une période qui fait suite aux difficultés d’approvisionnement voire à certaines ruptures en conséquence de la crise sanitaire cela conduit déjà à des retards de production ou à des arrêts d’usine. L’État français décidera-t-il de compenser les conséquences sociales de ses propres décisions ?

Par ailleurs, le titane russe représente la moitié des besoins de la filière selon le groupement des industries françaises aéronautiques et spatiales. Si certaines entreprises ont des stocks d’un ou deux mois, une prolongation du conflit et donc des sanctions (certaines courent jusqu’au 22 septembre 2022) risque de conduire à des arrêts de production et à une augmentation importante des cours mondiaux-affaiblissant encore davantage les entreprises françaises.

Le cas particulier de la bataille énergétique

La consommation d’énergie primaire en France en 2019 (avant la crise sanitaire) se décompose en énergie nucléaire pour 40,3 %, en charbon pour 3 %, en énergies renouvelables pour 11,6 %, en gaz pour 15,2 % et enfin en pétrole pour 29,1 % pour un total de 245 millions de tonnes équivalent pétrole en 2019(14)https://www.vie-publique.fr/eclairage/271741-lavenir-du-petrole-entre-imperatif-economique-et-urgence-ecologique.

Hormis à quelques moments particuliers de l’histoire, la corrélation entre le PIB et la consommation énergétique de la France fluctue entre 99,25 % et 99,75 %(15)https://theconversation.com/a-lechelle-mondiale-aucun-decouplage-a-attendre-entre-pib-et-consommation-denergie-158903. Cela s’interprète de deux manières : à chaque augmentation ou diminution du PIB, la demande en énergie augmente ou diminue dans les mêmes proportions. Ou alors, à chaque augmentation ou diminution des ressources énergétiques, le PIB augmente ou diminue dans les mêmes proportions.

Selon le Shift Project, l’élasticité(16)L’élasticité mesure la variation d’une grandeur provoquée par la variation d’une autre grandeur donnée. entre l’énergie et le PIB serait moindre, de l’ordre de 0,6 à 0,7(17)https://www.parisschoolofeconomics.eu/IMG/pdf/article-pse-medde-juin2014-giraud-kahraman.pdf ce qui dans cette seconde hypothèse signifierait qu’une augmentation de la consommation d’énergie de 10 % conduirait à une augmentation du PIB de 6 à 7 %. S’il s’agit d’une réduction, la proportion serait la même.

Or la France serait dépendante de l’ordre de 17 % (certain spécialiste estime à 25 %, car ils y ajoutent le gaz que nous importons de Belgique et qui comme chacun le sait n’en produit pas. Il est donc soit importé de Russie soit des Pays-Bas) du gaz russe et de 25 %, du pétrole russe.

Dans la première hypothèse(18)J’ai appliqué les pourcentages respectifs à l’équivalent pétrole de 2019 avec une corrélation à 99,25 % entre l’énergie et le PIB et à 17 % de gaz russe(19)La quantité de pétrole russe restant la même., l’arrêt de la fourniture d’hydrocarbures russes conduirait à une diminution de 9,78 %, du PIB français. Dans l’hypothèse à 25 % de gaz russe, il y aurait une diminution du PIB français de 10,99 %.

La baisse potentielle du PIB français dans l’hypothèse d’un arrêt de fourniture des hydrocarbures russes serait en hypothèse basse de -5,91 % et de -10,99 % en hypothèse haute.

En reprenant l’hypothèse du Shift Project avec une élasticité de 0,6, dans l’hypothèse à 17 % de gaz russe, on obtient une diminution du PIB de 5,91 %. Et une diminution du PIB de 6,64 % dans l’hypothèse à 25 %, de gaz russe. Les résultats sont respectivement de 6,90 % et 7,75 %.

Donc en résumé, la baisse potentielle du PIB français dans l’hypothèse d’un arrêt de fourniture des hydrocarbures russes serait en hypothèse basse de -5,91 % et de -10,99 % en hypothèse haute.

