Pérou : la gauche en tête au second tour de l’élection présidentielle
Après quatre jours de dépouillement, les résultats officiels n’étaient toujours pas proclamés. Le scrutin mettant aux prises Keiko Fujimori (à droite) et Pedro Castillo (à gauche) avait donné lieu à une bataille très serrée, mais alors que 99,20 % des bulletins avaient été dépouillés, Castillo pouvait tout de même revendiquer la victoire, avec 50,20 % des suffrages contre 49,80 % à Fujimori. 71000 votes séparaient les deux candidats
C’est un résultat qui confirme d’ailleurs le sondage sorti des urnes réalisé par IPSOS, lequel donnait Pedro Castillo vainqueur de cette élection. Le retard dans la proclamation des résultats s’explique essentiellement par la difficulté d’acheminer les bulletins depuis des zones rurales très reculées.
Keiko Fujimori va très probablement contester la victoire de Castillo. Elle a d’ailleurs déjà tenté de le faire lorsque Pedro Castillo a pris la tête dans le décompte des voix. Le président du JNE (jury national des élections) Jorge Salas Arenas a cependant précisé que d’éventuels cas isolés d’irrégularités ne pouvaient être assimilés à la fraude organisée que dénonçait Keiko Fujimori.
Cette élection représente la victoire de tous ceux qui n’avaient jusqu’ici qu’un seul droit : celui de se taire. Les oubliés qui vivent dans les campagnes et les endroits les plus reculés et les plus défavorisés se sont retrouvés dans la personne de Pedro Castillo, un instituteur militant et probe, animé par une volonté de rendre son pays plus égalitaire.
La tâche s’annonce cependant ardue : il a contre lui les élites, nationales et internationales ; les médias, nationaux et internationaux ; le pouvoir économique, national et international. Il ne dispose pas de majorité au parlement, lequel jouit de prérogatives importantes, notamment celle de destituer le président de la République (ce qui est déjà arrivé au président Pedro Kuczynski (élu en 2016, destitué en 2018) et à son successeur Martin Vizcarra (nommé en 2018 par le parlement, destitué en 2020).
Il ne reste à Castillo qu’une mince marge de manœuvre : provoquer un référendum pour mettre en place une assemblée constituante, ce qui lui permettrait de reformer la constitution, sans quoi le pouvoir économique et politique international ne le laissera pas gouverner…
C’est tout simplement désespérant pour un militant européen de voir et d’entendre les partis politiques espagnols de droite (Parti Popular) ou d’extrême droite (Vox) intervenir dans les affaires internes du Pérou avec une telle véhémence contre le candidat Castillo, et cela alors même que les résultats ne sont pas encore proclamés. À ce niveau-là, ce n’est même plus de l’ingérence : c’est de la propagande diffamatoire !
Pedro Castillo est cerné avant même d’être déclaré vainqueur. La droite et le néo libéralisme battus dans les urnes mettront tout leur poids, au Pérou ou de l’extérieur, pour lui rendre la vie impossible.
MEXIQUE : élection législatives, régionales et municipales
C’est en juillet 2018 que Manuel Lopez Obrador est devenu président de la République du Mexique, à l’issue d’une troisième tentative sous les couleurs du PRD (parti de la révolution démocratique). Il avait en effet été battu en 2006 par Vicente Fox (PAN), puis en 2012 par Enrique Pena Nieto (PRI). Si les deux scrutins n’avaient été entachés d’énormes irrégularités, Lopez Obrador aurait peut-être pu arriver à la tête de son pays dès 2006.
Après deux ans et demi de mandat, il jouit encore d’une popularité de 60 % dans les sondages d’opinion. Dans les trois élections du 6 juin dernier (législatives, régionales et municipales), son parti faisait face à un front uni contre lui : les partis de ses ex-rivaux à la présidence, le PAN, le PRI et le PRD (son ancien parti) avaient décidé de se rapprocher pour tenter de lui ravir la majorité au parlement. Et pour surtout l’empêcher de continuer à légiférer avec la majorité qualifiée des deux tiers – et donc de pouvoir toucher à la constitution. La consigne était claire : tous sauf Obrador.
Pourtant, le parti de Lopez Obrador « Morena » et ses alliés (le parti des travailleurs et les Verts) obtiennent tout de même la majorité avec 45 % des voix à l’Assemblée nationale contre 41 % à la coalition de l’opposition soit 280 députés contre 220 (en 2018 les députés de Morena obtenaient avec leurs alliés 307 sièges).
