VENEZUELA
Élections régionales et municipales du 21 novembre
Élections de 23 gouverneurs et de 335 maires.
Participation : 42 %.
Résultats :
- 19 gouverneurs et 208 mairies aux partis du gouvernement rassemblés au sein du Grand pôle patriotique.
- 3 gouverneurs et 59 mairies pour l’opposition dite MUD et 58 pour l’alianza democratica soit 117 maires d’opposition
Contexte
Les précédentes élections (régionales et municipales) datent de 2017 : l’opposition avait présenté des candidats aux postes de gouverneurs et, forte de sa position dans les sondages, espérait une victoire confortable… que les urnes ne lui ont pas concédée : elle ne remporte que cinq États. La MUD demande alors à ses candidats de se retirer (un seul le fera, les autres seront exclus du parti) et dénonce des fraudes ; c’est ce qu’elle fait à chaque fois qu’elle perd une élection. Le mode de vote électronique a beau être l’un des plus sûrs au monde (c’est du moins ce que dit le Centre Carter aux États-Unis au sujet du système vénézuélien), rien n’y fait : si l’opposition perd, c’est qu’il y a eu fraude. Dans la foulée, elle décide de ne pas présenter de candidats aux élections municipales au mois de décembre de la même année (seuls quelques candidats libres de l’opposition y participeront). Le parti PSUV au pouvoir remporte donc 298 mairies sur 335…
L’opposition reste sous l’influence du parti le plus extrême de l’opposition : Voluntad Popular, fondé par Leopoldo Lopez. Ce dernier, qui vit aujourd’hui en Espagne, s’est enfui du Venezuela où il purgeait une peine de prison de 14 ans pour des violences qu’il avait organisées en 2014. Après son arrestation, ses adjoints avaient poursuivi sa stratégie de violence : l’un d’eux, Freddy Guevara, avait ainsi été obligé de se réfugier à l’ambassade de Chili. Juan Guaido avait repris le flambeau, devenant le héros médiatique international que l’on connait, soutenu par près de 60 pays (dont la France), l’Union européenne, et bien évidemment les États-Unis de son parrain Donald Trump.
Les années qui vont suivre le scrutin de 2017 vont permettre à cette aile extrémiste de mettre en place, avec l’aide américaine et européenne, un gouvernement et une organisation virtuelle ; d’obtenir des financements grâce aux gels des biens et avoirs du Venezuela dans les banques américaines et européennes ; d’installer un blocus contre le pays, d’affamer la population et d’empêcher tous les achats au niveau international, y compris de médicaments ou de vaccins…
Pendant ce temps et sur un tout autre registre, Nicolas Maduro appelle l’opposition au dialogue pour sortir de la crise ; Juan Guaido répond qu’il n’a pas de temps à perdre avec « le dictateur ». La République dominicaine finit pourtant par accueillir pour des négociations des représentants de Maduro et de l’opposition, en présence de l’ancien Premier ministre espagnol José Luis Zapatero et du président dominicain. Ces négociations échouent grâce aux manœuvres des États-Unis, qui ne veulent pas entendre parler de dialogue.
Mais peu à peu, une partie de l’opposition se rend compte que la route imposée par Volundad popular ne mène à rien : seul le peuple vénézuélien – non les politiques – souffre des blocus et des sanctions économiques. Il faut sortir de l’impasse. Elle accepte la main tendue du président. Un long processus de discussions commence, d’abord avec la libération de militants de l’opposition détenus pour action contre l’État, puis avec l’organisation d’élections législatives à l’issue de laquelle cette partie de l’opposition comptera 22 élus en décembre 2020.
La nouvelle assemblée nationale permet la mise en place d’un nouveau conseil national électoral auquel participent deux membres de l’opposition, respectivement comme recteur et vice-recteur… Le dispositif du vote reste le même (vote électronique infalsifiable et inviolable) mais il est prévu un audit avant, puis pendant l’élection, en présence de tous les représentants des partis qui concourent.
Sur ces bases-là, toute l’opposition participe à l’élection… sauf Juan Guaido, esseulé et diminué par plusieurs scandales financiers, accusé d’avoir détourné une partie des budgets que lui ont confiés les agences de développement américaines. Il aurait de surcroit couvert l’octroi de 70 millions d’euros à la mère de Leopoldo Lopez, une somme qui provenait de la société « Monomeros », propriété de l’État vénézuélien et de l’État colombien, installée en Colombie, qui, soutenant Juan Guaido, lui avait confié la responsabilité de son développement.