Les évolutions du PIB et de l’emploi ne sont pas directement proportionnelles, mais à titre de comparaison, en France, le PIB a diminué de 7,9 % en 2020(20)https://www.insee.fr/fr/statistiques/5389038 avec les conséquences sociales que nous connaissons et qui ont déjà été traitées dans notre journal(21)https://www.gaucherepublicaine.org/editorial/ne-pas-se-tromper-de-strategie/7421044.

Des conséquences potentiellement aussi dramatiques sur la vie des gens mériteraient, au minimum, un débat public. Or nous sommes dans une période particulière : le parlement est en suspension de séance c’est-à-dire que les parlementaires continuent le travail en commissions, mais ne peuvent siéger et voter des lois ou interpeller le gouvernement. Nous sommes donc dans la situation où un président sortant à la légitimité démocratique faible dès l’origine, mais encore plus faible actuellement, candidat à sa réélection, décide seul ou en petit comité d’engager l’économie française dans une spirale destructrice ou du moins de fort affaiblissement or les sanctions économiques n’ont pas d’effet immédiat sur les belligérants ou sur les pays objets de sanctions. Les exemples irakien et iranien devraient nous le rappeler. Était-il si urgent de prendre ces décisions après un premier temps de condamnation nécessaire ?

L’hypothèse d’un boycott total de la production d’hydrocarbures russes est-elle réaliste ?

La Russie produit 12 % du pétrole mondial. Or L’OPEP+ a décidé de n’augmenter que très légèrement sa production(22)https://www.zonebourse.com/actualite-bourse/L-OPEP-ne-prevoit-qu-une-legere-augmentation-de-son-objectif-de-production-malgre-l-Ukraine-source–39888075/. En particulier pour que certains de ses membres ne détériorent pas leurs relations avec la Russie. La compensation du manque lié au boycott russe ne viendra donc par de l’Opep+. Il est à noter que « cette augmentation n’est pas une concession aux pays consommateurs qui demandent plus de pétrole, mais intervient après des recalculs internes des niveaux de production de référence, effectivement des bases de référence plus élevées pour l’Arabie saoudite, la Russie, l’Irak, les EAU et le Koweït. »(23)Ibid.

Une alternative est l’augmentation de la production de pétrole vénézuélien, c’est une option explorée par les États-Unis. Avant le boycott du pétrole vénézuélien par les États-Unis en 2019, ceux-ci importaient 650 000 barils par jour. Un accord entre les deux pays semble être en cours de négociation actuellement pour atteindre le même niveau d’importation qu’avant les sanctions de 2019. Cette hypothèse permettrait aux États-Unis de diminuer leur dépendance au pétrole russe puisqu’ils importaient 650 000 barils de pétrole russe par jour avant le boycott des produits russes. Hélas pour les États-Unis, le Venezuela n’envisage qu’une livraison de 100 000 barils/jours soit 6,5 fois moins que la demande des États-Unis. Il est à noter que cette hypothèse n’aide d’aucune manière les pays membres de l’Union européenne.

La levée de l’embargo sur le pétrole iranien est aussi envisagée, mais l’opposition forte d’Israël à ce projet semble empêcher cette alternative.

En somme, « Il n’y a tout simplement aucun moyen pour que l’OPEP+ et même l’Iran et le Venezuela combinés puissent compenser » l’interdiction d’importations de pétrole russe, a déclaré Vandana Hari, fondatrice de la société de renseignement énergétique Vanda Insights, à CNBC.(24)https://fr.businessam.be/malgre-les-alternatives-se-priver-du-petrole-russe-est-tout-simplement-impossible/.

Cette solution fortement rentable pour les États-Unis est un échec majeur pour l’Union européenne qui en acceptant d’acheter ce pétrole issu de la destruction -le terme technique est la fracturation- met en berne sa politique environnementale

