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Accord Mercosur Signé : l’Europe distancée en Amérique Latine

L’accord tant décrié par la France, ses partis politiques et ses agriculteurs a donc finalement été signé à Montevideo par la présidente de l’UE et les quatre présidents des pays membres du MERCOSUR le 6 décembre.

 

Cette signature intervient dans un contexte d’intense activité diplomatique en novembre et durant ces premiers jours de décembre, qui auront permis de mesurer la place qu’occupent les grandes puissances mondiales en Amérique latine et l’influence qu’elles y exercent.

Sommet du Mercosur en Uruguay

Il aura fallu 25 ans de négociations pour que l’Union européenne et le Mercosur parviennent à un accord commercial (qui doit encore être ratifié par les parlements respectifs de tous les pays). La difficulté ne venait pas tant des 4 pays d’Amérique latine concernés (Argentine, Brésil, Uruguay, Paraguay), dont les médias célèbrent aujourd’hui l’avancée historique de l’accord, que des pays européens, France en tête (et tous partis politiques confondus), qui ne voulaient pas en entendre parler. Ils sont encore quatre, pour l’instant, vent debout : à la France, se sont jointes la Pologne, l’Autriche et la Hollande. Mais quatre, c’est encore insuffisant pour représenter les 35 % de citoyens européens qui pourraient rejeter l’accord.

Dynamique

Cet accord du Mercosur met en lumière des dynamiques opposées chez les deux signataires. L’Europe à 27 s’empêtre dans ses divergences pour signer un accord de ce type. Or, côté Mercosur, ce sont seulement quatre pays (le Venezuela a été suspendu), mais nombreux sont ceux qui aspirent à en faire partie. La Bolivie les a rejoints en 2023, d’autres sont membres associés : Chili, Colombie, Equateur, Guyana, Pérou, Surinam. Le Mercosur, tout comme les Brics(1)https://www.gaucherepublicaine.org/respublica-monde/respublica-amerique/brics-lula-affirme-ses-positions-et-inhabilite-le-venezuela/7436657., attire les pays de la région qui voient dans ce marché de 700 millions de citoyens un facteur de développement.

D’autant que le Mercosur regarde de l’autre côté du Pacifique : il a conclu un accord avec Singapour fin 2023, souhaite amplifier sa coopération économique et technologique avec le Japon et le Vietnam, négocie également avec la Chine. Quand l’Europe tergiverse, l’Amérique latine est entrée dans une dynamique de signatures à tout-va et d’expansion.

Polémique 

La signature de l’accord Mercosur/UE, c’est toute une histoire au fil des soubresauts politiques en Amérique latine. Elle aurait dû (et pu) se conclure en 2019, car un accord avait été enfin trouvé, mais l’élection de Bolsonaro à la présidence du Brésil a changé la donne. Ce qui a bien arrangé les opposants à l’accord, côté français notamment…

Dès son retour en 2022, Lula remet pourtant ce dossier parmi ses priorités. Macron ne lui cache pas son désaccord sur ce sujet, ni à ses homologues européens d’ailleurs. Il emploie auprès de la présidente de la Commission européenne tous les arguments possibles jusqu’au dernier moment, lui faisant même valoir qu’à cause de cette signature, son gouvernement pourrait tomber !

Au même moment, se développe en France une forte campagne médiatique contre l’accord, relayée à l’Assemblée nationale (avec les députés pour le coup tous unanimes), soutenue par des manifestations et des blocages de route. Tandis qu’au Brésil, comme par hasard juste après le départ du Président Macron de Rio, Carrefour annonce qu’il ne vendrait plus de viande en provenance du Mercosur. Le même groupe Carrefour qui vend la viande tant décriée dans tous ses supermarchés brésiliens… Le PDG du groupe reviendra très vite à la réalité en s’apercevant qu’à la minute où paraît son communiqué, les camions frigorifiques cessent d’approvisionner ses supermarchés au Brésil. Il devra s’excuser auprès des Brésiliens, dire tout le contraire que ce qui était dit dans son communiqué… Pas facile de passer pour écologiste quand on inonde la planète de ces produits.