En novembre 2021, Nicolas Maduro a réussi son pari : il a fait revenir sur le chemin du vote une opposition qui avait choisi délibérément, fin 2015, de prendre le pouvoir – c’est-à-dire la présidence de la république – par la force (au moment pourtant où elle venait de remporter les élections législatives par les urnes…)
Aujourd’hui, Juan Guaido ne représente plus l’opposition vénézuélienne, l’élection qui vient de se dérouler l’a confirmé. C’est contre son avis que l’opposition s’est unanimement présentée, et il n’y a que les États-Unis de Joe Biden pour soutenir encore un homme qui n’a plus aucun mandat électif.
Déroulement des élections
Candidats
Malgré le blocus, la pandémie, les États-Unis et leurs sarcasmes, le Venezuela s’est réuni pour voter.
- Nombre de postes à pourvoir : 3082 (dont 23 gouverneurs, 335 maires, 253 conseillers régionaux, 2471 conseillers régionaux).
- Nombre de candidats du Grand pôle patriotique (PSUV et alliés) : 3082.
- Nombre de candidats de l’opposition (MUD et autres) : 67 118 (l’unité n’a pas été le maitre-mot : le pouvoir présentait un candidat quand l’opposition en présentait 20…).
À noter tout de même qu’un certain nombre de candidats de l’opposition tout comme certains ex militants du Grand pôle patriotique ont été empêchés de se présenter car en prison pour « atteinte à la sécurité de l’État », ou en attente de procès.
Participation : 42 %.
Observateurs internationaux
Des observateurs de l’ONU, du centre américain Carter, des pays de l’Alba, d’autres pays d’Amérique latine, de l’Union européenne mais également d’organisations politiques ou d’ONG venus d’Europe, d’Afrique, au total plus de 350 personnes provenant de 55 pays ont pu suivre le scrutin, ou à une plus longue présence sur le terrain.
Tous ont relevé l’absence de fraude lors de ces élections. L’Union européenne, par la voix d’Isabel Santos, députée au Parlement européen qui menait la délégation, a cependant relevé un manque d’indépendance judiciaire, l’utilisation des ressources de l’État et la non-validation arbitraire de certains candidats, reconnaissant tout de même une nette amélioration dans le déroulement de ces élections par rapport aux précédents scrutins (même si cela fait 15 ans que l’Union européenne n’y avait pas assisté).
Nicolas Maduro a rétorqué que les observateurs européens étaient « des espions qui cherchaient à salir le processus électoral sans y parvenir ». Il est vrai que la séparation entre le tribunal suprême de justice et le pouvoir n’a jamais existé, ni avant ni après l’arrivée de Hugo Chavez, lequel s’est très bien accommodé de cette imperfection, comme son successeur Nicolas Maduro… et comme la droite qui a régné auparavant en maitre dans le pays et n’y trouvait alors rien à redire.
Résultats
Gouverneurs
- 19 gouverneurs sur 23 pour le Grand pôle patriotique (coalition du PSUV et de ses alliés). L’État de Miranda (qui inclut la capitale), l’un des plus importants en termes de voix avec celui de Zulia, reste chaviste grâce à la division de l’opposition qui a mené campagne avec deux candidats. Le désistement de l’un d’eux au dernier moment n’a pas empêché la victoire d’Hector Rodriguez, le gouverneur PSUV qui se représentait.
- 3 gouverneurs pour l’opposition – dont Manuel Rosales, ancien candidat à l’élection présidentielle contre Hugo Chavez et qui fut de gouverneurs de cet état qui l’emporte brillamment dans l’État de Zulia.
- Un État (celui de Barinas, le berceau de la famille Chavez, dont le gouverneur sortant est le frère de Hugo Chavez) devra recommencer l’élection. Le vainqueur de l’opposition dans ce fief chaviste de toujours a été inhabilité par le tribunal suprême de justice, qui a ordonné au conseil national électoral de refaire cette élection en raison de condamnations pénales qui pèsent sur le candidat vainqueur.
Mairies :
Sur les 335 postes de maires, l’élection a été validée pour 322 d’entre eux, 13 le seront ultérieurement.
Le Grand pôle patriotique du pouvoir emporte 205 mairies dont la capitale Caracas.
L’opposition, sous les couleurs de la MUD, en remporte 59, dont celle de Maracaibo, capitale de l’État de Zulia.
L’opposition, représentée au parlement sous l’étiquette Alianza démocratica (celle qui a participé au scrutin de 2020) remporte 58 mairies.
Conclusion
Quoi qu’en disent les États-Unis (qui ne reconnaissent pas ces élections) ou le rapport de l’Union européenne qui sera publié dans quelques semaines, le grand gagnant, sur toute la ligne, s’appelle Nicolas Maduro.
Il a réussi à organiser des élections avec une participation comparable à celle de pays européens comme la France (34,5 % aux régionales-et aux municipales 44 % premier tour-41 % second tour). Le Venezuela, pourtant soumis depuis plusieurs années à un blocus américain, des sanctions économiques américaines et européennes, des gels d’avoirs dans tous les pays contrôlés par les États-Unis ou l’Europe, et malgré la pandémie, le Venezuela a voté.