Une autre hypothèse et qui est privilégiée par les États-Unis est la vente de leur production de gaz de schiste aux pays membres de l’Union. En effet, Les États-Unis vont fournir 15 milliards de m3 supplémentaires de gaz liquide au continent européen. Le prix de revient d’un baril de gaz de schiste fluctue entre 50 et 70 $ le baril. Or le prix du baril de pétrole est passé de 68 $ en décembre 2021 à 105,25 le 31 mars 2022 avec un pic à 130, le 8 mars. Cela représente une aubaine pour les producteurs américains qui à 70 %, produisent du gaz de schiste. Cette solution fortement rentable pour les États-Unis est un échec majeur pour l’Union européenne qui en acceptant d’acheter ce pétrole issu de la destruction -le terme technique est la fracturation- met en berne sa politique environnementale(25)https://reporterre.net/L-exploitation-du-gaz-de-schiste-devaste-les-Etats-Unis. L’extraction de gaz de schiste rend des terres stériles, détruit des paysages, pollue des eaux, crée des séismes locaux, augmente l’émission de gaz à effet de serre. Il faut rappeler à ce stade que c’est l’Union qui a décidé de boycotter pour partie les hydrocarbures russes et non pas la Russie qui aurait décidé d’arrêter son approvisionnement(26)V Poutine n’a à ce stade jamais menacé d’arrêter la fourniture d’hydrocarbures. Et s’il est de bonne politique d’anticiper le pire, c’est de très mauvaise politique que de le mettre en œuvre !

La dernière hypothèse est celle des Pays-Bas qui ont décidé d’augmenter leur extraction, en particulier en direction de l’Allemagne, mais qui ne pourront compenser l’apport russe.

Le jeudi 31 mars, Vladimir Poutine a annoncé que la Russie ne livrera pas de gaz aux clients occidentaux refusant de payer en roubles.  Cette exigence entrera en vigueur le 1er avril. En conséquence, l’Allemagne et la France se « préparent » à un potentiel arrêt des importations de gaz russe, a déclaré le ministre français de l’Économie Bruno Le Maire, à Berlin, le 31 mars. Ainsi même si les conséquences de l’arrêt de la livraison d’hydrocarbure russe doivent être un désastre social et économique pour la France, le gouvernement est prêt à s’engager dans cette voie ; à moins que comme à son accoutumée, Bruno Lemaire ne revienne sur ses déclarations…

La convertibilité du rouble en or

Par ailleurs, Vladimir Poutine en réponse au gel des réserves de change de la Russie a annoncé que pour une période expérimentale du 28 mars au 30 juin, il établissait une parité entre le rouble et l’or avec une parité de 5 000 roubles pour 1 gr d’or(27)https://www.leconomistemaghrebin.com/2022/04/07/russie-etalon-or-rouble/. En d’autres termes, il instaure une convertibilité du rouble en or, la possibilité d’acheter du pétrole russe en or par transitivité avec le rouble et la fin expérimentale du système du pétrodollar issu des accords de Bretton Woods. Par ailleurs, il a annoncé la possibilité d’achat direct de gaz russe en or.

Nous assistons actuellement à une dédollarisation à marche forcée du marché des hydrocarbures. Si en soi, cette dédollarisation est souhaitable, elle ne l’est que si ce n’est pas au détriment des pays hors de la zone russo-chinoise. Or les pays européens et la France risquent fort de payer le prix fort, en or de cette dédollarisation, ce qui n’est pas souhaitable.

La bataille alimentaire

Depuis l’invasion russe, l’approvisionnement mondial en blé a été fortement déstabilisé. En effet, L’Ukraine est un pays exportateur net de denrées agricoles. Les productions de l’Ukraine représentent 15 % des exportations mondiales d’orge, et 16 à 18 % de celles de maïs ou de colza, 50 %, des exportations d’huile de tournesol, 60 % des tourteaux de tournesol et 4 %, de la production de blé mondial.

La Russie produit 9 %, du blé mondial, à la même hauteur que la production américaine. La France quant à elle en produit 6 %(28)https://www.yara.fr/fertilisation/solutions-pour-cultures/ble/production-mondiale-ble/.

