CHILI : élections municipales et de gouverneurs MILITER OU COMMUNIQUER

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Le 27 octobre dernier, 85 % des 15,4 millions de Chiliens en âge de voter se sont rendus aux urnes (vote obligatoire) pour élire les maires de 345 communes (et leurs 2256 conseillers) ainsi que 16 gouverneurs (et 302 conseillers). Une élection qui intervient après deux tentatives vaines de changement de constitution, l’un des projets jugé trop à gauche et l’autre trop à droite (voir notre précédent article : https://www.gaucherepublicaine.org/respublica-monde/respublica-amerique/chili-un-referendum-sur-la-constitution-rejetee-une-nouvelle-fois/7435082). Il s’agit là d’un nouveau test pour le pouvoir de Gabriel Boric et pour l’opposition des partis de droite avant l’échéance des présidentielles en novembre 2025.

Résultats 

Il ressort du scrutin que les partis de droite, regroupés autour de « Chile vamos » remportent 122 mairies (contre 88 lors du précédent scrutin). L’extrême droite du parti « Les Républicains » d’Antonio Kast (candidat battu au second tour de l’élection présidentielle de 2021), qui n’en détenait jusqu’ici aucune, en remporte huit. Ensuite vient « Contigo Chile Mejor », la coalition gouvernementale, qui en totalise 111 (39 de moins qu’au précédent scrutin) puis des candidats indépendants avec 103 mairies.

En ce qui concerne les gouverneurs, seuls cinq d’entre eux ont pu être élus au premier tour. Quatre pour la majorité gouvernementale : Tarapaca (José Miguel Carvajal indépendant de gauche), Nuble (le socialiste Oscar Crisostomo), Los Rios (le socialiste Luis Cuvertino) et Aysen (Marcelo Santana). Le cinquième à Magallanes est l’indépendant Jorge Flies. Dans les onze autres régions, un second tour aura lieu le 24 novembre, puisqu’aucun candidat n’a atteint 40 % au premier tour.

Analyse du scrutin 

Luis a bien voulu répondre à mes questions. Luis, je le rappelle, arrêté en 73, torturé et expédié (avec interdiction de retour) à l’étranger par la dictature Pinochet, vit maintenant au Chili après avoir passé 30 ans de sa vie dans d’autres pays en Amérique latine.

Questions : comment analysez-vous la situation dans le pays, et qui sort gagnant de ces élections ?

Luis : Ce qui surprend, au premier abord, c’est le nombre de partis, de candidats, de volontaires pour aller décrocher un « fauteuil », même si certains n’avaient aucune chance de l’emporter. Tout simplement, parce que l’État finance les partis politiques et les élus. Si vous avez un parti, vous faites des voix, et vous êtes donc financé. Je suis toujours surpris par le salaire, le train de vie des élus. Les politiciens de tous bords l’ont bien compris, et l’argent a dénaturé la vie politique. On est passé d’une trajectoire de militant au métier de politicien.

Militer c’est convaincre, c’est transformer ses théories, ses idées, ses valeurs en un langage compréhensible par tous. Et puis ça implique d’être sur le terrain, de tenir ses promesses.

Et ce n’est plus pareil ! Militer c’est convaincre, c’est transformer ses théories, ses idées, ses valeurs en un langage compréhensible par tous. Et puis ça implique d’être sur le terrain, de tenir ses promesses. Or aujourd’hui, la promesse tenue n’est plus le moteur du lien entre le politique et le citoyen. Le moteur, c’est devenu l’argent, le paraître… la communication.

Le « je sais tout sur tout » a remplacé le « réfléchissons ensemble ». Les débats et les militants ont été remplacés par des sociétés de conseil et des journaliers pour distribuer les tracts. Le maillon entre le politique et la base est coupé. Les politiques parlent pour eux, entre eux, s’invectivent et se jettent leurs idées à la face. Les gens les écoutent de moins en moins.

Question : Vos propos rappellent ce que nous vivons en Europe…

Luis : Oui, en y ajoutant les scandales de corruption ou de harcèlement, notre pays a rejoint la cour des grands. Durant la campagne deux affaires ont éclaté. La première a mis en cause l’élite de droite : des politiques, des juges et des industriels dorment déjà en prison préventive et d’autres suivront. Ce beau monde est accusé de trafic d’influence, conflits d’intérêts, fausses déclarations fiscales, blanchiment de capitaux…

À gauche, le scandale est arrivé par un homme fort du gouvernement, Manuel Mosalve, sous-ministre au ministère de l’Intérieur et à ce titre l’un des responsables de la lutte contre l’insécurité. Une secrétaire s’est retrouvée dans une chambre d’hôtel après un repas bien arrosé et l’accuse de viol…

Or pour les gens dont le premier souci est la sécurité et les fins de mois, ce n’est plus supportable d’entendre que les politiques passent leur temps à enfreindre les lois. Les uns pour s’en mettre plein les poches, les autres pour profiter de leur statut et abuser de subalternes ! Pendant que les Chiliens se font détrousser dans certains quartiers devenus invivables.