L’opposition enfin revenue en masse à la voie démocratique (plus de 60 000 candidats présentés sous ses couleurs pour seulement 3 020 postes à pourvoir) avait tellement envie de participer que son efficacité en a pâti. Unitaire, elle aurait sans doute gagné beaucoup plus largement. Le pouvoir sort encore vainqueur de cette élection, mais en concluant « il nous manque des voix », le vice-président du PSUV Diosdado Cabello fait la bonne analyse. Le parti au pouvoir gagne mais perd des électeurs.
Contrairement à ce qui se passe dans beaucoup de pays d’Europe donneurs de leçons, l’opposition vénézuélienne a la possibilité dès 2022 de soumettre au vote (après avoir réuni 20 % des signatures du registre électoral) un referendum révocatoire contre le président Maduro. Ce qui pourrait mener à sa destitution, en passant cette fois par la voie du vote démocratique et non de la violence (que l’opposition avait choisie en 2013). Elle peut également attendre l’échéance électorale des présidentielles de 2024, et tenter d’ici là de trouver un bon candidat, de renouer avec son unité et de rassembler ses électeurs.
Ce qui est sûr, c’est que d’ici là, l’administration Biden continuera de nuire autant qu’elle le peut au Venezuela de Maduro, et qu’on peut difficilement attendre de Washington une levée de tout ou partie du blocus et des sanctions. Cela fait maintenant de longues années que les Américains appliquent leur stratégie « droits de l’homme » qui consiste à affamer les peuples (à Cuba comme au Venezuela) en espérant faire ainsi disparaître les héritiers de Bolivar….
HONDURAS
Élections générales (présidentielles – législatives – municipales) du 28 novembre
Participation : 68 %.
Présidence : Mme Xiomara Castro est élue avec 53,60 %.
Législatives : la coalition de Mme Xiomara Castro remporte 50 sièges sur 128.
Municipales : forte poussée de la gauche qui emporte la capitale Tegucigalpa.
L’histoire
Mme Xiomara Castro sera la première femme à diriger le Honduras. Elle le doit à sa ténacité, mais aussi à son amour pour ce pays agressé depuis des décennies par l’Empire américain (comme d’ailleurs tous les pays de Centre-Amérique qui ne s’y soumettent pas). Elle l’emporte avec 20 points d’avance sur Nasry Asfura, le candidat du président sortant Juan Orlando Hernandez
Pour comprendre cette large victoire, il n’est pas inutile de revenir quelques années en arrière. Le 28 juin 2009, par exemple, quand des militaires envahissent la demeure officielle du président en exercice Manuel Zelaya (époux de Xiomara Castro). Il dort, les militaires le réveillent, le menottent, le mettent dans un avion, alors qu’il est encore en pyjama, et l’expédient au Costa Rica voisin. Dans la foulée, le parlement nomme un chef d’entreprise, Robert Micheletti, pour assurer la transition. Pourquoi et comment le Honduras en est-il arrivé là ? Zelaya était-il un dictateur ? Zelaya s’en prenait-il aux opposants, aux droits de l’homme ?
Tout le contraire. Mais Manuel Zelaya souhaitait intégrer son pays dans la dynamique impulsée par Hugo Chavez, faite de solidarité et de partage entre les pays membres : l’Alba, à la création de laquelle avaient participé Fidel Castro et Evo Morales. Zelaya adhère donc à l’Alba, ainsi qu’à Petrocaribes, qui grâce à des crédits report sur 25 ans des factures d’hydrocarbure consenties par le Venezuela, permet aux petits pays d’Amérique latine de développer des politiques sociales, de construire hôpitaux et écoles…). Zelaya ose donc s’écarter de la tradition suivie par ses prédécesseurs au Honduras, totalement soumis au marché américain.
Et comme si cette « erreur » stratégique ne suffisait pas, Zelaya s’interroge également sur une réforme de la constitution qui, à ses yeux, représente plus les intérêts de la classe dirigeante que ceux des citoyens dans leur ensemble. Il propose donc d’organiser un referendum pour une assemblée constituante qui pourrait se dérouler lors du prochain scrutin, fin 2009, quelques mois avant son enlèvement par un commando.
Alors que tous les pays de l’Alba crient au scandale, appuyés par l’Argentine des Kirschner et le Brésil de Lula, les regards se tournent inévitablement vers les États-Unis de Barak Obama et de sa secrétaire d’Etat Hillary Clinton. Le président américain ne vient-il pas de se déclarer, tout juste quelques semaines auparavant, « profondément préoccupé par la situation au Honduras » ?