culture du blé en Russie
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Les risques qui courent sur la production ukrainienne et l’embargo sur les produits russes ont conduit à une envolée du prix des denrées agricoles. La tonne de blé était à 275 euros le 1er janvier. Elle est aujourd’hui à 385 euros soit une augmentation de 40 %, en 3 mois. Le prix du sucre quant à lui est passé de 425 €/T début mars 2022 à 500 €/T le 11 mars soit une augmentation de 17 % en deux semaines. Cette flambée des prix va produire mécaniquement une inflation dans tous les pays non exportateurs ou du moins ne pouvant assurer leur autonomie alimentaire(29)Si la France exporte des denrées alimentaires brutes, elle importe les produits raffinés et donc se trouve aussi dans une situation de fort risque d’augmentation des prix alimentaires.. Cette raréfaction des denrées alimentaires et l’augmentation importante des prix peuvent entraîner des conséquences encore plus dramatiques pour certains pays d’Afrique du Nord. Ainsi l’Égypte importe 23 % de son blé d’Ukraine et 61 % de Russie, la Tunisie plus de 40 %, et le Liban, 51 %. Or rappelons-nous que si le contexte politique était propice, ce sont des émeutes de la faim qui ont été l’étincelle des « printemps arabes ». Au risque de famine des populations, cette politique d’embargo sur les produits russes s’ajoutant au risque d’absence ou de diminution de production des denrées ukrainiennes pourrait accentuer l’instabilité politique dans ces régions. Le Soudan et l’Indonésie ont déjà déclaré que le prix du blé était devenu trop cher.

Une nouvelle forme de guerre économique, la guerre monétaire

Le samedi 26 février, les Occidentaux ont décidé de geler les réserves de la Banque centrale russe détenues à l’étranger auprès d’autres instituts monétaires, en euros comme en dollars. Le but de cette décision est double : les Américains et Européens veulent empêcher la banque centrale russe de défendre le rouble face à la crise économique et financière dans laquelle le pays pourrait plonger, ils veulent aussi empêcher la Russie d’utiliser sa réserve de change pour acheter en euros ou en dollars des biens produits hors de Russie.

C’est la première fois, depuis la Seconde guerre mondiale que les réserves de change d’un État sont gelées, c’est-à-dire saisies par les États chez qui elles sont stockées.

En cas de guerre, des attaques contre les monnaies ont déjà eu lieu. On se souviendra de l’opération « Bernhard » organisée par l’Allemagne nazie qui consistait à larguer des faux billets anglais par avion afin de faire perdre de la valeur à la monnaie anglaise et ainsi provoquer l’effondrement de son économie.  En revanche, c’est la première fois, depuis la Seconde guerre mondiale que les réserves de change d’un État sont gelées, c’est-à-dire saisies par les États chez qui elles sont stockées. On peut constater que les Européens en suivant la décision des Américains ont en quelque sorte tenté une forme d’extraterritorialité du droit européen à l’usage de l’euro. Ce faisant, les Européens ont envoyé un message au monde : « l’euro ne peut pas être une alternative au dollar !». Cela pourrait confirmer que l’euro n’a jamais été une alternative au dollar, mais davantage son bouclier(30)C’est ce que pense l’auteur. dans la guerre des monnaies. Cela pourrait signifier que nous assistons à un nouvel alignement de l’Union européenne sur les intérêts américains et mettre fin à la fable de l’Europe puissance et puissante et défendant les intérêts des Européens.

Le paiement des hydrocarbures en roubles

La première conséquence à court terme fut donc que Vladimir Poutine imposa qu’à partir du 1er avril, toutes les ventes d’hydrocarbures russes lui soient payées en roubles. On comprend bien la logique : à partir du moment où tout ce qui lui serait payé en euros ou en dollar serait automatiquement saisi ou gelé, il refuse de livrer des produits que les acquéreurs ne paieraient pas en réalité. Et ce n’est pas parce que l’Union européenne et en particulier l’Allemagne se plaignent qu’il y aurait une rupture de contrat que cela change quoi que ce soit à l’affaire. Les contentieux de ruptures de contrat internationaux passent devant l’organe de règlement des différends de l’Organisation mondiale du commerce (OMC) qui n’est pas connue pour décider très rapidement…

Cette décision met les pays consommateurs de produits russes en difficulté. La Russie possède une balance commerciale excédentaire, c’est-à-dire qu’il y a très peu de roubles en circulation hors de la Russie. Donc pour pouvoir payer en roubles, soit certain pays devront acheter du rouble à la Russie – mais comment ? Sans doute avec de l’or ce qui aurait pour effet d’augmenter les stocks d’or russes qui sont déjà importants -, soit en achetant des obligations russes, or cela est interdit dans le cadre des sanctions prises par l’Union européenne. Nous verrons bien en fonction des décisions de l’Union européenne sur ce sujet quelle option aura été prise. Toujours est-il qu’un refus simple de cette modalité conduira à une coupure simple des livraisons et accélérera la chute du PIB européen…