Le président perd la majorité des deux tiers, qui lui aurait permis de poursuivre les grandes réformes de fond dans le pays. L’opposition ne peut que s’en réjouir !
Élection des gouverneurs : 15 des 32 postes étaient à renouveler. Morena et ses alliés arrivent en tête dans 11 des entités fédérales.
Élections municipales : les résultats de villes significatives montrent que Morena et ses alliés ne perdent pas de terrain.
Quelques réflexions sur les circonstances de ces élections : elles se sont déroulées, comme au Pérou ou au Chili, en pleine pandémie, dont, comme les autres pays de la zone, le Mexique a souffert énormément (bilan de 230 000 morts) et est encore loin se libérer. La participation a pourtant été tout à fait honorable avec 52,5 % de votants.
Le coronavirus s’est ajouté à un autre fléau, jusqu’à présent incurable : la violence meurtrière des narco-trafiquants qui éliminent tous ceux qui se trouvent sur leur chemin. 32 candidats ont été assassinés depuis le début de la campagne électorale, et deux têtes humaines déposées dans deux bureaux de vote le jour du scrutin. Les narcotrafiquants représentent une puissance financière et pour ainsi dire militaire, qui tous les jours dispute son territoire à l’État de droit. C’est aussi cela le Mexique !
Plusieurs enseignements résultent de ce scrutin :
– Le bilan social de Lopez Obrador : en deux ans et demi, il a obtenu en faveur des classes les plus défavorisées d’importantes avancées sociales, qui ont permis aux plus humbles de relever la tête : l’augmentation des pensions, du salaire minimum, la baisse de l’âge de la retraite, la législation pour restreindre les statuts de travail précaire au profit d’embauche des personnels…
– La révolte des classes privilégiées a été à la hauteur de la colère qu’a suscitée cette politique envers les plus démunis. De fait Obrador s’est heurté de plein fouet à la mobilisation de la bourgeoisie, qui a fourni autant de voix pour les adversaires du parti d’Obrador « Morena ».
– L’ingérence extérieure : tout proches géographiquement, les États-Unis ne se sont pas privés, par l’intermédiaire de leur cheval de Troie l’USAID et la NED, de financer des ONG mexicaines pour déstabiliser le pouvoir en place. C’est ainsi que, par exemple, l’organisation MCCI « Organisation Mexicaine contre la corruption et l’impunité » a enquêté sur la corruption politique, en ciblant de préférence le parti « Morena » … Lopez Obrador n’a pas manqué de dénoncer cette ingérence des États-Unis dans une note diplomatique envoyée à Washington. Mais cette armée de « petits bras » s’est alliée aux médias internationaux néo-libéraux qui se sont invités dans la campagne, comme par exemple le très « indépendant » The Economist. Cet hebdomadaire anglais au service de l’argent appelait ainsi les Mexicains « à ne surtout pas voter pour Obrador », qualifié de « danger pour la démocratie mexicaine ». Au contraire, « les votants de chaque localité » devaient « appuyer le parti de l’opposition le mieux placé ».
La tâche est rude pour Manuel Lopez Obrador, qui doit préserver son pays de l’ingérence permanente du voisin du nord et tenter de faire vivre la démocratie dans un pays ravagé par des cartels d’une légendaire violence.
Colombie : après un mois de conflit
Les observateurs colombiens, politiques, médias, analystes en tous genres n’auraient pas donné cher de la mobilisation du 27 avril qui se profilait : « encore un de ces rassemblements qui ne servaient à rien et ne seraient pas suivis », « un nouvel échec en perspective » ! Comment peut-on être à ce point coupé des réalités de son pays pour ne pas avoir senti ce qui, au contraire, se dessinait depuis des années : une révolte forte, massive, spontanée, et qui venait pourtant du plus profond de la société colombienne.
Car le « Paro » (grève) se poursuit en ce début juin, dans toutes les villes mais aussi les zones rurales du pays. Ce mouvement, déclenché en réponse à de nouvelles mesures fiscales (voir notre précédent article) a surpris par sa vitalité et par la diversité de ceux qui l’incarnaient (jeunes, mais aussi classes moyennes, universitaires, chômeurs, habitants de quartiers populaires, mouvements indigènes…) un pouvoir habitué à mater toute tentative de rébellion par la force.