La polémique rappelle celle des pesticides, que les Européens reprochent au Brésil d’utiliser alors qu’ils sont interdits en Europe… mais produits en Europe. Si ces pesticides sont nocifs pour la santé des Européens, pourquoi l’Europe continue-t-elle à en vendre hors Europe ? Les non-Européens sont-ils pesticido-résistants ?

Lula a tenté à Montevideo d’aller dans le sens du poil européen en évoquant « un programme de coopération agricole à faible teneur de carbone » et un « Mercosur vert en réponse aux exigences du bloc européen ». Non sans répondre aux accusations : « Nous n’accepterons pas que l’on tente de diffamer la qualité et la sécurité reconnues de nos produits ».

Mais l’accord est signé. Même par Milei, qui avait pourtant menacé de quitter le Mercosur. Il faut dire qu’il en assurera la présidence pour les six prochains mois !

Cette volonté affichée des pays latinos qui depuis 25 ans cherchent un accord fait face à une Europe divisée, qui confirmera ou non ce nouvel accord, mais qui perd (comme on le verra dans les paragraphes qui suivent) toujours plus d’influence dans ce côté du globe.

Sommet Ibéro Amérique en Equateur (12-15 novembre)

L’édition 2024 de ce sommet, à fréquence bisannuelle, s’est tenue dans la ville de Cuenca où le Président équatorien Noboa recevait des homologues européens (le Portugais Marcelo Rebelo De Souza et l’Andorran Xavier Espot) et un roi, celui d’Espagne, Felipe VI. Côté latino-américain, il dut en revanche se contenter de chaises vides : aucun président n’avait fait le déplacement.

Le fait est exceptionnel :  14 présidents latino-américains (sur 19) étaient venus au rendez-vous précédent en République dominicaine et 16 en 2021 en Andorre. Leur absence massive cette année est donc une grande première.

Il y a évidemment des raisons pour que les participants du sommet, équatorien cette année, se réduisent à une tablée de joueurs de cartes. Les présidents avaient en mémoire plusieurs événements récents :

Tout cela se passe dans un contexte où, plus généralement, l’Amérique latine se défait peu à peu de ses liens historiques avec les pays européens tant au plan politique et culturel que commercial. Alors que d’importantes communautés espagnole et portugaise vivent sur le sous-continent, l’Espagne et le Portugal peinent à y conserver leurs avantages. Et puis les pays de la région se plaignent de l’attitude des Européens qui ont tendance, comme les États-Unis, à s’ingérer dans leurs affaires, contrairement à d’autres puissances, comme la Chine, qui avancent discrètement, mais de plus en plus fermement.

Sommet APEC Asie-Pacifique (10-16 novembre)

Dina Boluarte a pris les commandes du Pérou en décembre 2022 (après l’incarcération du président élu Pedro Castillo, voir ReSPUBLICA(3)https://www.gaucherepublicaine.org/respublica-idees/respublica-crises/perou-lextreme-droite-a-la-manoeuvre/7433042. et n’a pas caché sa joie d’ouvrir une réunion de cette importance :  21 chefs d’Etat présents, dont XI Jinping et Joe Biden.

Le sommet de l’APEC, dont la liste figure en note(4)PAYS MEMBRES APEC: Australie-Brunéi Darussalam-Canada-Chili-Chine-Hong Kong,Chine-Indonésie-Japon-Malaisie-Mexique-Papouasie-Nouvelle-Guinée-Pérou-Philippines-Russie-Singapour-Corée du Sud-Taïpei chinois-Thaïlande-États-Unis-Vietnam-Nouvelle-Zélande. avait lieu à Lima, ville encerclée par les forces de l’ordre pour prévenir toutes violences (comme en Equateur, les narcotrafiquants imposent leur loi au Pérou) ou manifestations sociales (90 % de la population rejette la nouvelle présidente dans un pays qui ne s’en remet pas d’avoir élu un président communiste et de devoir supporter sa remplaçante soutenue par l’extrême droite !)

