Élections municipales au Brésil : les droites atomisent le PT

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155 millions de Brésiliens sont allés voter le 6 octobre pour choisir, parmi les candidats de 29 partis, les 54 462 conseillers municipaux et les 5569 maires de toutes les villes et communes du pays. Cette élection géante intervient deux ans après la présidentielle qui a remis Lula à la tête du Brésil lors d’un scrutin contesté par le perdant d’extrême droite Jair Bolsonaro et suivi, le 8 janvier 2022, par le saccage de l’Assemblée nationale, du Sénat et du Tribunal suprême de justice par les partisans du candidat malheureux. Cette tentative de coup d’État fera vaciller la démocratie pendant quelques heures, mais échouera, et laissera Bolsonaro sous le coup d’une peine d’inéligibilité de huit ans.

Pour Lula, cette élection du 6 octobre représente donc un test national important. Elle permet de mesurer, deux ans après ces violences, les forces en présence dans la perspective des prochaines présidentielles de 2026, d’analyser les mouvements de l’électorat et de vérifier le maillage militant.

Les résultats dans les cinq grandes zones géographiques

Nord 

Dans les sept États de la zone, le parti de Bolsonaro (PL) emporte une capitale dès le premier tour (Rio Branco dans l’Acre) et ses candidats disputeront les seconds tours dans trois autres capitales : Manaus, Belém, Las Palmas. Le MDB (droite) sort en tête du premier tour dans l’Amapa et le Roraima. Pour la capitale de Roraima (Porto Velho), ce sont les partis (de droites) Union Brasil et Podemos qui s’affrontent.

Commentaires 

L’extrême droite avec le PL de Bolsonaro d’une part, la droite avec Union Brasil et le MDB mettent la barre à droite dans le Nord.

Le Nordeste 

Dans les 9 États, cinq victoires au premier tour. À Sao Luis (Maranhao) et Recife (Pernambouc), le PSD (droite) sort vainqueur. À Teresina (Piaui), la droite d’Union Brasil l’emporte. À Salvador de Bahia, Union Brasil soutenu par Bolsonaro gagne très largement. Et le PL de Bolsonaro au premier tour à Maceió (Alagoas).

Deuxième tour prévu à Fortaleza (Ceara) avec un duel entre le parti de Lula (PT) et celui de Bolsonaro (PL).À Natal (Rio Grande do Norte), duel PT/Uniao Brasil (droite). À Joao Pessoa (Paraiba) duel droite/droite entre le PP et le PL de Bolsonaro. À Aracaju, c’est le PDT (gauche) qui affronte le PL.

Commentaires 

Lula est originaire du Nordeste et c’est là qu’il a puisé les voix qui lui ont permis d’emporter, à peu d’écart, la dernière présidentielle. Or son parti, le PT, est bien parti pour ne gagner aucune des neuf capitales régionales tandis que l’extrême droite de Bolsonaro, outre sa large victoire partagée à Salvador dès le premier tour, peut encore emporter deux capitales.

Centre-Ouest

Second tour dans les trois capitales des trois États. À Goiânia dans le Goias (État où se trouve la capitale Brasilia),duel entre lePL de Bolsonaro et le parti de droite Uniao Brasil. À Campo Grande dans le Mato Grosso do Sul, le parti de droite PP contre Union Brasil (droite). Et à Cuiabá (Mato Grosso), le PL de Bolsonaro contre le PT de Lula.

Commentaires

La droite très présente et conquérante au centre, avec un PT en ballottage défavorable. Avantage à droite.

Sud 

Pas de second tour à Florianópolis (Santa Catarina) où le maire sortant du PSD (droite) est réélu. À Curitiba (Paraná), le PSD qu’appuie Bolsonaro et le PMD (droite) s’affrontent au second tour. Comme à Porto Alegre (Rio Grande do Sul) où le MDB (soutenu par Bolsonaro) est en ballottage très favorable contre le PT.

Commentaires

Au sud, la droite et l’extrême droite ne cèdent rien.

Sud-Est 

La région pèse, qui abrite l’ancienne capitale du Brésil, Rio, et son actuelle capitale économique, avec la mégapole de Sao Paulo. À Rio, le maire PSD soutenu par Lula l’emporte au premier tour, tout comme son homologue du parti républicain (PR droite) à Vitoria (État d’Espirito Santo). À Belo Horizonte (Minas Gerais), le PL de Bolsonaro et le PSD (droite) s’affrontent au second tour. Et enfin, duel très suivi par tout le pays à Sao Paulo où ont émergé les deux candidats respectifs de Lula et Bolsonaro : Boulos du PSOL que soutient l’actuel président brésilien et Nunes, le maire sortant MDB (droite) qu’a choisi de soutenir l’ex-président Bolsonaro. Ballottage très favorable à Nunes qui bénéficie également de l’appui de l’actuel gouverneur de l’État, Tarcisio Freitas (PR – droite), ardent soutien de Bolsonaro lors de la dernière présidentielle.