Car c’est ainsi que le pouvoir réagit, depuis plus de 40 ans. En 1977, lors du « Paro civico » (grève dite « civique »), des dizaines de colombiens avaient ainsi été tués lors de manifestations qui s’étaient levées dans le pays, déjà à l’époque contre des mesures antisociales. C’est depuis une pratique courante, une méthode de gouvernement : frapper sans discuter.
Comme cela a été le cas plus récemment, en septembre 2002, avec l’opération Orion : un quartier de Medellin où se trouvaient les milices urbaines des guérillas de l’ELN et des FARC était investi par les militaires, la police et les paramilitaires. Bilan : des dizaines de personnes tuées, d’autres torturées et environ une centaine disparues.
Le président en exercice s’appelait alors Alvaro Uribe et sa ministre de la défense Marta Lucia Ramirez, aujourd’hui vice-présidente de la République, et héritière, comme l’actuelle président Ivan Duque, de l’ex et très contesté Uribe.
Marta Lucia Ramirez n’a donc pas de difficulté à reproduire le modèle répressif utilisé en 2002 pour mater les manifestants de 2021. Elle en a l’expérience et jouit aujourd’hui encore du plein appui des États-Unis dont elle vient d’aller quérir le soutien.
Le secrétaire d’Entât Antony Blinken le lui a accordé sans hésiter, en assénant : « l’alliance entre les États-Unis et la Colombie est absolument vitale ». L’Union européenne, fidèle à elle-même, n’a rien trouvé à dire, puisque les États-Unis parlent en son nom ! Les droits de l’homme, les sanctions infligées aux dictatures, c’est pour les autres, pas pour la Colombie ! Le pays est pourtant le premier producteur de cocaïne, grand spécialiste du trafic qui en résulte, et compte le plus grand nombre de leaders sociaux et défenseurs des droits de l’homme assassinés chaque année (en moyenne 300).
Depuis le début des manifestations, l’armée a été déployée, sous le prétexte de combattre cette fois non pas les guérillas des Farc ou de l’ELN, mais les manifestants « narco–terroristes » ou autres « agents du Vénézuélien Maduro ». Résultats des affrontements : le nombre de morts dépasse aujourd’hui la soixantaine, on compte 67 éborgnés, 300 disparus, sans compter les viols commis contre les manifestantes (27). Mais la détermination de la rue ne baisse pas au contraire.
Car la Colombie, comme le Chili, le Paraguay ou d’autres pays d’Amérique latine, subit depuis des années des pouvoirs autoritaires qui utilisent la répression pour soi-disant « prévenir la menace socialiste ». Ce qui les rend bien aimables aux oreilles de Washington, version Trump ou version Biden, ou à celles d’une Europe de plus en plus conservatrice. Or pour l’instant, rien n’arrête ce mouvement jeune, militant et festif. Les rassemblements populaires de tous les jours donnent une image souvent joyeuse de la contestation sociale : des spectacles sont improvisés dans la rue et théâtre, musique ou chants témoignent de la jeunesse et de la créativité des participants.
Ce mouvement social semble solide. Il faut dire qu’il prend ses racines dans les cinquante dernières années de répression sourde d’un appareil d’État lourdement armé et secondé par des paramilitaires. Le système mis en place par le pouvoir politico-économique colombien s’est perpétué jusqu’à aujourd’hui, et sa finalité est la même : barrage au socialisme. La différence, c’est que les Colombiens viennent dire non à ce système, viennent en masse et viennent de tous les horizons. Ils veulent négocier et cesser d’obéir sans discuter. Cette Colombie réveillée et combative ressemble de plus en plus au Chili, où la constitution de Pinochet va bientôt être réformée (voir notre précédent article).
Tout militant doit le savoir et le faire savoir : c’est un combat des Colombiens pour une société plus juste qui ne peut que nous toucher. D’autant que les autorités colombiennes depuis des décennies jouissent à travers le monde d’une « aura » injustifiée : tout leur est excusé, alors qu’il s’agit ni plus ni moins d’un pouvoir autoritaire et répressif, considéré par les États-Unis de Trump (et son successeur ne l’a pas démenti), comme le plus fidèle allié de Washington sur le continent. C’était le cas en son temps du Chili de Pinochet…