Ces affaires surviennent après une période difficile pour le pays où deux referendums pour des projets de constitution ont été repoussés, ce qui représente deux échecs, l’un pour la gauche d’abord, pour la droite et l’extrême droite ensuite. Le pays doute.

Question : Ceci explique cette distribution des votes pour trois blocs ?

Luis : Sans doute. Je m’attendais à ce que l’équipe de Boric perde davantage de mairies, par rapport au mécontentement existant dans le pays. En effet, Boric s’est entouré de jeunes comme lui, qui se sont connus à l’université, ont milité dans les milieux étudiants et les partis de gauche y compris le parti communiste. Mais ils sont aussi « imperméables » à l’écoute que des gens de droite. Ils sont prétentieux, ils édictent des vérités apprises dans les livres du socialisme et sont incapables de se rendre compte du réel. C’est une gauche que j’appellerai « gauche de droite » ! Le progrès ne passera pas par eux. Ils font partie de la « nouvelle » classe politique.

La droite progresse, mais là encore, moins que ce qui était attendu. En fait, l’important pour la droite, en plus du nombre de 122 villes remportées, c’est la victoire dans la capitale Santiago de Mario Debordes, l’ex-ministre de la Défense dans le gouvernement Pineda, avec 50,6 % contre la maire sortante du parti communiste, Iraci Hassler, qui ne totalise que 28,5 %.

L’extrême droite de José Antonio Kast, avec son parti « Parti Républicain » créé en 2019, se présentait pour la première fois et totalise huit mairies. Là encore on aurait pu penser qu’ils feraient mieux, puisque comme tous les partis d’extrême droite (comme chez vous en Europe), ils surfent sur les thèmes de l’immigration et de l’insécurité. Depuis que le Venezuela est devenu ce qu’il est, des milliers de Vénézuéliens sont arrivés et arrivent encore au Chili. De quoi désigner une partie d’entre eux coupables de tous les maux : insécurité, trafic de drogue, délinquance…

Les résultats de ces élections représentent bien la situation du pays : une gauche insipide, une droite de scandale, une extrême droite à l’affût, avec un groupe d’indépendants qui fera le moment venu la différence entre ces blocs.

Question : Que préfigurent ces élections ?

Luis : Nous voterons en novembre 2025 pour un nouveau président. Gabriel Boric ne peut se représenter, car il n’est pas possible d’exercer deux mandats consécutifs. Les partis politiques se lancent déjà dans la course pour former les meilleures alliances possibles.

À gauche, nous verrons certainement le « Frente Amplio » qui regroupera une majorité de partis, mais qui sera à sa tête ? Trop tôt pour le dire. Certes un jeune plein d’espoir (Thomas Vodanovic) du Frente Amplio l’a emporté dans la ville de Maipu (seconde ville la plus peuplée du pays), mais il manque peut-être d’expérience et l’aventure Boric n’est pas concluante. D’autre parlent du retour de Michèle Bachelet (déjà deux fois présidente), pour une gauche de tiède, comme Boric…

À droite justement, « Renovacion Nacional » vient de remporter la capitale, et le nom d’Evelyn Mattei (ancienne ministre du Travail de Sébastian Pinera) revient souvent. Elle est la fille de Fernando Mattei, membre de la junte militaire de Pinochet. Bon, vous aurez compris qu’elle n’est pas à gauche.

Mais plus à droite encore, on trouve José Antonio Kast candidat malheureux de l’extrême droite en 2021 contre Gabriel Boric, qui portera certainement les couleurs du parti républicain.

Commentaires

Luis est un militant qui n’a pas varié au fil des ans. Lui qui a subi dans sa chair les folies de la dictature de Pinochet regrette la tournure qu’a prise la politique dans son pays – et dans le monde. En décrivant le désenchantement des Chiliens au cours de ce dernier scrutin, il parle aussi de la pente douce dans laquelle les « démocraties » du monde se sont embarquées.

Citoyen du monde, Luis dénonce le détournement de la démocratie qui se dessine partout avec des gouvernements, des élus, qui mettent sous cloche le débat démocratique, ils oublient le peuple et instaurent cette dictature de la communication.

Pour l’instant, au Chili, la droite et l’extrême droite attendent tranquillement 2025 ! Le peuple chilien lui continue avec ses problèmes…