Une conséquence à plus long terme serait l’accélération de la « dédollarisation », mais aussi de la « déeurorisation » des échanges internationaux, ce qui renforcerait ce qui a été constaté lors du vote à l’Organisation des Nations Unies sur l’invasion de l’Ukraine par la Russie, à savoir une désoccidentalisation(31)L’auteur est favorable à un monde multipolaire dans lequel les armées n’auraient qu’une seule vocation défensive. du monde ou du moins la création ou le renforcement de nouvelles zones d’influence.

D’autres conséquences méritent d’être traitées et le seront dans un prochain article, en particulier la manière dont l’Union européenne a réagi face aux afflux de réfugiés ukrainiens fuyant cette zone de guerre. La complexité du sujet mérite un traitement en soi.

La notion de sanctions économiques apparaît pour la première fois dans l’article 16 du pacte de la Société des Nations (SDN), adopté le 28 juin 1919 : « Si un membre de la Société recourt à la guerre, contrairement aux engagements pris aux articles 12, 13 ou 15, il est ipso facto considéré comme ayant commis un acte de guerre contre tous les autres membres de la Société. Ceux-ci s’engagent immédiatement à rompre avec lui toutes relations commerciales ou financières, à interdire tout rapport entre leurs nationaux et ceux de l’État en rupture de pacte et à faire cesser toutes communications financières, commerciales ou personnelles entre les nationaux de cet État et ceux de tout autre État, membre ou non de la Société. »

Pourtant dès cette année John Maynard Keynes s’était montré sévère à l’égard de la prolongation excessive du blocus économique contre l’Allemagne, que les Britanniques « avaient appris à aimer pour leur propre intérêt. » Cinq ans plus tard, il fait part de son scepticisme en ce qui concerne les sanctions : « Plus on y réfléchit, plus on sera enclin à compter sur une aide positive à la partie lésée plutôt que sur des représailles contre l’agresseur.  Les mesures positives seront beaucoup plus impressionnantes le moment venu que les actes négatifs qui risquent toujours (1) de ne pas être efficaces et (2) de ne pas être facilement distingués des actes de guerre. »(32)SDN, ASP, S120, Lettre de J.M. Keynes à A. Elliot Felkin, 29 octobre 1924, cité par Nicholas Mulder, Op.cit., p. 159.

Des sanctions économiques, plus généralement

Les sanctions économiques contre l’Iran puis l’Irak ont montré qu’elles étaient inefficaces contre les gouvernements en place et tragiques contre les populations. Espérons que la France et l’Union optent davantage pour des aides positives plutôt que pour des actes négatifs qui, on l’a vu, sont des armes à double tranchant qui sans être d’une efficacité rapide contre la Russie la poussent davantage encore dans les bras de la Chine et pourraient conduire à une récession en Europe et en France dont il nous serait difficile de nous en remettre. Hélas, ce n’est pas le chemin qui semble être suivi.

Enfin, les chocs contre les démocraties sont autant de pierres de touche de nos pratiques démocratiques. Ils testent la solidité de l’adéquation entre nos pratiques et nos valeurs ainsi que celle de nos comportements face aux attaques ou aux situations tragiques – ici une guerre. La manière dont des chaînes ont été fermées sans respecter le principe du contradictoire, les décisions de sanctions économiques qui entraîneront des conséquences très importantes sur les populations russe, européenne et française sans que les citoyens n’aient à s’exprimer, y compris par leurs représentants, tendent à montrer que nous devons revivifier la démocratie en France(33)L’auteur pense que cela n’est pas possible dans l’Union européenne dans un cadre républicain et social.