Commentaires 

A l’exception de Rio,cette région poursuit son enracinement à droite de la droite. Les résultats à Sao Paulo (34,6 millions d’électeurs, 22 % du corps électoral pour l’État) ont démenti les pronostics dont celui du correspondant du Monde qui en juillet évoquait un duel Nunes/Boulos favorable au second. Or la droite déjà très forte a mis en piste un nouveau produit (comme on peut le voir dans pas mal d’élections partout actuellement) : un entrepreneur, « coach » évangélique plus exactement, encore inconnu du public, habile en réseaux sociaux comme en dialectique, extrêmement prompt à l’agression verbale, ce qui lui vaudra d’esquiver une chaise envoyée par l’un des candidats lors d’un débat télévisé, en une scène commentée partout au Brésil… Résultat : le quasi inconnu Marçal termine troisième avec 28,14 % des voix, très proche des deux autres candidats (29,07 % pour Boulos, 29,48 % pour le maire sortant Nunes).

Le second tour s’annonce très difficile pour le candidat de gauche Boulos : Marçal se présentait en effet sous les couleurs du PRTB, le parti de Mouros, l’ex-vice-président de Bolsonaro, donc très très à droite…

Analyse des résultats

À deux ans des élections présidentielles, quels enseignements tirer de ce premier tour ?

C’est une évidence, le pays confirme son ancrage à l’extrême droite et à droite, élection après élection.

1. L’extrême droite et la droite en tête 

C’est une évidence, le pays confirme son ancrage à l’extrême droite et à droite, élection après élection. À l’extrême droite, puisque c’est le PL de Bolsonaro qui enregistre cette fois le plus grand nombre de voix : 15,8 millions (8,9 millions pour le PT) et une progression de 236 % en quatre ans. À droite aussi, puisque quatre autres formations, dites centristes, mais franchement à droite, arrivent en tête : le PSD (Parti social démocratique) avec 14,5 millions, le MDB (Mouvement démocratique brésilien) avec 14,4 millions, Uniao Brasil avec 11,3 millions et le PP (Parti progressiste) avec 9,9 millions qui devancent toutes le PT. C’est depuis 2016, année de la destitution de Dilma Rousseff et de l’incarcération de Lula, que le PT se fait distancer par ses adversaires de droite et d’extrême droite. Mais c’est la première fois depuis la fin de la dictature que le PT ne gagne pas (ou du moins n’est pas en passe de gagner) dans l’une des 26 capitales d’État.

Même tendance pour l’élection des 54 462 conseillers municipaux: le MDB remporte 8109 sièges de « vereadores », le PP 6950, le PSD 6624, Uniao Brasil 5485, puis le PL de Bolsonaro 4957, Les Républicains 4645, le PSB (gauche) 3128, et enfin le PT avec 3128. En 2012, le PT comptait 5200 conseillers et 647 maires.

2. Les « oubliés » 

Cette élection permet également de vérifier où en sont les partis politiques par rapport aux « oubliés », ceux à qui ils demandent le vote, mais ne proposent pas de candidature, c’est-à-dire les noirs et les femmes, pourtant majoritaires, ou les minorités (LGBT+).

Les femmes, qui représentent 51,5 % de la population, n’ont obtenu que 10 600 postes de conseillers municipaux soit 18,2 %. Certes les commentateurs positivent sur les 2 % supplémentaires par rapport à l’élection de 2020… 717 femmes sont élues au poste de maire (111 à gauche dont 41 au PT, 606 à droite et extrême droite, dont 60 pour le PL de Bolsonaro. À noter, le retard des partis de gauche en la matière puisque c’est à droite principalement que l’on trouve des élues…

Les personnes qui se déclarent noires ou métisses représentent 56 % de la société brésilienne. Or elles ne sont que 1841 à être élues au premier tour, soit 34 % contre 65,7 % pour celles qui se déclarent blanches. 83 % des élus noirs ou métis le sont dans des partis de droite et d’extrême droite contre seulement 16,9 % à gauche.