Les preuves de l’implication des États-Unis seront apportées quelques années plus tard dans une autobiographe d’Hillary Clinton, qui n’hésite pas à parler « d’un plan mis en place pour promouvoir l’ordre et la démocratie au Honduras » (qui depuis s’est converti en un pays parmi les plus dangereux du monde).
Une journaliste très impliquée dans les manifestions contre ce coup d’État, Berta Caceres dénonce très clairement, à la télévision, la « main » des États-Unis. C’est une figure connue, à la tête de la coordination civique des organisations populaires et indigènes du Honduras. Elle s’est déjà affrontée à la police et au patronat honduriens qui lui reprochaient de retarder des projets de centrales hydroélectrique et donc « le progrès du pays ». Elle est assassinée le 5 mars 2016 par un sicaire venu sonner à la porte son domicile. Des manifestions très importantes de solidarité ont alors lieu en sa mémoire dans tous les pays d’Amérique latine, où elle était connue et respectée pour son engagement en faveur des plus démunis et de l’environnement.
L’exigence de sécurité invoquée comme justificatif de l’action américaine ne visait bien sûr pas à protéger Berta Caceres, qui avant même son assassinat, avait déjà échappée difficilement aux tirs des forces de l’ordre lors des manifestations…
La décennie 2010-2021
Si Hillary Clinton justifiait son plan par la nécessité de rétablir l’ordre au Honduras, celui-ci a très nettement échoué. Depuis 2010, le désordre y règne : laisser-aller économique, insécurité en hausse, narcotrafic florissant (comme d’ailleurs dans d’autres pays au monde envahis par les États-Unis…)
Sur le plan économique : les deux tiers des 10 millions d’Honduriens sont pauvres. C’est le pays le plus pauvre d’Amérique, 39 % vivent sous le seuil pauvreté et 20 % ont un dollar par jour pour vivre. D’après la banque mondiale, seul Haïti fait pire. 8 % de la population hondurienne a immigré à l’étranger, pour la plupart aux États-Unis.
En matière de sécurité, la secrétaire d’État Hillary Clinton est venue personnellement en mars 2010 appuyer le nouveau président Porfirio Lobo et proposer le large financement d’un plan de rétablissement de la sécurité. Mais la violence augmente, au même rythme d’ailleurs que les attaques contre les défenseurs des droits de l’homme et les activistes politiques.
En matière de narcotrafic, c’est aussi l’inflation. Depuis l’intervention contre le président Zelaya, les Américains ont réussi à transformer ce petit pays d’Amérique centrale où l’on venait tout juste consommer des stupéfiants sur l’île caraïbe de Roatan, en pays de narcotrafiquants :
- Le fils du président Porfirio Lobo (2010–2014) élu après la destitution de Zelaya a été arrêté pour trafic de drogue.
- Le frère du président actuel Juan Orlando Hernandez (élu en 2014 et encore en fonction) est reconnu coupable de trafic de drogue en 2019. On apprendra au cours de son procès que son frère, le président en exerce, aurait empoché un million de dollars des cartels mexicains.
- Juan Orlando Hernandez est d’ailleurs le principal suspect d’une enquête menée par un tribunal de New York : il aurait protégé le narcotrafiquant Geovanny Ramirez en échange de dessous de table.
Ces éléments de contexte éclairent ce qui s’est passé lors de la précédente élection présidentielle, en 2017 : dans la nuit du dépouillement, alors que 70 % des bulletins donnaient gagnante, avec 5 points d’avance, la coalition « Alianza contra la dictatura » de Manuel Zelaya, représenté par le candidat Salvador Nazralla, coupure soudaine d’électricité. Lorsque le courant revient, plusieurs heures plus tard, c’est son rival Hernandez qui est étonnamment en avance de 1,5 % puis gagne l’élection. Soupçons de manipulation électorale, État mafieux : c’est l’héritage onze ans plus tard du prix Nobel de la Paix Obama et de sa secrétaire d’Etat Hillary Clinton, une version made in USA de la démocratie, de l’ordre et de la sécurité.
En conclusion
Xiomara Castro, malgré sa large victoire, n’aura pas un mandat facile, et devra songer sans cesse à sa propre sécurité. Car les vaincus d’un soir n’abdiqueront jamais, et l’on a dans toute la zone latino d’autres exemples de leur action, dont seules les formes d’intervention changent.
Elle devra être la présidente de tous les Honduriens et tenter de parvenir à une majorité (65 députés pour les simples lois ; 85 pour transformer la constitution), là où son rassemblement ne compte que 50 députés (coalition avec le parti libéral) sur 128. Une majorité difficile à obtenir pour légaliser l’avortement, dans un sous-continent où le poids des églises est souvent plus fort que les convictions politiques.
Mais le long chemin parcouru depuis 2009 a au moins conduit à une nette victoire, que le candidat battu Nasry Azfura a bien compris en félicitant sa rivale devant les caméras de télévision.