En marge du sommet, le président chinois signait un traité de libre commerce avec le Pérou et inaugurait le mégaport de Chancay, à 80 km de la capitale Lima, énorme complexe qui a coûté 3,5 milliards de dollars, et devrait permettre l’arrivée directe d’énormes cargos pleins de marchandises asiatiques qui repartiront chargés avec les richesses dont regorge l’Amérique latine.

C’est un énorme investissement parmi d’autres gros projets chinois en Amérique latine. La Chine ne se contente pas de paroles, de sommets ou de réunions stériles, elle investit très largement sur le sous-continent : de 2010 à 2019, 14 milliards de dollars par an, puis 6,5 milliards les années suivantes. On constate des chiffres de cette ampleur en matière de prêts des principales institutions financières chinoises, qui font plus fort que la Banque mondiale. La Chine cherche sans relâche des partenaires, et elle tente de les convaincre, soit de signer un TLC (Traité de libre commerce), soit d’adhérer aux nouvelles routes de la soie (22 pays d’Amérique latine et des Caraïbes y participent désormais). Cette manière de procéder tranche avec l’arrogance dont on accuse, sur le sous-continent, certaines grandes puissances (essentiellement les États-Unis et l’Europe).

Et les États-Unis dans tout cela ?

Ils sont à la traîne, conscients du retard qu’ils accumulent. En 2022, Joe Biden a lancé l’Alliance pour la prospérité économique des Amériques, en invitant 11 pays à rejoindre cette initiative qui prétend lutter contre les inégalités et pour l’intégration économique régionale. Mais pour l’instant, personne ne parle de millions de dollars d’investissements ou de la construction de mégaports de la taille de celui de Chancay. D’ailleurs, les États-Unis en Amérique latine se sont plutôt spécialisés dans l’ouverture de bases militaires…

COMMENTAIRES 

Ces trois moments très rapprochés permettent de mesurer le chemin parcouru par les uns et les autres sur le sous-continent américain. A l’évidence, l’Europe perd du terrain et selon la suite qu’elle donnera à l’accord du Mercosur, la distance pourra même se creuser encore.

Les États-Unis ont été en Amérique latine les champions de la bagarre idéologique. Leurs interventions durant des décennies dans les affaires intérieures des pays, au nom de leur croisade anticommuniste, ont laissé des traces durables. Aujourd’hui ils sont plus à l’aise face à un Milei ou un Bolsonaro, notamment depuis le retour de Donald Trump aux affaires. La perte d’influence de la gauche sur le sous-continent joue en leur faveur.

La Chine continue son chemin. Avec ses investissements et ses Routes de la soie, elle fait ce qu’elle sait si bien faire : elle commerce. A droite comme à gauche, on fait affaire. Milei qui disait ne pas vouloir de rapports d’Etat à Etat avec les « régimes dits communistes » se rendra en Chine en 2025…

Notes de bas de page[+]

Notes de bas de page
1 https://www.gaucherepublicaine.org/respublica-monde/respublica-amerique/brics-lula-affirme-ses-positions-et-inhabilite-le-venezuela/7436657.
2 https://www.gaucherepublicaine.org/respublica-monde/respublica-amerique/equateur-un-droit-international-a-tiroirs/7435877.
3 https://www.gaucherepublicaine.org/respublica-idees/respublica-crises/perou-lextreme-droite-a-la-manoeuvre/7433042.
4 PAYS MEMBRES APEC: Australie-Brunéi Darussalam-Canada-Chili-Chine-Hong Kong,Chine-Indonésie-Japon-Malaisie-Mexique-Papouasie-Nouvelle-Guinée-Pérou-Philippines-Russie-Singapour-Corée du Sud-Taïpei chinois-Thaïlande-États-Unis-Vietnam-Nouvelle-Zélande.
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