Pour la première fois, les candidats pouvaient faire état de leur orientation sexuelle. 231 candidats LGBT+ aux postes de conseillers ont été élus. Sur 903 candidats transgenres, 53 ont été élus ; sur les 2136 candidatures déclarées gays, lesbiennes, bisexuels, pansexuels ou asexuels, 178 ont été élus. C’est une première pour le Brésil.

3. Évangélistes, policiers, professionnels de santé 

Y aurait-il un point commun entre ces trois catégories ? Elles sont tous les jours, à toute heure du jour et de la nuit, en contact avec les gens dans la rue, dans les hôpitaux, dans les quartiers. Et c’est là que le PL de Bolsonaro puise une grande partie de ses militants.

Parmi les forces de sécurité (armée ou police, en activité ou retraitée), 856 candidats sont élus conseillers : 168 pour le PL de Bolsonaro, 99 pour le PP, 96 pour les Républicains, 89 pour le MBD, 81 pour le PSD, tous à droite ; aucun pour le PT.

Parmi les religieux (pasteurs évangélistes ou prêtres catholiques), 279 élus dont 38 pour le PL, 37 pour PSD, 31 pour les Républicains, 31 pour le PP, 26 pour Uniao Brasil ; aucun pour le PT.

Parmi les professionnels de santé (médecins ou personnels hospitaliers, infirmiers), 2076 élus dont 323 pour MDB, 264 pour PP, 228 pour le PSD, 213 pour Union Brasil, 172 pour les Républicains ; aucun pour le PT (ni pour le PL de Bolsonaro, mais rien d’étonnant avec son positionnement lors de la crise COVID).

4. La violence

Elle fait partie intégrante du quotidien au Brésil, elle augmente d’ailleurs en période électorale et progresse de scrutin en scrutin. 372 cas répertoriés durant la campagne du premier tour, dont 10 assassinats. Le Nordeste, Sao Paulo et Rio font la course en tête. On note une violence accrue entre partis politiques, mais également, ce qui est encore plus préoccupant pour la démocratie, l’intervention d’organisations criminelles dans la campagne, qui pourrait d’ailleurs prendre de l’ampleur (à voir ce qui se passe aujourd’hui au Mexique par exemple).

*

Tous les chiffres l’indiquent : la droite et l’extrême droite gagnent du terrain, tant pour le nombre de maires élus au premier tour, que pour les possibilités de vaincre au second ou le nombre de conseillers élus. La tendance amorcée au début de la chute du PT en 2016 s’accentue. La présidente du parti Gleisi Hoffmann a beau répéter que le parti est « en reconstruction », il est surtout incapable de présenter un candidat à San Paulo (20 millions d’habitants) et oblige Lula à aller chercher Marta Suplicy (79 ans) pour seconder Boulos. Marta Suplicy qui dirige les relations internationales du maire sortant, Nunes, adversaire du candidat de gauche ! Marta Suplicy, ancienne maire PT de Sao Paulo de 2001 à 2005, plusieurs fois ministre de Lula, mais qui avait quitté le PT et voté la destitution de Dilma Rousseff ! Comment la base pétiste peut-elle faire campagne avec de telles décisions d’appareil ?

Un PT incapable aussi, comme on l’a vu en chiffres, d’intégrer les catégories les plus défavorisées de la société, femmes, noirs, ou LGBT+. Là où un Hugo Chavez avait bien perçu dès son arrivée au pouvoir au Venezuela cette nécessité et s’était battu jusqu’à sa mort pour les faire monter dans les instances, leur faire prendre des mandats électifs et représenter le peuple, le PT est désormais beaucoup moins présent dans les quartiers populaires et auprès de ceux qu’il est censé représenter. Sans compter qu’il prend des positions très clivantes, comme la reconnaissance de l’élection de Maduro au Venezuela après un scrutin suspect ou l’appui inconditionnel aux Palestiniens de Gaza sans condamner l’idéologie et le fanatisme du Hezbollah et du Hamas.

Le PT met-il vraiment toute son énergie à reconstruire (comme l’indique sa présidente Gleisi Hoffmann) sa militance envers les classes populaires ? Il semble plutôt passer son temps à construire des alliances de circonstance pour l’emporter encore dans certaines villes. Un peu comme Lula qui s’alliait en 2022 à son adversaire de toujours Geraldo Alckmin pour gagner coûte que coûte la présidentielle, obtenir une victoire très étriquée et mettre finalement en place un gouvernement de centre droit.

Second tour le 27 octobre.