Notes de bas de page

Notes de bas de page
1 Je parle de Russie et non de Poutine, seul, car la décision ne fut pas celle d’un homme, mais d’un groupe.
2 https://unric.org/fr/onu-et-la-guerre-en-ukraine-les-principales-informations/
3 https://information.tv5monde.com/info/vote-de-la-resolution-de-l-onu-sur-l-ukraine-une-abstention-des-pays-africains-remarquee-447179
4 Ces valeurs peuvent être louables en elles-mêmes s’il s’agit d’égalité des droits, d’égalité entre les sexes, de respect des libertés, de solidarité, etc.
5 Un bien à double usage est « un produit, y compris les logiciels et les technologies, susceptible d’avoir une utilisation tant civile que militaire; ils incluent tous les biens qui peuvent à la fois être utilisés à des fins non explosives et entrer de manière quelconque dans la fabrication d’armes nucléaires ou d’autres dispositifs nucléaires explosifs » (définition donnée par le Règlement (CE) nº 1334/2000 du Conseil du 22 juin 2000 instituant un régime communautaire de contrôles des exportations de biens et technologies à double usage).
6 https://www.consilium.europa.eu/fr/policies/sanctions/restrictive-measures-against-russia-over-ukraine/history-restrictive-measures-against-russia-over-ukraine/
7 ibid
8 https://www.consilium.europa.eu/fr/policies/sanctions/restrictive-measures-against-russia-over-ukraine/
9 CEDH 7 déc. 1976, Handyside c. Royaume-Uni, n° 5493/72 ; CEDH, gr. ch., 16 juin 2015, Delfi c. Estonie, n° 64569/09, § 131, Dalloz actualité, 30 juin 2015, obs. S. Lavric ; RTD eur. 2016. 341, obs. F. Benoît-Rohmer.
10 https://www.arcom.fr/presse/decisions-de-lunion-europeenne-relatives-rt-et-sputnik
11 https://www.csa.fr/Reguler/J-ai-alerte-l-Arcom-et-maintenant
12 https://twitter.com/vonderleyen/status/1511610546868654084?s=20&t=w2WqwxvJbpUC5ny7VCPhOg
13 https://www.lafranceagricole.fr/actualites/intrants-les-prix-des-engrais-et-de-lenergie-toujours-en-hausse-1,1,4001928199.html
14 https://www.vie-publique.fr/eclairage/271741-lavenir-du-petrole-entre-imperatif-economique-et-urgence-ecologique
15 https://theconversation.com/a-lechelle-mondiale-aucun-decouplage-a-attendre-entre-pib-et-consommation-denergie-158903
16 L’élasticité mesure la variation d’une grandeur provoquée par la variation d’une autre grandeur donnée.
17 https://www.parisschoolofeconomics.eu/IMG/pdf/article-pse-medde-juin2014-giraud-kahraman.pdf
18 J’ai appliqué les pourcentages respectifs à l’équivalent pétrole de 2019
19 La quantité de pétrole russe restant la même.
20 https://www.insee.fr/fr/statistiques/5389038
21 https://www.gaucherepublicaine.org/editorial/ne-pas-se-tromper-de-strategie/7421044
22 https://www.zonebourse.com/actualite-bourse/L-OPEP-ne-prevoit-qu-une-legere-augmentation-de-son-objectif-de-production-malgre-l-Ukraine-source–39888075/
23 Ibid.
24 https://fr.businessam.be/malgre-les-alternatives-se-priver-du-petrole-russe-est-tout-simplement-impossible/
25 https://reporterre.net/L-exploitation-du-gaz-de-schiste-devaste-les-Etats-Unis
26 V Poutine n’a à ce stade jamais menacé d’arrêter la fourniture d’hydrocarbures
27 https://www.leconomistemaghrebin.com/2022/04/07/russie-etalon-or-rouble/
28 https://www.yara.fr/fertilisation/solutions-pour-cultures/ble/production-mondiale-ble/
29 Si la France exporte des denrées alimentaires brutes, elle importe les produits raffinés et donc se trouve aussi dans une situation de fort risque d’augmentation des prix alimentaires.
30 C’est ce que pense l’auteur.
31 L’auteur est favorable à un monde multipolaire dans lequel les armées n’auraient qu’une seule vocation défensive.
32 SDN, ASP, S120, Lettre de J.M. Keynes à A. Elliot Felkin, 29 octobre 1924, cité par Nicholas Mulder, Op.cit., p. 159.
33 L’auteur pense que cela n’est pas possible dans l’Union européenne